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Un air de famille

Apr 24, 202526 minSeason 9Ep. 402
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Summary

Anna, adoptée du Guatemala, raconte sa quête pour retrouver sa mère biologique. Son chemin la mène à découvrir des irrégularités dans son adoption, puis un vaste réseau de trafic d'enfants impliquant des personnes de confiance. Après une première rencontre trompeuse, elle utilise des tests ADN qui la conduisent à sa véritable famille, révélant qu'elle a été enlevée à la naissance et déclarée morte. Elle partage ensuite son expérience des retrouvailles et son engagement dans la prévention contre le trafic d'adoption.

Episode description

C'est la hantise des puzzleurs. Face à leur puzzle quasi complet, ils cherchent, cherchent et ne trouvent pas la pièce qui leur manque. Pire, quand ils pensent enfin avoir trouvé la bonne, elle ne s'insère pas à l'endroit imaginé. Ce n'est pas celle qu'il fallait.

Anna aussi a cru un jour trouver la bonne pièce. Celle qui viendrait compléter son puzzle. Lui permettre de le finaliser enfin, de découvrir toute l'image. Mais certaines pièces sont trompeuses: elles ressemblent à celles que l'on veut, mais ne s'insèrent pas à la bonne place. Alors il faut chercher encore. C'est ce qu'a fait Anna.

L'histoire d'Anna a été recueillie au micro de Capucine Rouault.

Transfert est produit par Slate Podcasts.
Direction et production éditoriale: Sarah Koskievic et Benjamin Saeptem Hours
Chargée de production: Astrid Verdun
Chargée de postproduction: Mona Delahais
Prise de son: Johanna Lalonde
L'introduction est écrite par Sarah Koskievic et Benjamin Saeptem Hours. Elle est lue par Aurélie Rodrigues.

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Transcript

La Hantise du Puzzle

C'est la hantise des puzzleurs. Face à leur puzzle quasi incomplet, ils cherchent, cherchent et ne trouvent pas la pièce qui leur manque. Pire, quand enfin ils pensent avoir trouvé la bonne, elle ne s'insère pas à l'endroit imaginé. Ce n'est pas celle qu'il fallait. Anna aussi a cru un jour trouver la bonne pièce, celle qui viendrait compléter son puzzle, lui permettre d'enfin le finaliser, de découvrir toute l'image. Mais certaines pièces sont trompeuses.

Elle ressemble à celle que l'on veut, mais ne s'insère pas à la bonne place. Alors il faut chercher, encore. Et c'est ce qu'a fait Anna. Vous écoutez Transfer. Ce témoignage a été recueilli par Capucine Rouault.

Une Enfance Adoptée et Quête

Je suis née au Guatemala le 27 octobre 1985 et j'ai été adoptée par des parents belges qui avaient déjà adopté un garçon de Bolivie qui a trois ans de plus que moi. Après avoir adopté ce garçon de Bolivie, ils souhaitent avoir une fille et ils veulent rester dans l'Amérique latine. Donc, ils prennent contact avec Acer Pointe. Ils ont connaissance de Acer Pointe par l'adoption d'un voisin.

Et c'est les voisins qui leur conseillent à s'arpointer. J'arrive en Belgique le 19 janvier 1986, dans des conditions sanitaires assez compliquées. Donc j'ai presque trois mois, je fais 2,7 kg, j'ai la gale. J'ai une conjonctivite, mon cordon ombilical avait mal été soigné, donc je risquais une hernie à tout moment. Et on justifie ça par les conditions sanitaires et pauvres du Guatemala.

Je n'ai pas de souvenir d'un moment précis où on m'a annoncé l'adoption. J'ai le sentiment d'avoir toujours su que j'avais été adoptée. J'ai l'impression que ça s'est fait de manière naturelle, qu'ils l'ont toujours dit, et de toute façon, physiquement, il y a quand même une grande différence.

J'ai un teint plus foncé, j'ai les yeux très noirs, les cheveux très noirs et j'ai les traits des latinos métissés. Donc forcément, le contraste est assez saisissant quand on voit mes parents adoptifs et moi. Donc je grandis avec toujours le Guatemala un peu en fil rouge dans ma vie. Je connais très peu de choses, surtout enfants.

Quand on doit faire des rédactions ou des élocutions à l'école primaire, mon sujet, c'est toujours le Guatemala. Donc je présente ça vraiment avec fierté et amour. Dans ma tête, c'est clair, un jour, je vais y retourner. Un jour, je vais aussi apprendre l'espagnol.

