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«En soutenant le M23, l'Ouganda veut avoir un regard sur ce qui fait son voisin le Rwanda», selon Fred Bauma

Dec 24, 20247 minTranscript available on Metacast
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Dans l'est de la République démocratique du Congo, la stratégie de l'Ouganda n'est pas toujours facile à suivre. D'un côté, l'armée ougandaise soutient les Forces armées congolaises contre les rebelles jihadistes des ADF. Mais de l'autre, la même armée ougandaise est accusée de soutenir les rebelles du M23 contre les Forces armées congolaises. C'est pourquoi le chargé d'affaires ougandais à Kinshasa a été convoqué la semaine dernière par la ministre congolaise des Affaires étrangères. Pourquoi cet apparent double jeu ? Fred Bauma est le directeur exécutif de l'Institut congolais Ebuteli. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : La semaine dernière, la ministre congolaise des Affaires étrangères a convoqué le chargé d'affaires ougandais à Kinshasa. Pourquoi cette mise en demeure ?

Fred Bauma : La convocation du chargé d'affaires ougandais intervient après que le fils du président Museveni, qui est aussi le commandant de forces armées ougandaises, a publié une série de tweets. Dans ceux-là, il a insinué la possibilité d'envoyer ses troupes, pour s'attaquer à la présence de tout mercenaire européen. Mais il faut le voir au-delà d'un seul tweet. Le chef de l'armée ougandaise s'est distingué par sa série de tweets, qu'il fait régulièrement, souvent en fin de semaine, et qui sont menaçants non seulement pour la RDC, mais également par le passé pour d'autres pays comme le Kenya ou, récemment, le Soudan.

Ce général Muhoozi ; ce n'est pas n'importe qui, c'est à la fois le chef d'état-major de l'armée ougandaise et le fils aîné de Yoweri Museveni, le président ougandais. Est-ce que les tweets de cet individu sont à prendre au sérieux ?

Alors ces tweets qu'il porte très ouvertement et qui représentent, je pense, son opinion ne sont pas tout le temps contredits par le gouvernement ougandais. Ils ne sont contredits que lorsqu'il y a des protestations comme celle du gouvernement congolais la dernière fois ou bien du gouvernement kényan. Donc, on ne peut pas ne pas le prendre au sérieux.

Par ailleurs, ce général Muhoozi est proche du président rwandais Paul Kagame, qu’il appelle « mon oncle ». Il est d'ailleurs à l'origine de la réconciliation il y a trois ans entre Kampala et Kigali !

Exactement. Il est proche de Paul Kagame. En tout cas, il proclame sa proximité avec le président rwandais. On le cite également parmi les personnalités ougandaises qui ont facilité la conquête de Bunagana par le M23. Mais également, je pense qu'il y a une question de succession qui se joue en Ouganda où le fils de Museveni se positionne de plus en plus comme un potentiel remplaçant de son père s'il n'y a pas d'opposition en interne.

C'est au mois de juin dernier qu'un groupe d'experts de l’ONU a accusé l'Ouganda de soutenir les rebelles du M23. On connaissait le soutien du Rwanda à ces rebelles. On connaissait beaucoup moins le soutien de l'Ouganda. Comment se matérialise cette aide de l'Ouganda aux rebelles ?

Selon les derniers rapports du groupe d'experts de l'ONU, l'Ouganda soutient le M23 de plusieurs manières. D'une part, l'Ouganda ou certaines personnes qui sont proches de Muhoozi soutiennent le M23, en lui facilitant les rencontres diplomatiques dans la région. Mais également, l'Ouganda offre un lieu de passage pour les responsables du M23 et de l'AFC qui veulent se rendre dans des rencontres dans la région. Et enfin, on parle même de certains officiers, notamment des renseignements militaires ougandais, qui ont parfois été dans des zones occupées par le M23. Mais ce soutien est fortement démenti du côté ougandais. Mais ça, ce n'est pas quelque chose de surprenant.

Et est-ce que l'Ouganda offre des facilités aux rebelles congolais de l'AFC, de l'Alliance du fleuve Congo, de Corneille Nangaa ?

Oui, je pense qu’en offrant au M23 un soutien, l’Ouganda offre forcément aussi à l’AFC puisque les deux groupes semblent être les deux bords d'une même médaille, mais également les membres de l'AFC qui arrivent dans les zones occupées par le M23 passent, pour certains, forcément par l'Ouganda.

