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Kalidou Sy: «Avec mon documentaire, j'espère que cet engouement va rester pour Yambo Ouologuem»

Feb 01, 20257 minTranscript available on Metacast
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Le film Yambo Ouologuem, la blessure, du journaliste Kalidou Sy, est sélectionné dans deux catégories de la 29e édition du Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, au Burkina Faso (du 22 février au 1er mars prochain). Ce documentaire d’une heure et quart, tourné en France, au Mali, aux États-Unis et au Canada, revient sur la vie du Malien Yambo Ouologuem, premier auteur africain à recevoir le prestigieux prix littéraire Renaudot en 1968. Trois ans plus tard, il est accusé d’avoir plagié de grands auteurs occidentaux, une affaire jamais résolue car il n’y a jamais eu de procès. Mais la polémique entraîne la chute de Yambo Ouologuem, qui passe alors en quelques mois de star de la littérature francophone à l’anonymat le plus complet. Kalidou Sy s’est rendu sur ses traces l’an dernier, dans le centre du Mali. Il est l’invité de Kaourou Magassa.

RFI : Vous êtes d'origine sénégalaise, vous avez été correspondant au Sahel pour la chaine d’information France 24 basé au Burkina Faso. Qu'est-ce qui vous a amené, vous, jeune journaliste à vous intéresser à l'auteur malien Yambo Ouologuel né en 1940 et décédé en 2017 ?

Kalidou Sy : Tout est parti de l'écriture d'un ouvrage collectif sur la Françafrique intitulé « La Françafrique, l'Empire qui ne veut pas mourir », aux éditions du Seuil. C'était en 2020. C'est un ouvrage collectif et moi j'étais chargé, avec ma consœur Fanny Pigeaud, du chapitre intellectuel et africain contre la Françafrique et dans mes recherches, j'ai découvert des auteurs africains que je connaissais déjà comme Amadou Hampaté Ba, Ahmadou Kourouma, Med Hondo, Ousmane Sembène et il y avait un nom, Yambo Ouologuem, dont je n’avais jamais entendu parler. J'ai fait des recherches, j'ai vu un destin incroyable, une histoire incroyable et je me suis dit à la fin de l'écriture de ce chapitre que je ne pouvais pas en rester là et qu'il fallait absolument en faire un documentaire, car j'avais remarqué que de nombreuses personnes ne connaissaient pas Yambo Ouologuem et son œuvre.

Yambo Ouologuem est le premier africain à recevoir le Prix Renaudot en 1968. Auteur du Devoir de violence, il reçoit les éloges du Tout-Paris littéraire. Pourtant son livre est très mal reçu en Afrique. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?

Il faut se replacer dans le contexte. On revient en 1960 où il y a une vingtaine de pays africains qui se libèrent d'une domination et de la colonisation européenne. Et à cette époque, la tendance était plutôt de magnifier et valoriser l'Afrique et Yambo Ouologuem arrive avec le Devoir de violence, qui est un véritable brûlot à l'époque, parce que dans son livre, il dit que bien avant la colonisation européenne en Afrique, il existait de l'esclavage interafricain des guerres interafricaines, de l'esclavage arabo-africain et à cette époque ça a été très mal perçu en 1968. Il faut savoir aussi que des écrivains par exemple, le président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, qui était aussi un poète ont violemment critiqué Yambo Ouologuem. 

Léopold Sédar Senghor parlait selon l'un des témoignages de votre film de trahison : les mots sont très durs à l'encontre de l'écrivain malien….

Oui, les mots sont très durs. Il a qualifié le livre d'affligeant et il a accusé Yambo Ouologuem de nier ses ancêtres. Il faut savoir qu'il y a eu une passe d'armes entre Yambo Ouologuem et Senghor, une passe d'armes qui ne dit pas ses mots. Je peux vous citer un épisode où Yambo Ouologuem lors d’une interview à la télévision française a eu cette phrase où il disait, « la négraille a profité du colonialisme pour s'abreuver de culture blanche et pour mieux s'élever parmi les Noirs ». Quand il parle de « négraille », il parle surtout de négritude. Je pense que Senghor l'a pris pour lui-même et c'est pour ça qu'il a une virulence dans ses propos envers Yambo Ouologuem. Il faut savoir aussi qu'à l'époque, il n’y a pas beaucoup d'auteurs africains qui ont salué l'œuvre de Yambo Ouologuem.

L’année 1972 est un point de bascule pour Yambo Ouologuem. Il est accusé de plagiat, il est vilipendé, conspué sans que sa défense ne soit entendue. Il retourne au Mali dans la ville de Sévaré. Vous y êtes allé l’an dernier en quête des témoignages de sa famille. Racontez-nous ce que vous avez découvert sur lui ? Et comment a-t-il vécu ?