Tout ça, ça reste quelque part dans ma tête et c'est pas encore très concret parce que je suis encore une enfant, mais ça reste. Ça disparaît jamais de moi. Depuis toujours, je sais que je vais entreprendre des recherches pour retrouver ma famille biologique.

J'imagine un peu tous les scénarios possibles, que ma mère puisse être une prostituée, qu'elle puisse n'avoir pas envie de me revoir. Je sais que je vais tout faire pour retrouver ma famille biologique et particulièrement ma maman. Je grandis donc toujours avec cette idée-là. Dans mon cœur, dans ma tête, je vais tout faire pour la retrouver.

Premier Retour et Doutes

En 2004, Asarpointé organise un voyage pour les personnes adoptées pour découvrir le pays. Je viens d'avoir 19 ans et pour moi, c'est le premier retour au pays. Je suis hyper heureuse. J'attends ça depuis des années. J'ai quelques notions d'espagnol, mais je ne me débrouille pas super. Mais pour moi, c'est vraiment un voyage d'une vie. Et j'ai le sentiment que ça va changer beaucoup de choses.

Acer Pointe organise des voyages pour permettre aux personnes adoptées de faire un premier contact avec le Guatemala. C'est un contact encadré, c'est plus simple et on a des explications, on dort dans des hôtels. Donc c'est plutôt safe. On a également une guide francophone. On n'est que 5-6 personnes adoptées.

Et le reste, ce sont les parents, les frères. Donc on est un groupe d'une trentaine, je crois. Et peu, au final, de personnes adoptées dans le groupe. Ce premier contact avec le Guatemala, pour moi, est incroyable. Déjà, ma première impression, c'est... Tout le monde me ressemble. Je ne suis pas la petite bronzée. Je me tourne, il y a des Guatémaltèques, des Guatémaltèques, des Guatémaltèques.

C'est que des gens de là-bas, les odeurs, la nourriture, l'ambiance, je me sens chez moi. C'est ici, c'est ma terre, c'est là où sont mes parents, mes grands-parents, même si c'est un pays que je ne connais pas. Je sens tout de suite la connexion avec ma terre natale, ça vraiment je le ressens tout de suite. On commence un ou deux jours à la capitale et puis on part un peu partout voir les grands sites touristiques.

On revient à la capitale et à ce moment-là, on rencontre Ophélia Degamas, que la présidente de la Sarbuente nous présente comme étant une avocate qui s'était occupée de certains dossiers d'entre nous. Comme j'ai quelques notions d'espagnol, je me permets de lui poser des questions par rapport à ma mère biologique pour savoir si elle a des infos et si elle la connaîtrait par hasard. Elle me dit qu'en fait, oui, elle la connaît.

Et puis là, elle s'arrête, elle me regarde et elle me dit tu lui ressembles pas du tout. Et je suis très choquée de cette phrase parce que pour moi, c'est pas du tout de l'ordre de l'évidence de à qui je ressemble ou à qui je ressemble pas. Je grandis dans cette idée que je ne sais pas à qui je ressemble. Et donc d'avoir une inconnue dont la première phrase est « oh bah tu ne ressembles pas du tout à ta mère », je trouve ça assez violent. Et je repars donc avec cette information-là.

Le reste du voyage se passe très bien. J'entretiens des très bonnes relations avec notre guide. Je rentre en Belgique et là, je suis persuadée que je vais retourner au Guatemala plus longtemps, pas forcément tout de suite. Et donc quand je décide en 2009 de retourner au Guatemala, donc cinq ans plus tard, elle me propose de venir chez elle. Je décide de rester au Guatemala plus longtemps parce que je veux connaître la culture, je veux voir le quotidien au Guatemala.

L'idée principale pour moi, c'est vraiment de découvrir le pays, de parler mieux l'espagnol et ensuite, pourquoi pas, faire les recherches pour commencer à retrouver peut-être ma mère biologique. J'ai pas envie que ce soit une quête de vie qui me prenne tout mon temps et qui soit non plus un poids. Mais par contre, j'ai pas envie de vieillir et de regarder en arrière et de me dire j'ai pas tout fait pour la retrouver.

