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« En Afrique, il faut que la France change d'attitude et de langage », affirme un rapport rédigé par trois sénateurs français, la socialiste Marie-Arlette Carlotti, le centriste François Bonneau et le LR Ronan Le Gleut. Dans ce document intitulé Voir l'Afrique dans tous ses États, les trois élus français passent au scanner les huit ans de politique africaine d'Emmanuel Macron. Ses réussites comme ses échecs. Ils font aussi 20 propositions pour l'avenir et invitent notamment le pouvoir français à faire preuve au Sahel de « patience stratégique ». La sénatrice de Marseille, Marie-Arlette Carlotti, répond à Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi dites-vous qu'Emmanuel Macron a eu de bonnes initiatives, mais a montré une certaine arrogance et a été dépassé par les événements ?
Marie-Arlette Carlotti : Parce que c'est la vérité. Parce qu'il a compris que la distanciation entre l'Afrique et la France est devenue quelque chose de terriblement dramatique pour nous, pour la relation qu'on avait. Alors, il a voulu se ressaisir. Alors, il a décidé de faire un agenda transformationnel. Le mot est chic, mais derrière ça, il n'y a pas de véritable changement d'attitude. Des tentatives sur les œuvres d'art restituées, des tentatives de se rapprocher de la société civile. Mais tellement de maladresses, tellement de condescendance. Donc voilà, il s'est trompé. Et d'ailleurs, ce qu'on dit dans notre rapport, c'est que la parole de la France, elle ne doit pas être uniquement de la part de l'Élysée. Il n’y a que l'Élysée qui parle à l’Afrique et aux Africains. Il faut redorer le blason de notre diplomatie qui a su faire, qui était compétente, qui était bien diffusée dans l'ensemble des pays. Il faut redorer le blason du ministère des Affaires étrangères quand même. Et puis, il y a nous qui sommes des parlementaires et c'est toujours facile de se parler entre parlementaires. Voilà, donc il s'est trompé, il a vu qu'il s'était trompé, mais il n'arrive pas à sortir de ce post-néocolonialisme-là, il est toujours dedans, voilà !
Sur la fermeture récente des bases militaires françaises en Afrique, vous regrettez un manque d'anticipation de la France, alors que c'est elle-même qui avait amorcé le mouvement, pourquoi ?
Parce qu’on sentait bien qu'il y avait un rejet. Regardez, dans tous les pays, l'ensemble de la société civile et d'ailleurs, les hommes qui se présentent aux élections disent tous qu'on refusera la base militaire parce qu'ils savent qu'il y a une aspiration. Les bases sont l’incarnation du colonialisme, les séquelles du colonialisme. On a été rejeté. C'est parti de Barkhane, on est resté trop longtemps sans savoir ce qui se passait derrière.
À l'égard de l'Alliance des États du Sahel, vous dites que la France doit faire preuve de « patience stratégique face aux menées prédatrices de la Russie ». Mais pour l'instant, les ponts sont quasiment coupés avec le Mali, le Burkina et le Niger…
Eh bien, la patience, c'est qu'aujourd'hui les pays d'Afrique, notamment au Sahel où on a eu des relations très étroites, ils n’ont plus envie de nous. Il y a un manque d'envie là, et ils sont allés chercher ailleurs, et notamment avec les Russes, et notamment pour se défendre eux-mêmes et défendre d'ailleurs les juntes qui ont pris le pouvoir la plupart du temps. Eh bien, le temps fera son affaire. C'est-à-dire qu'à force, ils auront peut-être compris la situation. Ils auront compris que ça leur coûte beaucoup plus cher. Ils auront compris qu'ils sortaient d'une dépendance pour se mettre dans une autre dépendance. Et du coup, voilà, soyons présents, soyons attentifs et soyons patients. Je ne voudrais pas que nos relations soient terminées avec le monde africain, l'Afrique en général et chacun des pays. Moi, je suis très attachée au Mali, au Niger. En fait, avec toute cette région. J’y suis allée souvent et je ne voudrais pas ça, et j'espère que voilà, chemin faisant, il y aura un regard en direction de la France, à condition que la France change d'attitude et de langage.
Et vous écrivez que « la France doit continuer à jouer sa partition en changeant de méthode et en s'appuyant sur des atouts toujours présents ». Quels sont ces atouts ?
Ah ben, les atouts toujours présents, c'est la francophonie. Ce sont les relations qu'on a avec les pays d'Afrique, avec la population, les échanges qu'on peut avoir. Et d'ailleurs, on met l'accent sur… En tout cas, moi, je mets particulièrement l'accent sur les visas. Parce que si on traite mal les pays d'Afrique, si on traite mal les gens qui viennent faire leurs études, qui viennent travailler dans nos pays, si on a des politiques d'immigration restrictives en les montrant du doigt, je ne vois pas pourquoi les relations s'arrangeraient. Donc voilà, on a des atouts, à condition qu'on les prenne en main.
Vous dites que « l'image de la France s'est dégradée en Afrique parce que la France s'est éloignée des sociétés civiles et s'est principalement adressée à des élites qui sont aujourd'hui très minoritaires ou écartées du pouvoir ». Faut-il un autre narratif ? Et lequel ?
La France, vous le savez, elle a toujours défendu les valeurs des droits de l'homme. C'est normal, hein ! C'est le pays des Lumières, et cetera, mais dans la réalité, c'est la realpolitik qui l’a complètement emporté. On dit qu'on est pour les droits humains et on s'affiche avec les dirigeants les plus autoritaires, les vieilles dynasties, et cetera, au nom de la stabilité de la sous-région. Donc, on a eu des accommodements et la société civile ne peut pas le comprendre. Donc, on doit continuer à exiger des valeurs et parler un peu plus correctement aux Africains. Ne pas leur donner des leçons, ne pas faire des boutades scandaleuses, comme l'a fait le président de la République en disant que tel chef d'État va arranger la climatisation. Ce sont des stupidités, voyez, mais qui pèsent lourd dans nos relations.
La dénonciation au Niger, les yeux fermés au Tchad, vous dites que c'est une politique du double standard ?
Bah oui, c'est le double standard, ça veut dire deux poids, deux mesures. On donne d'un côté une leçon, on condamne au Niger, on condamne au Mali et, d’un autre côté, on s'accommode avec le Tchad. Donc, je trouve que ça aussi, ça fait partie d'un double langage que la France ne doit plus avoir.
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