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Ibrahim Assane Mayaki: «Les pays africains doivent anticiper la disparition de l'aide américaine»

Mar 18, 202515 min
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Quel est l’impact de la coupure de l'USAID pour la sécurité alimentaire en Afrique ? Est-ce que la décision de Donald Trump de cesser la quasi-totalité de l'aide humanitaire des États-Unis peut provoquer une crise alimentaire dans certains pays africains ? « Le choc peut être résorbé si chaque pays africain mobilise efficacement ses ressources nationales », répond Ibrahim Assane Mayaki, qui a été le Premier ministre du Niger de 1997 à 2000 et qui est aujourd’hui l’envoyé spécial de l’Union africaine pour les systèmes alimentaires. De passage à Paris, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : En 50 ans, le déficit alimentaire de l'Afrique est passé de 10 à 25 %. C'est-à-dire que le continent africain est obligé d'importer 25 % des produits alimentaires qu'il consomme. Comment répondre à ce défi ?

Ibrahim Assane Mayaki : Alors, on est obligé de reconnaître que, malgré les progrès qui ont été faits pour accélérer la productivité et la production agricole, on s'est heurté à une croissance démographique qui est quasi unique dans l'histoire de la démographie.

Une croissance très rapide de la population…

Absolument. Et la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, c'est que nous sommes importateurs net de produits alimentaires. La FAO chiffre cela à à peu près 100 milliards de dollars par an. Ces 100 milliards de dollars proviennent de la poche de consommateurs africains. Et s'ils pouvaient être réalloués ou alloués dans la transformation des systèmes agricoles, on importerait beaucoup moins de produits alimentaires.

Alors, pour produire plus de biens alimentaires, il faut évidemment investir dans l'agriculture. Il y a un peu plus de 20 ans, en 2003, à Maputo, les quelque 55 pays de l'Union africaine se sont engagés à investir 10 % de leur budget national dans l'agriculture et le développement rural. Aujourd'hui, où est-ce qu'on en est ?

Il n'y a pas beaucoup de pays qui ont atteint ces 10 %. On peut estimer à une dizaine de pays le nombre de ceux qui ont atteint ces 10 %. La courbe est positive, mais le nombre est quand même faible.

Oui, 10 sur 55…

10 sur 55. Alors, il faut dire qu'aujourd'hui s'est développé un débat sur le contenu de ces 10 %. Ce qui est au cœur de la question, c'est que nos investissements publics dans le secteur agricole doivent être beaucoup plus importants qu'ils ne le sont et évidemment 10 %. Deuxièmement, ces investissements publics ne sont pas suffisants. Il faut attirer des investissements privés. Et une chose que la plupart des gens ne savent pas, c'est que les premiers à financer l'agriculture africaine aujourd'hui, ce sont les petits agriculteurs.

Eux-mêmes ?

Eux-mêmes.

Et il faut investir dans quoi ? Dans les cultures vivrières ? Dans les engrais ? Dans quoi ?

Alors, l'approche « système alimentaire », à travers le terme « système », met l'accent sur une dimension multisectorielle. C'est-à-dire que, pour transformer l'agriculture, on a évidemment besoin d'intrants…

Les engrais donc ?

Voilà, des engrais, on a besoin de semences, on a besoin de routes rurales, on a besoin de formation, on a besoin de capacités digitales, on a besoin d'énergie, on a besoin de tout un tas de facteurs qui relèvent de secteurs différents. Et c'est la coordination des investissements dans tous ces secteurs qui fait système. Et c'est là que se pose la question en termes de planification. Alors, il faut investir sur l'appui aux producteurs et cet appui aux producteurs doit être aussi un appui financier. Le deuxième type d'investissement qui doit être fait, ce sont les investissements dans les infrastructures.

Les routes…

Les routes… Et c'est comme ça d'ailleurs que l'Ethiopie a réduit son problème de famine parce qu’il y avait des régions excédentaires et des régions déficitaires. Et quand Meles Zenawi connecte les deux régions à travers les infrastructures, ça permet à l'Ethiopie de réduire ses problèmes de famine.

Le 25 janvier, Donald Trump a décidé de suspendre l'USAID pour trois mois. Or, l'aide humanitaire des États-Unis, c'est 60 milliards de dollars par an. Quel est l'impact pour l'Afrique et notamment pour sa sécurité alimentaire ?

Le premier signal, et j'en parle depuis quelques années, c'est qu'il est important pour les pays africains d'anticiper sur la disparition de l'aide publique au développement. Et deuxièmement, ça entraîne évidemment une mobilisation des ressources nationales. Si nous avons des stratégies de mobilisation de ressources nationales beaucoup plus efficaces, nous serons à même de faire face à ce manque de ressources. Lorsque j'étais Premier ministre [du Niger], nous avions fait un calcul rapide sur nos recettes douanières et nous nous étions rendu compte que, si nous augmentions de trois points nos recettes douanières, ça pouvait être équivalent quasiment à l'aide publique au développement. Donc, nous avons des efforts de gouvernance interne très importants à faire. Donc il faut prendre cela comme un choc. Mais ce choc doit être résorbé par la définition de capacités internes et la mobilisation de nos ressources internes.

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