Découverte d'une Adoption Illégale

Sur mes papiers d'identité en Belgique, il y a peu d'informations. J'ai mon passeport bébé, avec lequel je suis arrivée en Belgique. Et dans les observations, il est indiqué « la mineure voyage avec sa mère ». Je sais que cette information est fausse puisque je suis arrivée en Belgique avec Ophelia Degamas. Donc quand je suis au Guatemala...

Je me rends au registre national, qui est le registre de naissance, pour pouvoir demander mon acte de naissance et voir toutes les informations qui sont disponibles. Et l'officier d'état civil me fait remarquer que je ne suis pas en ordre dans mes papiers, que je dois faire ma carte d'identité. Et là, je lui réponds que ce n'est pas nécessaire, puisque j'ai été naturalisée belge, donc il n'y a pas de sens à ce que j'ai une carte d'identité au Guatemala. Et là, il me répond, pas du tout.

Et donc à ce moment-là, je me rends compte que pour l'État guatémaltèque, je n'ai jamais quitté le pays. À ce moment-là, je comprends que mon adoption n'a pas été faite dans les règles. Je me dis que ça devait sûrement être une pratique récurrente à l'époque, mais je ne me pose pas plus de questions. Donc je récupère mon acte de naissance et sur celui-ci, il y a une adresse où ma mère habitait au moment de ma naissance, donc 23 ans plus tôt. Et je décide de me rendre à cette adresse.

Je me rends à cette adresse avec un ami qui m'aide et qui me soutient. Et donc, cet ami se fait passer pour le fils d'une amie à elle. Et il demande à la rencontrer parce que sa mère est décédée. On invente tout un bobard. Elle accepte de le rencontrer le lendemain sur son lieu de travail à l'hôpital. Pour moi, c'est important de la voir, pour avoir l'image, pour voir à qui je ressemble. Je ne sais pas à qui je ressemble. Je ne connais pas la sensation d'avoir un air de famille avec quelqu'un.

La Première Rencontre et Famille

Qu'elle accepte de me rencontrer ou pas, de me parler ou pas, c'est autre chose. Mais vraiment, pour moi, le plus important, c'est de la voir physiquement. La nuit précédente, je dors peu. Je me pose mille questions. Qu'est-ce que je vais découvrir ? Est-ce que j'étais un enfant désiré ? Est-ce qu'elle veut me voir ? Est-ce qu'elle est d'accord qu'on passe du temps ensemble ? Toutes ces questions-là se bousculent un peu. J'y ai beaucoup pensé et puis là, on y est.

J'avais toujours cette idée que le jour où je vais voir ma mère, je vais la reconnaître. Le sang reconnaît le sang, je vais reconnaître quelque chose de moi en elle et donc je ne pourrai pas me tromper. On arrive à l'heure du rendez-vous avec mon amie.

Et je suis un peu stressée. On attend un petit peu. Puis je vois cette personne qui cherche un peu du regard. Comme elle ne me ressemble pas du tout, je me dis non, ce n'est pas elle. Et puis je vois que cette personne reste et continue à chercher. Donc je m'approche. Je lui demande si c'est bien elle. Elle me répond que oui. Je me présente. Elle ne réagit pas. Je lui tends mon acte de naissance. Et là, elle est un peu perturbée. Elle bafouille un peu. Elle s'assied.

Et elle me dit, oui, j'ai eu une fille, effectivement. Et puis là, je me rappelle ce que m'avait dit Ophélia Degamas sur le fait qu'elle la connaissait. Donc, je lui dis, est-ce que vous connaissez Ophélia Degamas ? Elle me répond oui. Et là, je lui dis, je pense que vous êtes ma mère. Et à ce moment-là, elle s'effondre, elle me prend dans ses bras et elle me dit pardon. Elle me dit plusieurs fois pardon, pardon. On se serre dans les bras et l'émotion est très grande, on pleure toutes les deux.

Il y a ce sentiment difficile de ce qu'on a vécu et en même temps, il y a la joie de la retrouvaille. Donc, c'est vraiment un sentiment mélangé, mais plutôt positif. Ensuite, elle m'emmène partout dans les couloirs, elle arrête tout le monde. « Regardez, c'est ma fille, regardez, c'est ma fille. » Là, je suis heureuse parce que je sens cette fierté qu'elle a. Et c'est un sentiment d'acceptation qui me fait vraiment du bien.