Alors, on a un petit peu de mal à comprendre ce qui se passe dans cette région du Congo puisque dans le Grand Nord-Kivu (…) dans la région de Butembo, l'Ouganda est allié aux Forces armées congolaises contre les rebelles djihadistes des ADF. Mais en même temps, un peu plus au sud, toujours dans cette province du Nord-Kivu, l'Ouganda est allié avec les rebelles du M23 contre les Forces armées congolaises. Pourquoi ce double jeu ?

Alors, on peut effectivement parler de doubles jeux, mais je pense qu'il faut aussi le regarder d’un point de vue des intérêts ougandais. L'Ouganda est exactement en opération militaire avec la RDC, l'opération Shujaa contre les ADF dans le Grand Nord-Kivu, dans la région de Beni. Et au même moment, on le crédite de soutenir le M23. Il faudrait peut-être se demander si l'aide que l'Ouganda accorde au M23 ne constitue pas une façon pour l'Ouganda de se rassurer, d'avoir le contrôle sur un acteur qui pourrait s'étendre jusqu'au bord de ses frontières comme c'est déjà le cas aujourd'hui, mais également d'avoir probablement le regard sur les actions d'un pays, le Rwanda, avec lequel l'Ouganda entretient depuis plusieurs années des relations assez tendues. C'est une relation qui est basée sur beaucoup de suspicions et donc j'imagine que l'Ouganda voit un intérêt à pouvoir avoir un regard sur ce que fait son voisin en RDC.

Donc, en soutenant le M23, l'Ouganda veut s'assurer que le Rwanda n'a pas le monopole de l'influence étrangère sur le Congo Kinshasa ?

Je dirais pour le moment que l’Ouganda veut se rassurer d'avoir le contrôle d'une rébellion qui occupe une partie de sa frontière du côté congolais.

Alors, on imagine que le président Tshisekedi est au courant de ce double jeu ougandais. Et pourtant, il y a deux mois, il s'est rendu en visite d'État en Ouganda auprès de son homologue Yoweri Museveni. Pourquoi une telle mansuétude ?

Alors, en privé, [il y a] beaucoup d'officiels congolais qui critiquent les ambiguïtés et les contradictions de l'Ouganda. Mais on voit bien que la RDC n'a pas choisi de nommer l'Ouganda autant qu'elle le fait sur le Rwanda, malgré son rôle ambigu.

Et peut-être la RDC ne veut-elle pas ouvrir un 2e front diplomatique à l'est de son territoire ?

Évidemment, ça lui demanderait encore plus d'énergie. Il faut dire aussi qu'il y a une double dépendance. La RDC semble dépendre de cette opération Shujaa pour contenir à un certain degré les ADF. Donc c'est une opération qui est particulièrement populaire au sein de la communauté Nandé qui est une communauté puissante et au sein de certains leaders de cette communauté. Également, l'Ouganda bénéficie largement de l'économie informelle et de l'économie illicite de cette région de la RDC. Donc il y a des intérêts de part et d'autre pour ne pas casser toute la relation.

Et Yoweri Museveni a intérêt à ménager son voisin Félix Tshisekedi ?

Absolument. Museveni a tout intérêt à ménager ses voisins. Mais je pense qu'il a aussi intérêt, au moins, à contenir les actions de son fils s'il le peut. Sinon, ça risque de mettre à mal pas mal de relations que l'Ouganda entretient avec la RDC, mais aussi avec d'autres pays de la région.

Les militaires ougandais sont dans la région de Butembo. Les rebelles du M23 sont en direction de la localité de Lubero. Or, il n'y a que quelques dizaines de kilomètres entre Butembo et Lubero. Est-ce qu'il ne faut pas craindre dans les semaines qui viennent un face-à-face entre les militaires ougandais et les rebelles du M23 ?

C'est une possibilité, évidemment, ça rappellerait des épisodes sombres. On se rappelle du massacre de Kisangani au début des années 2000.

Plus de 700 civils congolais tués à Kisangani, en juin 2000, lors de la bataille entre Ougandais et Rwandais !

Exactement. Il y a des risques, si on se retrouve dans la même situation, que ça crée de nouvelles personnes tuées. Mais au même moment, j'ai l'impression que le gouvernement congolais espère que l'Ouganda pourrait jouer une sorte de barrière à cette progression du M23. Tout cela, évidemment, est à regarder. Est-ce qu'on tend vers le progrès du M23 vers le territoire de Lubero, à l'approche de la ville de Beni ? Est-ce que ça va nous replonger dans un autre niveau de conflit régional ? Il faut espérer que ça n'arrive pas, mais il faudrait agir en amont pour qu'on n’en arrive pas là.