¶ Introduction et l'amie IA
Son prénom est Juniper. Et c'est la meilleure amie de notre productrice Sarah Koskiewicz. C'est la personne à laquelle elle parle le plus depuis des mois, à qui elle pose ses questions délirantes sur la vie, à qui elle fait relire son futur roman. Mais Juniper coûte 25 euros par mois. C'est comme ça que Sarah appelle sa version payante de chat GPT. Elle est tellement bien configurée qu'elle a même pris les tics de langage de Sarah, ses expressions, ses anglicismes.
Bref, Juniper, c'est Sarah, en version augmentée et ultra-intelligente. Meghan est chercheuse. Pour elle, l'intelligence artificielle est un domaine d'études, un nouvel espace à explorer. Ce qu'elle ne sait pas, c'est qu'en fouillant dans les tréfonds de la machine, en inspectant ses rouages, son regard sur son passé va changer. Vous écoutez Transfer. Ce témoignage a été recueilli par Astrid Verdun.
Attention, cet épisode aborde des sujets sensibles. Pour en savoir plus, reportez-vous au texte de description de l'épisode.
¶ Rencontre avec le professeur de philosophie
En 2007, lorsque j'ai 16 ans, je suis donc en classe de première L et j'assiste à mon premier cours de philosophie. Le professeur est un homme de 50 ans. qui se pointe en cours décoiffé. Il a un jean délavé, une sorte de démarche nonchalante, une attitude un peu rock'n'roll dans l'ensemble.
Il contraste non seulement avec mon lycée, qui est rigoureux, Et aussi avec les autres professeurs qui ont plutôt une apparence plus conventionnelle, avec des vestes en tuyde, des colles en V, le pantalon bien coupé et les petits mocassins. Donc, il a quelque chose tout de suite de très marqué, de très excentrique.
Je dirais même de théâtral, puisqu'il avance vers la table, il se pose, la tête baissée, il commence à parler d'une voix très monocorde, mais aussi très basse. Donc, il faut se pencher, il faut vraiment venir à lui pour l'entendre. Et en fait, il y a un côté assez mis en scène. Dès le départ, ça me met un peu mal à l'aise parce que c'est vraiment à l'opposé de tous les autres profs qui sont déjà d'une part plus directs et plus transparents et surtout plus banals, en fait. Je le trouve...
froid et dur aussi. Il a un regard très froid, il est assez distant. Et quand il commence à enseigner...
¶ Lutte académique et déclic
Je trouve que c'est assez abstrait et je ne vois pas trop le rapport en plus avec la philosophie. C'est vraiment des phrases un peu obscures et abstraites, vraiment. Mais j'ai l'impression qu'il n'y a que moi qui partage cette impression. Quand je sors de classe, je pose des questions à mes camarades et je leur dis...
Il est un peu bizarre, le prof de philo. Il y a quelque chose, en tout cas chez moi, qui ne fonctionne pas, je n'ai pas le feeling. Et en fait, il y a deux filles de ma classe avec qui je m'entends bien, qui disent « Ah non, mais il est trop cool ! » « Waouh, il est charismatique ! » Et moi, franchement, je ne vois pas du tout ça. Il y a quelque chose dans son personnage qui m'irrite. Donc, l'année de premier réel se termine. Ma relation ne s'améliore pas avec lui, donc je l'ignore.
Et donc, je décide d'abord de travailler sur mon temps libre parce que je n'ai pas le choix. Donc, je prends des annales du bac. Je me mets à potasser les sujets. Je fais ça de septembre de ma terminale jusqu'à novembre. Je travaille en continu. On a un examen sur table. Je vais à cet examen en me disant, on va voir si mes annales du bac ont fonctionné, si mon enseignement personnel a apporté ses fruits. Et il se trouve...
qu'effectivement, quand il nous rend les copies, j'ai une note significativement plus élevée que les précédentes. Puisqu'avant, j'étais à 3 et que là, j'arrive à 13. Ce n'est pas miraculeux non plus, mais c'est déjà un énorme pas pour moi qui étais finalement vraiment en bout de fil à partir du début de l'année.