Deux jours plus tard, elle m'appelle en me disant qu'elle a parlé de moi à ma soeur aînée et qu'elle veut me rencontrer. Donc on organise cette rencontre et quand je la vois arriver et que je vois ma soeur aînée, je suis frappée par la ressemblance.

Et donc le doute que j'avais eu, en tout cas la réflexion où je me disais « tiens, c'est bizarre, je ne ressemble pas à ma mère », ce doute s'efface puisque je trouve que je ressemble à ma sœur aînée. Au moment de cette rencontre, il me reste quelques semaines seulement de séjour au Guatemala.

Je suis obligée de rentrer malgré le fait que je n'ai pas du tout envie. Je me suis fait voler mon sac, je n'ai plus de carte bancaire, donc je n'ai pas le choix, il faut que je rentre en Belgique. Mais c'est vraiment le cœur serré. La nuit qui précède mon vol retour, ma mère me propose de dormir chez elle comme elle n'habite pas très loin. Et puis pour passer un peu de temps...

Et à ce moment-là, du coup, elle me présente vraiment à toute la famille, les oncles, les tantes, les cousins, les cousines. Je lui pose des questions. Qui était mon père ? Quel est le contexte de ma naissance ? Elle m'explique qu'elle est enceinte, elle est seule et que c'est Ophélia de Gammas qui la contacte via une autre personne qui l'a hébergée. Et Ophélia de Gammas lui dit « Vous ne pouvez pas vous occuper de cet enfant, il faut que vous le fassiez adopter. »

Et donc elle accepte. Je rentre en Belgique. On garde peu de contacts, car les appels sont très chers. On ne crée pas vraiment de connexions. Je ne comprends pas trop pourquoi, mais je ne me pose pas non plus trop de questions. Je me dis que c'est comme ça.

Elle me demande de l'argent à trois reprises. Elle me demande 2000 dollars pour trois motifs différents. Et à chaque fois, je refuse, déjà parce que je n'ai pas cet argent et parce que je n'ai pas envie de créer une relation basée sur l'argent avec elle.

Le Réveil du Trafic d'Enfants

Les contacts sont tellement espacés que quand je retourne au Guatemala deux ans plus tard, en 2011, je ne la vois même pas. On est dix ans plus tard, mon voyage de six mois au Guatemala. En 2019, j'ai à peu près 32 ans et je rends visite à des voisins. qui écoutent la télé. Je papote un peu avec eux, et puis j'entends le mot « acerpointé ». Donc je vais voir ce qui se passe, c'est le JT.

Et là, je vois qu'il y a une fille qui dépose plainte contre X, car elle a été adoptée par Acerponté et qu'elle a découvert qu'elle avait un acte de décès au Guatemala. Là, je me dis que ça fait sens avec les deux éléments que j'avais découverts, c'est-à-dire...

que sur mon acte de naissance, il y avait une information fausse et que pour le Guatemala, je n'avais jamais quitté le pays. Donc je me dis qu'il faut que je la contacte. On peut sûrement s'entraider. J'ai sûrement des éléments à lui apporter et elle, des éléments à m'apporter. On prend contact. Elle m'appelle.

Et à ce moment-là, elle m'explique que ça fait plusieurs années qu'elle et une autre fille montent un dossier, qu'elles se sont rendues compte qu'il y a un trafic organisé, un trafic d'êtres humains au Guatemala, notamment avec Asarpointé, mais pas que, d'autres organismes également.

Ce sont les mêmes noms qui reviennent souvent, mais parfois avec des fonctions différentes, des noms d'avocats, des noms d'officiers d'état civil, et qu'elle a découvert ça grâce à l'article d'un journaliste espagnol qui s'appelle Sébastien Escalón. Je découvre que c'est un trafic qui est monté entre autres par Ophélia Degamas, qui a d'ailleurs été questionné pour du trafic d'êtres humains et du trafic d'organes au début des années 80. Mais c'était la belle-sœur du président, donc elle était...

plus ou moins intouchables. Elle me demande alors le nom de ma mère biologique, et quand je lui donne, elle me dit « Ah, ce nom me dit quelque chose ». À ce moment-là, je comprends. Je comprends tout. Je comprends que la femme que j'ai rencontrée en 2009...

