Samedi 22 février, à Nairobi au Kenya, les Forces de soutien rapide et 24 organisations soudanaises ont signé une charte pour jeter les bases « d’un gouvernement de paix et d’unité ». Un gouvernement « parallèle » à celui de Port-Soudan, qui fait craindre pour l'unité du pays, déchiré par la guerre. Liza Fabbian a interrogé le chercheur Marc Lavergne sur les implications de cette initiative du général Hemedti, le commandant des Forces de soutien rapide (FSR) en guerre contre l’armée soudanaise.
RFI : Quels sont les acteurs signataires de cette Charte pour un « gouvernement de paix et d'unité » au Soudan ?
Marc Lavergne : Alors c'est une coalition qui s'est regroupée autour des Forces de Soutien Rapide, mais qui a réussi à agréger beaucoup d'éléments de la société civile, ceux qui ont mené la révolution pacifique depuis avril 2019, c'est-à-dire le mouvement Taqaddum, le mouvement progrès qui rassemble les jeunes de la capitale, ceux qui ont fait ce printemps de Khartoum, et puis des forces régionales et locales aussi.
Dans cette coalition, il y a toutes sortes de formations, de partis politiques ou de groupes qui sont eux-mêmes divisés. C'est-à-dire que les personnes qui ont signé cette charte ne sont pas forcément les figures de proue de ces mouvements. Donc il reste à savoir s'il n'y a pas des réticences à l'intérieur de chacun des mouvements signataires de cette Charte pour un nouveau gouvernement.
Comment expliquer ce développement et pourquoi est-ce qu'il survient maintenant ?
On peut considérer que ce timing correspond à une montée en puissance de l'armée qui gagne du terrain sur plusieurs fronts. Dans la capitale Karthoum d'abord, qui a été en grande partie reprise par l'armée, et puis dernièrement, une capitale régionale qui est El Obeid au centre du pays dans le Kordofan.
L'armée se considère comme propriétaire de l'État soudanais puisqu'elle l'a dirigé pratiquement en continu depuis l'indépendance en 1956. Mais il y a aussi des facteurs externes, puisque l'armée est soutenue par des pays comme l'Iran, la Turquie et éventuellement aussi la Russie et la Chine. Et puis sur la scène internationale, bien sûr, il faut peut-être relier cette mobilisation au fait qu'il y a un nouveau président aux États-Unis, qui a décidé de soutenir l'armée.
Quel impact la création d'un gouvernement parallèle par les Forces de Soutien Rapide peut-elle avoir sur l'avenir du Soudan selon vous ?
On ne voit pas très bien quel est le ciment qui peut donner de l'élan à ce mouvement. Alors, il peut y avoir un soutien extérieur, mais je crois que chacun des groupes qui constitue ce mouvement lutte d'abord pour ses objectifs propres, du côté de l'armée, il y a quand même cette solidité et cette discipline, qui lui a permis de gagner du terrain très progressivement. Alors, est-ce que ce nouveau mouvement civilo-militaire va être capable de s'équiper en armes ? Parce que c'est finalement l'armement qui va décider, c'est la capacité militaire à reprendre l'ensemble du pays.
Est-ce qu'on pourrait se diriger vers un scénario à la libyenne avec la signature de cette Charte ?
Je crois que la grande différence, c'est que la Libye est un pays producteur de pétrole, donc il n'y a pas de difficultés financières majeures alors que le Soudan est un pays totalement dévasté, ruiné, avec des centaines de milliers de morts, avec des gens déplacés par millions dans les pays voisins et sans aucune ressource propre actuellement.
Certains parlent déjà d'une partition militaire de fait au Soudan, pour vous, il n'y a pas de risque de division territoriale à moyen terme ?
Non, je ne pense pas. Le Darfour, par exemple, on a souvent pensé que la région voulait prendre son indépendance, un peu comme le Sud-Soudan. Mais il n'y a jamais eu de mouvement de revendication pour une indépendance au Darfour, ni même dans les Monts Nouba. Ce qui est demandé par toutes ces provinces périphériques, c'est d'être traités sur un pied d'égalité avec la vallée du Nil, avec ce Soudan utile qui a toujours dominé l'ensemble du pays.
À quoi peut-on s'attendre quant à la création de ce futur gouvernement de paix et d'unité selon vous ?
Dans cette fédération pour un nouveau gouvernement, il reste des parties qui sont assez distinctes les unes des autres. Et tout ça n'indique aucune amorce de rapprochement entre elles. Donc, il y aura un partage peut être des postes de responsabilité, des postes ministériels.
Mais est-ce que ces ministres auront une administration, auront quelque chose à gérer, ou bien est-ce que c'est simplement un jeu d'annonces pour la communauté internationale, pour faire un peu comme ce qu'à fait l'armée qui s'est dotée elle-aussi d'un gouvernement civilo-militaire, qui prétend d'être le gouvernement légal du pays.
Donc c'est aussi une réponse à cela ?
En effet, parce que cette initiative de l'armée lui permet de développer des missions à l'étranger, des ambassades, d'être reconnue de parler aux autres États de la région et au reste du monde.
Et en face, ceux qui ne sont pas organisés, apparaissent comme des rebelles. Bien qu'ils soient eux-mêmes les héritiers de la transition démocratique, et de partis ancrés dans l'histoire du Soudan.
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