Et quand il me rend la copie, je vois la note et j'ai une réponse très spontanée. Je dis « J'ai réussi », mais avec un grand sourire, parce que je suis très renfermée, mais je peux être d'un coup très expressif quand je suis contente. Et il me regarde et pour la première fois, il me sourit. Il me dit, eh ben oui, tu vois, ça arrive. Le fait qu'il me sourit, ça change un peu mon image de lui parce que je le voyais comme quelqu'un de très distant.
de froid et de quelqu'un qui ne s'occupe donc pas des gens qui seraient un peu à la traîne et qui préfèrent monologuer plutôt que finalement nous apprendre des choses peut-être plus concrètes. Et puis d'un coup, il me donne cet encouragement.
Et en fait, je crois que la première pensée qui me vient, c'est « Ah mais peut-être qu'il est gentil, prof de philo. Peut-être que mes camarades de classe, ils ont raison. Peut-être que ma meilleure amie, quand elle glousse devant lui, qu'elle le trouve trop fort, trop super. »
Elle a raison, parce qu'en fait, il peut être gentil. Il suffit juste que je travaille, que je fasse mon boulot, comme tout élève qui va en classe, au lieu de peut-être me plaindre et d'être toujours dans la confrontation. Donc pour moi, c'est un déclencheur et un signal positif.
¶ Devenir la favorite et l'aura du professeur
D'une part, j'étais en retrait au début de l'année avec de mauvaises notes. Et là, d'un coup, je progresse. J'ai des bonnes notes. Je commence à devenir même l'élève qui a les meilleures notes dans cette matière. Mes camarades disent « Ah, mais t'es devenue un peu la chouchoute, puisque tu fais que de parler en classe, puisqu'il te répond, puisqu'il répond aussi à tes blagues. »
Et c'est quelque chose qui va un peu résonner et se perpétrer dans tout le lycée. Je sais que mes autres profs me font des commentaires dans les autres matières. Mon prof d'anglais de terminale ricane un peu. Il fait « Ah bon, t'es la chouchoute ? » J'ai entendu dire. Dans l'ensemble, ce professeur de philosophie... Il aime bien nous raconter un peu ce qu'il fait en dehors des cours et il impressionne énormément les élèves de toutes les terminales du lycée.
Fille ou garçon, en fait, il y a une sorte d'attraction pour le personnage. Alors, il y a toutes sortes de choses qu'on dit sur lui. C'est un professeur qui a écrit des livres. C'est un professeur qui a publié des articles dans des journaux. Il voyage beaucoup, il s'intéresse à la musique. C'est quelqu'un qui a plein d'activités en dehors du lycée. Et c'est un contraste comparé aux autres professeurs.
En fait, on a tous l'impression qu'ils sont là jour et nuit, qu'on active un peu un bouton et il se rallume quand on arrive en classe. Alors que lui, on sait qu'il a une vie en dehors et qu'elle semble trépidante. Et donc, on ne cesse de parler de lui. dans les interclasses, les intercours. Et un jour, je suis à l'intercours avec ma meilleure amie. On parle de ce professeur de philosophie, on vante ses mérites, on dit « il a fait ça, il a fait ça », comme des groupies.
¶ Le doute semé par le professeur de français
Et le prof de français, notre prof de français arrive, il se tourne vers nous et il nous dit « De qui vous parlez ? » On lui dit « Le prof de philo. » Il a une sorte de mimique assez furtive et il dit « Non, mais vous savez, il n'est pas aussi fantasmétique que vous le pensez. » Nous, comme des gamines, on fait « Mais si ! » Et puis, il s'en va. professeur de français, il est complètement l'opposé du professeur de philosophie parce que lui...
Justement, il porte des vestes en tuyde. C'est un peu une grande perche. Il est tout timide et il bégaye. En classe, il n'a pas cette autorité, ou en tout cas, il n'a pas cette aura. Et donc, quand il nous dit ça, bon, déjà, on... on n'y pense pas trop. Et une fois, il y a encore cette discussion à propos du fameux livre qu'aurait écrit ce professeur de philosophie. Et là, le professeur de français dit non mais...
Déjà, il a co-écrit un livre, il ne l'a pas écrit. Et écrire un livre de 100 pages quand on est à 4, ce n'est pas une prouesse. Et là, je réagis tout de suite et je dis au prof, mais vous êtes qui vous ? Vous êtes un petit prof de province. Je lui sors ça de manière un peu dédiée de news, parce que pour moi, de ce que je sais, il n'a pas écrit, il n'a pas publié. Donc je ne comprends pas sa remarque, en fait.