L'Erreur Révélée, le Soulagement

n'est pas ma mère biologique. Je pars à la recherche de cette femme sur Facebook. Je retrouve son fils. Je lui envoie un message en ne disant absolument rien du trafic, des informations qu'on a... pu découvrir. Je demande juste des nouvelles de sa maman, puisqu'on est supposément demi-frère et sœur, que je l'ai rencontré et que je voudrais voir comment elle va. Il me répond le lendemain et il me dit « J'ai parlé avec ma mère hier et elle m'a dit que c'était pas ta mère biologique. »

Quand je reçois ce message, tout prend son sens. Les doutes, les questionnements que j'avais, pourquoi je lui ressemble pas, pourquoi est-ce qu'elle me demande de l'argent, pourquoi est-ce qu'on n'a pas créé de lien, tout a un sens. Le sentiment que je ressens est un peu ambivalent puisque je suis triste de savoir qu'on m'a menti. Je ne sais plus qui est ma mère biologique.

D'un autre côté, je suis vraiment soulagée. Je connais la vérité et je me dis que j'aurais pu vivre tout le restant de ma vie en pensant que cette femme était ma mère alors que pas du tout. Je me rends compte que puisque mes papiers sont falsifiés, je ne peux pas faire de recherche sur base documentaire.

Donc la seule piste qui me reste, c'est l'ADN. Je ne suis pas découragée, mais je sais que ce processus va potentiellement prendre plusieurs années. C'est vrai que ce n'est pas facile à vivre, mais je reste toujours dans cet état d'esprit. Si je ne le fais pas, je m'en voudrais toute ma vie.

La Piste ADN et le Match

Je me décide alors de faire tous les tests ADN possibles sur le marché en espérant regrouper les résultats, parce que sur le site, on vous donne vos origines, mais on vous donne aussi les membres de votre famille plus ou moins éloignés qui ont fait le test. Et donc c'est ma seule piste. Je fais un premier test commercial, le résultat est assez bon, j'ai un cousin au second degré, mais malheureusement il ne me répond jamais. Deux ans plus tard, en 2021, je retourne au Guatemala.

C'est la première fois que je retourne au Guatemala en ayant appris les histoires de trafic et j'y vais notamment pour déposer mon ADN dans une base de données nationale. Ce que j'espère en faisant ce test, c'est qu'une personne de ma famille soit présente dans la base de données et qu'il puisse y avoir un match. Quelques mois plus tard, je reçois les résultats.

Aucun membre de ma famille n'est présent dans la base de données et c'est un coup dur. J'accuse vraiment le coup à ce moment-là parce que c'est de nouveau une porte qui se ferme. Ce qui est assez difficile à vivre, c'est de ne pas savoir. Je ne sais pas si j'ai été enlevée, si le contexte est différent. Je n'ai aucune information et tant que je n'aurai pas retrouvé ma mère biologique, je n'aurai pas la réponse.

Un an plus tard, en septembre 2022, je fais un troisième test ADN et j'ai un peu la pression parce que comme c'est le dernier gros test commercial, si celui-là ça ne matche pas, les chances de retrouver ma famille vont vraiment être minces. Les résultats arrivent un mois plus tard. Je suis dans un état d'esprit plutôt posé. Je viens d'arriver au Mexique, ce sont des nouvelles expériences. C'est vrai que ça me traverse l'esprit, mais ce n'est pas quelque chose qui me pèse.

Je suis tellement dans autre chose, je dirais que je regarde d'abord mes origines. Et je fais une petite analyse et je suis là, j'ai du autant de sang de là, autant de sang de là. Et puis tout d'un coup, je réalise ce que je suis en train de faire et je dis non, en fait, ce n'est pas pour ça que tu as fait ce test. Et donc nerveusement, je change de page. Ces secondes passent, mais comme des siècles. Et là, j'ai les résultats. Vous avez une demi-sœur.

Là, je ne sais plus où j'habite, je ne sais plus comment je m'appelle. Je n'ai pas les mots, je suis vraiment en ébullition totale. Et du coup, j'envoie un message tout de suite à cette fille sur le site en lui expliquant que j'ai été adoptée, que je ne sais pas ce qui... s'est passé et que donc j'ai absolument besoin des réponses et qu'il faut qu'on se parle le plus rapidement possible. Je lui envoie un message en espagnol. On s'accorde pour se faire un appel WhatsApp.