Tout d'abord, j'ai décidé d'aller à Sévaré parce que dans mes recherches, il n’y avait pas beaucoup de traces de Yambo Ouologuem du Mali. On connaissait beaucoup le Yambo Ouologuem français, l'écrivain provocateur, mais lorsqu'il est rentré au Mali, on a perdu sa trace. Il y avait Christopher Wise, un universitaire américain, qui est parti le voir en 1997, qui a écrit un livre À la recherche de Yambo Ouologuem, mais on n'avait pas trop trace de Yambo Ouologuem au Mali. Donc je suis parti à Sévaré. Alors ce que j'ai découvert, c'est qu’en 1974, il fait un premier retour au Mali et les gens l'ont décrit comme une personne malade. Il était enflé d'après leurs dires et même certains disaient empoisonnés, mais ça reste à prouver. En 1976 Yambo Ouologuem tente de revenir en France pour, « faire la paix » avec son éditeur le Seuil afin de repartir sur un nouveau pied, mais le Seuil n'a pas voulu, donc il est rentré définitivement au Mali. Et au Mali, Yambo Ouologuem s'est retiré et a vécu reclus, il passait ses journées, d'après les témoignages de ses proches, à la mosquée, il est devenu très croyant. Il jeûnait de nombreux jours dans l'année et sa relation avec ses enfants, c'était une relation aimante, mais il ne voulait pas que ses enfants découvrent son passé français. Son fils, Ambibé, m'a témoigné que, par exemple, Yambo Ouologuem leur interdisait d'aller à l'école française, il préférait qu'il aille dans une école arabophone. Donc Il passait son temps à la mosquée, il changeait souvent de mosquée, il n'avait pas beaucoup d'amis. Il voulait vivre seul et très certainement que la blessure était tellement forte qu'il voulait oublier ce qui s'était passé en Europe et en France. 

Justement, ce retour au Mali était pour Yambo Ouologuem une blessure, vous l’avez rappelé, et c'est d'ailleurs le titre de votre documentaire. Pensez-vous qu'il aurait été autant honni s’il n'avait pas été africain ?

Jean-Pierre Cordier, qui était son camarade au lycée Chaptal à Paris, il a vécu ça comme du racisme. Il dit qu'il y a beaucoup d'auteurs qui ont été accusés de plagiat qui ont eu un procès et qui ont pu réécrire. Jean-Pierre Orban, qui a fait une longue recherche sur le cas Yambo Ouologuem, lui aussi dit dans le documentaire que très certainement, il y avait du racisme. À l’époque lorsque Yambo Ouologuem a été accusé de plagiat, beaucoup de journalistes français remettaient en cause tout d'un coup le fait qu'un Africain ait pu écrire une telle œuvre, d'une telle qualité. Les mêmes qui l'avaient encensé lorsqu'il a eu le prix Renaudot l'ont lâché. Donc très certainement qu’il y a eu une part de racisme…

Par ses soutiens et ses admirateurs Yambo Ouologuem est considéré comme un génie littéraire. L'auteur Mohamed Mbougar Sarr lui a consacré en 2021 un roman victorieux du prix Goncourt. Vous réalisez, vous, un documentaire sur sa vie. Selon vous, assiste-t-on à une forme de réhabilitation posthume de l'auteur malien ?

La réhabilitation n'a pas commencé avec mon documentaire. En 2002, l’éditeur Pierre Astier a décidé de rééditer Le devoir de violence aux éditions Serpent à Plumes avec l'accord de sa famille en France. Ensuite, en 2015, Jean-Pierre Orban et Sami Tchak ont décidé de rééditer Les mille et une bibles du sexe, l'un des livres de Yambo Ouologuem. C'est un livre qui ne parle pas du tout d'Afrique, c'est un livre érotique à la limite de la pornographie qui se moque de la sexualité de la bourgeoisie parisienne et de province. C'est ça tout le génie de Yambo Ouologuem. Il peut écrire un livre sur un empire africain, et aussi un livre sur la sexualité blanche ; un livre à la manière d'un Sade ! Et puis arrive Mohamed Mbougar Sarr en 2021 avec son roman La plus secrète mémoire des hommes qui obtient, clin d’œil du destin, le prix Goncourt. Donc c’est vrai qu'il y a une certaine réhabilitation du Yambo Ouologuem mais malheureusement, à chaque fois qu'il y a un engouement, c'est retombé. Avec mon documentaire, j'espère que cet engouement va rester pour Yambo Ouologuem et j'espère que Yambo Ouloguem restera dans le débat parce qu'il mérite d'être dans le débat et qu'il s'installe sur la table des plus grands auteurs africains.