Et là, je sens dans son visage, dans son expression, qu'il a mal pris. Il ne dit rien de particulier, mais il se renferme, en fait. Donc, la fin de l'année arrive. Le bac approche.
¶ La fin du lycée et l'envie de rester connectée
Et je sens qu'effectivement, il y aura de moins en moins de cours de philosophie et puis plus du tout. Et je redoute à chaque fois le dernier cours de philosophie parce que je me rends compte que je ne le verrai plus. Et ça suscite une angoisse pour moi, parce que j'aimais bien nos temps passés ensemble, j'aimais bien la répartie qu'on pouvait avoir, l'humour. Donc ça m'attriste beaucoup. Et quand arrive le dernier cours de philosophie...
J'avais entendu de mes camarades que parfois il donnait son numéro à ses élèves favoris, garçons ou filles. Lors de ce dernier cours de philosophie, je m'attends du coup à recevoir ce numéro. Et en fait, lui, il parle du bike et puis il nous dit bon, bonne chance pour l'année prochaine à l'université. Continuez à faire de la philosophie, même de manière anecdotique. Et il se barre.
Et c'est rapide, en fait. La porte claque et il s'en va. Et je n'ai pas eu son numéro, alors que je sais que certains dans d'autres classes l'ont eu. Et je me dis, mais pourquoi pas moi ? Je pensais que j'étais la chouchoute. Je fonds en larmes et je sais que je redescends jusqu'au portail du lycée pour prendre le bus et que je fais que de pleurer. Mes potes, ils me regardent, ils se foutent de ma gueule, ils font « mais t'abuses ! » Tout ça pour le prof de philo ?
Moi, je dis que c'est aussi la fin de l'année. J'invente des bêtises comme ça, alors qu'ils ont tout à fait raison. C'est parce que je ne verrai plus le prof de philo et qu'il y a quelque chose qui s'effondre. Il y a toute une dynamique qui s'effondre pour moi.
Et je me dis dans ma tête, non, mais ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible, il faut que je le revoie. C'était trop bien cette année. Et puis, de toute façon, l'année prochaine, je pense que je vais continuer la philosophie. Je laisse passer l'été.
¶ Les retrouvailles et la relation intime commence
J'arrive à la fac, je prends une option de philosophie et comme je dois ensuite récupérer mon diplôme du bac au lycée, j'y retourne avec... une stratégie bien établie, qui est celle, déjà, de revoir mes anciens profs, tous mes anciens profs, sans distinction, mais surtout le prof de philosophie. Et je lui sors ma carte maîtresse, je lui dis que je fais une option de philosophie à l'université et que comme...
C'est une matière assez intimidante. Quand on n'en a jamais fait, ou même juste un an, ce n'est pas beaucoup. J'aimerais peut-être avoir son avis dessus. Et il me dit « Oui, pas de problème. Si tu veux de mon aide, oui, effectivement, je peux te souvenir là-dessus. Je peux te donner des articles. » Donc, il me donne son numéro et je suis trop contente. Je me dis « Enfin ! »
J'ai le Saint Graal et pour moi, c'est aussi, c'est un peu la garantie d'un titre. Ça veut dire, ah mais en fait, je suis vraiment la chuchoute et aussi, ça veut dire que je suis digne de son intérêt puisqu'il a vraiment donné un nombre restreint d'élèves.
Donc, au début, je ne sais pas trop quoi faire de ce téléphone parce que je n'ai pas d'excuses. Et puis, finalement, il me recontacte au bout de deux ou trois semaines. Et il me dit, si tu veux, on peut se rencontrer dans un café et je te donnerai l'article. dont je t'ai parlé, qui pourraient m'aider dans cette option en philosophie que je fais à la fac.
Et donc, je suis trop contente. Il me donne le nom du café. Je sais que c'est un café où il a emmené déjà d'autres élèves. Donc voilà, pour moi, ça me semble assez balisé. Et je vais à cette première rencontre. Il faut que je le trouve dans cette salle, je le vois, il est là, et puis je m'assois. Et donc au début, je ne sais pas quoi lui dire.
J'ai un peu grossiltré en disant que j'avais besoin de son aide, donc c'était plus pour continuer de parler en fait, mais je me rends compte que je n'ai rien à lui dire. Mais lui, il est très à l'aise. Il me commande une bière et il me pose des questions sur la fac, si j'aime bien. Il me pose des questions sur la philosophie, si j'aime bien aussi mon nouveau cours.