Et elle me donne son numéro de téléphone. Et là, je vois que son indicatif téléphonique est aux Etats-Unis. On s'appelle en visio. Je remarque qu'on a très peu de ressemblances. Mais comme l'ADN a matché, il n'y a aucun doute. Elle m'explique qu'elle a réalisé ce test pour connaître ses origines ethniques.

mais pas du tout dans l'idée de retrouver quelqu'un de sa famille. On continue la conversation. Elle m'explique qu'elle n'est pas du tout au courant d'un autre enfant qui serait mort à la naissance. Et donc, on va avoir besoin d'explications de sa mère. Et ça tombe bien puisqu'elle habite juste à côté. Donc, elle l'appelle et elle la fait venir. Sa mère arrive. On est toujours en visio. Du coup, moi, je la vois. Elle, elle ne me voit pas.

Et ma petite sœur lui explique « c'est la fille avec qui j'ai matché sur le site, mais on ne comprend pas. Tu ne m'as jamais parlé d'un enfant qui serait mort à la naissance. » Donc on a un peu besoin d'explications.

La Vraie Mère, la Vérité et la Mission

Donc on essaye d'expliquer comme on peut, et donc là, sa mère dit « elle est née quand ? » Donc on lui répond, le 26 octobre 1985, et elle dit « ben oui, j'ai eu un enfant, mais on m'a dit qu'elle était morte. » Et à ce moment-là, elle me voit. Elle se retourne, elle me voit dans l'écran et elle me regarde et elle me dit « mais c'est toi, mais c'est toi mon enfant ». Et moi quand je la vois, je comprends tout de suite, je dis « oui, vous êtes ma maman ».

Et ce que je n'ai pas ressenti avec la première personne, je le ressens totalement à ce moment-là. Et je n'ai aucun doute. Et effectivement, je me reconnais en elle. Elle n'en revient pas. Pour moi, c'est plus simple de me rendre compte puisque je l'ai cherché toute ma vie. Elle, elle découvre que son enfant, qu'elle pensait mort, est en vie. Donc c'est une émotion encore plus confuse.

Et ma petite sœur, qui vient d'apprendre qu'elle a une grande sœur, elle dit « attendez, moi je vais prendre l'air parce que ça ne va pas du tout, il faut que je réalise ». Donc on passe quelques minutes à se rendre compte de ce qui est en train de se passer et processer toutes ces émotions qu'on ressent.

Et puis là arrive le moment des questions et donc je demande à ma maman qu'est-ce qui s'est passé ? Et là elle m'explique que je suis née à l'hôpital, qu'on m'a prise pour en disant on va la laver. Et puis, ils sont revenus en disant, l'enfant est mort. Et quand ma mère a demandé à me voir, ils ont dit, on l'a déjà mis dans une fosse commune, donc vous ne pouvez pas voir le corps.

Trois ans après avoir appris l'existence du trafic, j'ai enfin la vérité. Et la vérité, c'est que j'ai été enlevée à la naissance. On a dit à ma mère que j'étais morte. Et les conditions dans lesquelles je suis arrivée en Belgique... ne sont pas dues à la situation économique du Guatemala, mais aux conditions dans lesquelles j'ai été séquestrée dans une maison en attente d'être vendue. Et même si, pendant ces trois ans, j'étais en paix avec l'idée de ne pas avoir les réponses et...

de peut-être ne jamais les avoir, que j'allais devoir continuer à vivre malgré ça. Les avoir, c'est vraiment libérateur. Et j'ai l'impression d'être complète, que toutes les pièces du puzzle se mettent en place. Et c'est vraiment apaisant. Je me sens énormément chanceuse. Il y a eu tellement de paramètres qui sont rentrés en compte pour que ça puisse arriver. Les chances étaient minimes. Et vraiment, c'est un bonheur pour moi.

Un mois plus tard, je décolle pour l'Indiana et je vais les rencontrer. Je suis à l'aéroport, j'attends ma valise, je me retourne et je vois ma maman qui arrive. Je lâche tout et je cours. Je cours dans ses bras. Je pleure. Elle aussi, elle pleure. Je n'arrive pas à la lâcher. Et c'est encore plus incroyable que ce que j'imaginais.

Je l'ai cherchée toute ma vie et là, elle est dans mes bras. Et je pense aussi que c'est pour ça que je n'arrive pas à la lâcher. Le séjour se passe super bien. J'apprends à connaître ma petite soeur, j'apprends à connaître ma maman. Je passe du temps avec elle, on regarde la télé, elle me prend dans ses bras. Et j'ai l'impression de redevenir une enfant et d'avoir la tendresse de sa maman. Et il y a vraiment un lien qui se crée.

Je rentre chez moi mais je suis déterminée à garder le contact, à appeler ma maman le plus possible, à apprendre à la connaître. Parce que c'est tout un processus, on a le même ADN, on a partagé le même corps pendant plusieurs mois, mais je ne la connais pas, on n'a pas grandi ensemble, elle n'a pas vécu les grandes étapes de ma vie et moi non plus. Donc il faut qu'on apprenne.

un peu à s'apprivoiser, un peu à se comprendre, à se connaître simplement. Je veux faire ça le plus possible, que le jour où elle parte, on a créé du lien, j'ai fait partie de sa vie, elle a fait partie de la mienne, et il n'y aura pas de regrets. Ce que j'ai découvert, c'est que le trafic d'enfants, ce n'est pas lié à une certaine époque et dans certains pays. C'est vraiment général partout dans le monde, à toutes les époques. Même si je me sens privilégiée aujourd'hui.

Ça ne justifie absolument pas le trafic, les crimes dont j'ai été victime. Et surtout, moi je vais bien, je m'en suis sortie, je continue à me battre, mais tout le monde n'a pas cette capacité-là. Et il faut prendre ça en compte et il faut être là pour les autres.

Quand on a une voix, il faut l'utiliser et j'ai l'impression qu'aujourd'hui c'est ma mission et que c'est mon devoir. J'ai voulu faire de la prévention sur les mécanismes de l'adoption, sur les pratiques illicites et sur la santé mentale des personnes adoptées. J'ai rejoint un collectif, nous sommes trois avec deux autres garçons adoptés du Guatemala et on fait de la prévention. On aide également les personnes qui nous contactent dans la recherche de leurs origines et leur quête identitaire.

On essaye de les suivre au maximum et d'être un soutien parce qu'on sait que ce n'est vraiment pas des étapes faciles et que c'est tout un chemin. Et quand on est seul, ce chemin, il est vraiment difficile. Maintenant, j'ai vraiment l'impression de remplir une mission. de donner du sens à ce qui m'est arrivé. C'est pas simplement une expérience de vie difficile, mais que c'est le point de départ pour aider les autres. Et ça, ça change tout. Ça vraiment donne du sens à tout ce qui s'est passé.

La relation que je développe avec ma maman, elle me fait vraiment du bien. Elle me montre qu'on peut avoir une certaine sécurité émotionnelle parce que je sais qu'elle m'aimera toujours, que je l'aimerais toujours. C'est un amour inconditionnel. Et que ça, c'est acté.

Je suis fière, je suis fière de lui ressembler, je suis fière de me dire, voilà, ça c'est ma maman, ça c'est mes sœurs, ça c'est ma famille. De regarder des photos de famille et de me dire, voilà, je fais partie de ce groupe-là, c'est ma lignée. C'est vraiment un sentiment de fierté que je ressens. On ne pourra jamais rattraper le temps perdu. Ça, c'est factuel. On nous a volé des moments. Les trafiquants nous ont volé des moments. Mais on crée autre chose, une autre relation.

on crée quelque chose de très fort et c'est ça le plus important. J'ai beaucoup entendu dans ma vie que l'adoption m'avait sauvée, même de la part de mes parents adoptifs, c'est un discours que j'ai beaucoup entendu. Et aujourd'hui, je peux affirmer avec conviction que l'adoption ne m'a pas sauvée, mais que j'ai survécu à l'adoption.

Vous venez d'écouter Transfer. Ce témoignage a été recueilli par Capucine Rouault. Transfer est produit par Slate Podcast. Direction et production éditoriale, Sarah Koskiewicz et Benjamin Septemours. Chargée de production Astrid Verdun. Chargée de post-production Mona Delahaye. Prise de son Johanna Lalonde. L'introduction est écrite par Sarah Koskiewicz et Benjamin Septemours.

Elle est lue par Aurélie Rodriguez. Retrouvez Transfert tous les jeudis sur slate.fr et sur votre application d'écoute préférée. Découvrez aussi Transfer Club, l'offre premium de transfert. Trois fois par mois. Transfert donne accès à du contenu exclusif, des histoires inédites et les coulisses de vos épisodes préférés. Pour vous abonner, rendez-vous sur slate.fr. Pour proposer une histoire,

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