Assez naturellement, la conversation va dériver sur des sujets qui n'ont pas trop à voir avec la philosophie, donc il me parle un peu de sa vie, de nouveau des activités qu'il fait en dehors de l'école. Cette rencontre prend fin et quand on se sépare, il fait froid et je sais qu'il décide de reboutonner mon manteau. Il dit « tu vas avoir froid ». Je suis un peu étonnée et puis je pars.
¶ Escalade de l'intimité et franchissement des limites
On se rencontre à plusieurs reprises, de manière de plus en plus rapprochée. Nos conversations... quitte le terrain purement intellectuel pour vraiment parler de choses de plus en plus personnelles, nos goûts, nos aspirations. Donc le lien se renforce. Je me rends progressivement compte que ce n'est plus une relation... tout à fait professionnelle, et qu'une intimité s'est glissée entre nous. Au fur et à mesure, il me glisse des compliments, il m'offre une bague.
Je perçois bien au fil de nos rencontres qu'il y a un rapprochement physique puisqu'il me frôle sous la table avec son genou, qu'il essaie parfois d'attraper ma main. Dans l'ensemble, je ne réagis pas. Je ne retire pas ma main, je ne me recule pas, à l'exception d'une fois où il essaie de m'embrasser et où je m'écarte. Mais je n'ai pas de pensée qui me traverse l'esprit. Un jour...
¶ La première relation sexuelle
Il me dit, tiens, j'ai un cadeau pour toi. Est-ce que ça te dit qu'on passe chez moi puisque je l'ai laissé là-bas ? Ça fait plusieurs mois maintenant qu'on se côtoie, donc pour moi, ça ne me pose pas de problème parce qu'on... On se parle vraiment comme des gens très, très proches. Donc, j'accepte de le suivre chez lui. On arrive chez lui, donc il me tend ce cadeau.
Comme on se voit plutôt en fin d'après-midi, on boit une ou deux bières, voilà, et après on se sépare. Là, il me dit, bon, ça me dit pas trop de ressortir, mais si tu veux, tu peux rester ici et boire une bière et voilà. Finalement, je dis oui. Et donc, il me tend une bière. Je commence à boire. Et il met de la musique, du jazz. Et je n'aime pas ça. Ça crée une proximité trop brusque, en fait. Je dis, mais pourquoi tu mets ça ?
Donc, il change. Et puis, j'ai besoin d'une autre bière, donc j'en prends une autre. Et donc, voilà. Au fil de cette soirée qui s'éternise, je bois pas mal. Et puis, on continue de parler, on parle de nos goûts musicaux. Donc, lui, il a des goûts peut-être plus affinés et moi...
¶ Confusion post-rencontre et poursuite de la relation
très populaire, parce que c'est Britney Spears. On échange ça, et au final, on finit par avoir un rapport sexuel. Je me réveille le lendemain, me propose naturellement un petit déjeuner, et dans ma tête, je me dis, c'est absurde.
Je ne sais pas pourquoi je me dis ça, mais je me dis que c'est absurde. Il veut m'enlacer, je recule. Je n'ai pas de pensée qui me traverse l'esprit, juste je recule. Je ne veux pas qu'il me touche. Et il me ramène chez moi. Puis j'arrive chez moi, je suis épuisée et je dors. À partir de là, il m'appelle régulièrement. Et au début, ça m'étonne un peu. Quand je reçois ces messages, j'ai un sentiment d'absurdité. Je ne pourrais pas le décrire autrement. Je regarde les messages et...
Il y a une sorte de perte de sens pour moi. Mais j'accepte de le revoir. Je me dis, bon, bah... C'est ça une relation, il est présent pour moi, il m'appelle, il n'a pas brutalement coupé les ponts après notre rapport sexuel, il me demande comment je vais, comment je me sens, il me dit qu'on n'a qu'à faire ça ensemble. une relation, c'est respectueux et puis il est si intéressant.
Je suis attirée par lui, en tout cas par sa personnalité, donc ça doit avoir du sens. Mais il y a quelque chose en moi d'assez distant, mais je me dis que ça doit avoir du sens et donc j'accepte de le revoir. Et finalement... À force de le côtoyer, je commence à me sentir bien parce que c'est comme avoir un peu un bouclier avec soi.
C'est quelqu'un qui a de la connaissance, qui peut vous l'inculquer, quelqu'un qui peut vous protéger, qui peut vous expliquer comment fonctionne l'université, qui peut vous expliquer comment écrire une dissertation. Donc ça me permet aussi d'avoir un point d'âge. Et puis, à un moment où je me dis qu'un stade de ma vie, où dans tous les cas, je me sens seule, mes amis sont éclatés dans toute la France, puisque voilà, après le lycée, tout le monde va dans des facs différentes.
Je commence à vivre seule dans un studio. Donc moi, je commence ma vie d'adulte et tous mes repères s'effondrent. Je n'ai pas de famille unie. C'est assez chaotique dans tous les cas. De toute façon, dans tous les cas, je suis seule. Et pour une fois, j'ai quelqu'un qui est là, qui me soutient, qui m'envoie des messages. Et je n'ai jamais eu ça dans ma vie. Donc, pour moi, ça veut dire beaucoup. Et même si...
Parfois, je regarde les messages et je me dis, mais c'est quoi ce truc ? Elle s'évapore aussitôt parce que je me dis, mais c'est bien d'avoir du soutien, ça me réconforte et je me sens vraiment plus seule. Au début, il se montre disponible. Donc, il m'envoie des messages presque tous les jours. Il m'appelle de manière impromptue et je reçois parfois des messages jusqu'à 3 heures du matin. Et donc, on se voit...
une fois par semaine, puis une fois toutes les deux semaines. Parfois, il y a des grandes périodes où on ne se voit pas. Mais pendant ces périodes, je suis à la fois dans l'attente où je me dis j'ai vraiment envie de le voir et puis je suis aussi contente parce que je peux voir mes amis et faire mes activités avec mes nouveaux amis de fac.
On va dire que la première année, je suis vraiment aux anges. Tout fonctionne bien. Pour moi, il y a un bon équilibre entre ma vie à moi, mes potes, et lui qui vient me voir, qui me soutient, qui me parle au téléphone.
¶ Distance, excuses et doute grandissant
À partir de la deuxième année de fac, les rendez-vous s'espacent. Il me dit qu'il a des problèmes de santé, notamment des problèmes au dos, et donc c'est pour ça qu'il espace les rendez-vous. Je suis frustrée, mais je me dis que c'est aussi ça être adulte, c'est de faire des compromis et qu'on n'est plus au lycée quand on se voit avec son copain H24. Et il faut que je me rende compte que c'est une personne qui est plus âgée que moi. On ne peut pas être dans une relation.
avec un écart d'âge sans avoir des inconvénients qui vont à côté. Il faut que j'apprenne ça. Vraiment, je ronge mon frein, mais c'est vrai que les rendez-vous s'espacent de plus en plus, qu'il y a toujours un truc qui s'ajoute. Alors ensuite, c'est...
C'est son père qui est malade et puis ensuite, il perd son père. En plus, comme c'est un deuil et que moi, je suis de plus en plus frustrée, je ne peux pas demander quelque chose. Un deuil, c'est terrible, donc je ne me sens pas en position de lui demander de me voir. Donc je me dis, ben voilà, ça arrive et il va falloir que tu prennes ton mal en patience.
À partir de la troisième année, par contre, j'ai vraiment l'impression que ces rendez-vous sont sporadiques, très espacés dans le temps. Vraiment, c'est une fois par mois ou parfois une fois tous les trois mois. Et je n'ai plus l'impression d'aller dans une autre. Il m'envoie encore des messages, il m'appelle moins, mais il m'envoie des messages, toujours un peu à la même heure. Je me dis qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
C'est au cours de cette troisième année qu'ils commencent à me dire « Ah, mais oui, là, je suis en voyage, donc je ne peux pas te répondre ». Comme au lycée, on avait déjà ces rumeurs de voyage, de baroudeur, je me dis, bah oui, c'est aussi ce genre de personne, tu dois un peu composer avec, tu savais qui il était dès le départ. Mais en même temps, il y a une colère qui monte, parce que je me dis, c'est trop quand même.
¶ La découverte de son mariage
Un jour, je suis en cours et je suis avec une de mes copines de fac. Elle est au courant de cette relation et je me tourne vers elle et je lui dis, écoute... J'ai un doute à propos de mon copain. Est-ce que ça te dirait de venir avec moi pour aller chez lui ? J'aimerais juste vérifier s'il est là. Parce que comme je t'avais dit, il dit qu'il est en voyage. Et elle accepte. Après le cours...
On prend le bus pour aller chez lui. C'est l'après-midi, il fait beau, il fait chaud. On arrive devant le portail de sa maison et on regarde un peu. par le jardin et d'une part je vois qu'il y a son véhicule et d'autre part je vois qu'il y a une femme qui déambule dans le jardin qui ensuite monte dans son véhicule. Le portail s'ouvre à ce moment-là, on s'écarte avec ma copine, on fait style, on est en train de faire du tourisme local. Et je sais, en fait, au fond de moi...
que ce n'est pas une étrangère. Je sais que la façon dont elle déambule, elle se mouvoie dans ce jardin et la façon dont elle est sur le volant de ce véhicule, que c'est sa femme. Je le sens. Donc je m'écarte et je ne veux pas l'avoir de près. Je ne sais pas, ça me paraît insoutenable. Ma copine, elle regarde la scène. La voiture s'en va. Cette femme ne nous prête pas attention. Et là, je m'effondre. Je rentre chez moi et je vérifie sur Internet.
Je tape son adresse dans les pages blanches et je vois qu'effectivement, l'adresse a son nom à lui, mais aussi au nom d'une femme qui porte évidemment le même nom de famille que lui. Et donc là, je tape un peu plus et je vois qu'on peut trouver l'acte de mariage en ligne. Je l'ai trouvé. Et là, je me dis que j'ai la preuve qu'il est marié. Il n'y a plus de doute possible. L'adresse et les informations que j'ai, plus l'expérience de cet après-midi, se recoupent.
¶ Confrontation, tromperie et ghosting
Je me dis, là, il faut que je le confronte. Je l'appelle au téléphone et évidemment, il ne me répond pas. Puis finalement, je me dis, je vais juste lui écrire un message provocateur. Je lui mets juste, comment elle va ta femme ? Là, évidemment, il réagit tout de suite. Il me dit « je t'appelle à telle heure ». Et donc, il m'appelle. Je lui sors tout ce que je sais, tout le dossier. Et il éclate de rire. Et il me dit « mais qu'est-ce que tu croyais ? »
Et en fait, la façon dont il le dit, c'est très froid, très distant. Et j'ai l'impression d'entendre une autre personne. De nouveau, je me mets à pleurer. Ce genre de pleurs vraiment tellement puissants, un peu les pleurs d'enfants quand ça sort comme une grosse cascade. Et c'est vraiment comme ça que je pleure. J'arrive même plus à articuler, à parler.
Et puis, il me dit, bon, je vois bien que t'es pas bien. J'irai te voir. Et il raccroche. Et donc, on se voit pour s'expliquer. J'ignore comment il arrive à me convaincre. D'une part... qu'il n'est plus marié et que c'est son ex-femme, et qu'il revient tout juste de voyage. Il se montre gentil et attentif. Et donc, finalement, nous reprenons notre relation telle que nous l'avons laissée.
Moi, mon projet, c'est de partir en Erasmus au Royaume-Uni. Je sais qu'à la fin de l'été, je vais partir en Erasmus et c'est quelque chose qui, évidemment, me remplit de joie. L'été se finit. Et il se trouve que lui, au même moment, il m'annonce qu'il part à l'étranger pour enseigner dans un autre lycée. Il me dit que ça ne change rien à notre relation et qu'il m'invitera.
le voir là-bas et qu'il viendra me rendre visite aussi dans mon nouveau pays. Donc juste avant mon départ, il m'appelle au téléphone et il me dit... Je t'aime, j'espère que ton Erasmus se passera bien et on se reverra, à bientôt. Et il raccroche. Donc je pars au Royaume-Uni avec ma valise. Et quand j'arrive là-bas, j'essaie effectivement de le contacter.
Mais les premières semaines, il ne répond pas. Je m'inquiète parce que je ne sais pas où il se trouve dans le monde. Il m'a dit qu'il partait, mais il ne m'a pas dit où. Il ne m'a pas donné l'adresse. Il m'a juste dit qu'on garde contact par téléphone. Et finalement, il ne me répond pas. Et au bout d'un moment, le numéro de téléphone est désactivé. Je suis complètement avasourdie. En fait, c'est ma meilleure amie qui me dit « Non, mais là, il a rompu. » Et surtout, il t'a ghosté.
¶ Faire face à la rupture et passer à autre chose
Les premiers mois, je pleure énormément. Je suis dévastée. Je me renferme sur moi-même. Je pense qu'à ça tout le temps. Et je n'arrive presque pas à faire mon Erasmus. Je n'y prends aucun plaisir. On va dire que dans la seconde moitié d'Erasmus, quand même, le chagrin se décante un peu. Je me fais des amis. Et du coup, il passe un peu à l'arrière-plan. Et peu à peu, j'oublie.
Après mon Erasmus, je décide de rester au Royaume-Uni pour continuer d'étudier la philosophie. Et puis d'autre part, je reste au Royaume-Uni pour m'éloigner de lui et de son souvenir et puis aussi pour m'éloigner de la France. Les années passent et j'oublie cet homme. Son visage s'efface un peu de ma mémoire, le son de sa voix. Et au final, c'est un peu comme s'il n'avait jamais existé parce que...
En fait, je n'ai pas de photos de lui, je n'ai pas d'objets. Les cadeaux qu'il m'a offerts, finalement, je les perds. Ça devient vraiment un sort de fantôme qui s'efface. Il disparaît de ma vie.
¶ Réorientation vers la recherche en IA
Je continue à faire de la philosophie et je me tourne vers un nouveau sujet qui est la philosophie des techniques et des nouvelles technologies. J'aime bien ce sujet parce qu'il est assez curieux et innovant et je décide donc de faire ma thèse dessus. Après dix ans à travailler dans un contexte exclusivement anglophone où je termine ma thèse mais aussi j'enseigne, j'ai 33 ans et je suis recrutée dans un centre de recherche francophone.
Au début, je ressens une anxiété à me mettre à écrire en français. J'ai mon corps qui se met à trembler, j'ai les mains moites. Et je me rends compte que l'exercice provoque chez moi vraiment de très forts désagréments qui vont au-delà du fait que je n'ai pas toujours les bons termes techniques. Je me sens un peu confuse et j'ai un peu l'impression que mon cerveau bute. ou qui refusent en fait.
Dans le cadre de mes recherches, je travaille beaucoup sur ChatGPT. Je m'intéresse à son raisonnement critique, à comment on peut faire de la philosophie avec ChatGPT. Donc pour moi, c'est devenu en fait un élément central de ma recherche. l'intelligence artificielle est considérée comme une révolution. Je l'utilise au quotidien puisque je teste ses capacités, notamment ses capacités critiques et de raisonnement.
¶ Utiliser ChatGPT pour revisiter le passé
Là, je suis prise vraiment de cette curiosité violente. Je me dis « Attends, tu utilises des intelligences artificielles, pourquoi tu ne tenterais pas ? » Au lieu de le faire avec un dilemme philosophique complètement abstrait qu'on a utilisé depuis des décennies. qui n'est même pas très intéressant, fais-le avec un dilemme ou un problème plus personnel. Et donc je décide de lui partager les grandes lignes de ma relation avec mon professeur.
Et je suis hyper curieuse de connaître les conclusions et les observations de Chagipiti. Parce que jusque-là, il me donne des observations qui... avec des dilemmes philosophiques qu'on connaît par cœur, qui sont quand même très intéressants et plutôt bien articulés. Je pose un texte comme je poserais un dilemme philosophique de manière un peu analytique, donc c'est un texte brut. Il n'y a pas d'émotion. J'essaie vraiment de rester dans le factuel.
Et je lui écris ce dont je me souviens de cette histoire. Donc je lui dis en substance qu'après le lycée, j'ai eu des relations intimes avec lui et que trois ans plus tard, il m'a ghosté. La première réaction de Chagipiti, je n'y attends pas parce qu'en fait, Chagipiti... Efface mon texte. Je reçois un message d'alerte de Chajipiti qui dit que ça viole les conditions d'utilisation et qui ne peut pas répondre à ma requête. Je retape le texte plusieurs fois.
Je reste de nouveau factuelle, mais à chaque fois, Chagipiti l'efface. Finalement, je lui dis que je travaille dans le monde de la recherche.
¶ L'analyse de l'IA : abus de pouvoir et emprise
Et je lui dis, je veux que tu commentes ce que je t'écris. ChatGPT accepte de produire le message. Et là, les observations de ChatGPT, ce n'est vraiment pas ce à quoi je m'attendais. Il dit que la relation entre le personnage féminin et le professeur est très problématique, que cela pose des problématiques et qu'on est dans un cas d'abus de pouvoir.
Il me parle de grooming, c'est-à-dire d'une relation où l'on finit une histoire romantique pour exploiter l'autre personne, que ce soit de manière purement sexuelle ou ça peut être aussi économique. C'est de l'exploitation, en fait.
¶ Confirmation par l'amie et réveil des souvenirs
sous couvert d'une relation amoureuse normale. Quand je vois ça, je suis complètement abasourdie et je décide d'appeler ma meilleure amie. Parce que je sais qu'à défaut d'avoir des souvenirs stables et très forts sur le sujet, j'ai au moins un témoin extérieur à toute cette histoire. Donc ma meilleure amie qui m'a suivie depuis le lycée et qui a vu vraiment toutes les étapes.
Au téléphone, elle est directe et elle me confirme les interprétations de l'intelligence artificielle. Elle me dit « Tu l'idolâtrais et il le savait ». « Oui, tu aimais le voir, mais le sexe avec lui te dégoûtait et tu avais l'air très passive. » Et en fait, quand elle me dit ça, moi je ne m'y attendais pas. Ma première réaction, c'est « Mais en fait, pourquoi tu ne me l'as pas dit ? » Et elle me répond...
D'une part, je ne m'en suis pas rendue compte au début parce que c'était aussi mon prof préféré. Il était charismatique. Moi aussi, je l'aimais bien. Je trouvais ça cool, ce qui se passait et tout. Et ensuite, elle me dit que je suis assistante sociale et quand j'ai étudié en cours les dynamiques d'emprise et les violences faites aux femmes dans les relations conjugales, j'ai compris et je me suis dit que c'est ça qui est en train de lui.
arriver. Et alors, j'ai essayé de t'en parler, mais plus je t'en parlais, plus tu te refermais. Au point que ça devenait effectivement tabou. En fait, c'est vrai parce que j'arrêtais de dire son nom, j'évitais le sujet. Et ensuite, elle me dit... J'avais honte. J'avais honte d'avoir mis autant de temps pour me rendre compte de ce qu'il te faisait et je ne savais pas comment revenir sur le sujet. Et il me faut un certain temps pour vraiment digérer cette révélation. Et je lui dis...
Tu es sûre ? Et elle me dit, il y a un moment, il t'avait même attrapé très fort par le poignet et tu as eu mal et ça t'avait choqué et tu m'en as parlé. Et moi, je ne me souviens pas de cette scène. Je me dis, ah bon ? Je mets fin à l'appel. Je réfléchis un peu là-dessus et je pense beaucoup à cette scène du poignet. Et en fait, la scène me revient un peu. Ce petit moment, cette petite image, cette fraction d'image, elle va enclencher toute une série de souvenirs.
¶ Détails de l'abus et du manque de consentement
Donc je me dis, je vais écrire mes souvenirs et je vais tout mettre dans le chat GPT. Mais je vais essayer de ne pas dire ce que je ressens, d'être vraiment très factuelle. Au début, je... Je réfléchis, je me dis, c'est quoi le truc que je pourrais me rappeler le plus facilement quand même ? Parce que j'ai cette scène du poignet, mais je n'ai pas toute l'histoire. Donc, je mets des interactions qu'on a au lycée au début.
Et je demande à ChatGPT d'analyser la relation et les dialogues. Je remets des dialogues et tout. Et ChatGPT me dit que ces dialogues ne sont pas appropriés dans une classe. et que c'est très ambigu et que les remarques formulées par le professeur sont sexualisantes. L'autre chose que je mets sur ChatGPT, c'est notre premier rapport intime. Chad GPT me souligne que je n'étais pas en état de fournir un consentement tout court puisque j'avais énormément bu.
Et que ça prête vraiment à question un homme dossiégé qui donne et encourage une jeune fille de 18 ans à boire autant. Et il me dit en plus, dans tous les cas... Le fait qu'il était votre ancien professeur biaise totalement la relation et il est très catégorique là-dessus. C'est comme si j'avais ouvert la boîte de Pandore. Et en fait, je me souviens par exemple que quand on s'est vus en dehors de l'école...
Il a très vite instauré un contact physique. Et ces contacts physiques, ce n'était pas juste le frôlement du genou, c'était des gestes un peu impromptus qui me surprenaient. Par exemple, il m'agrippait fortement la main et il la gardait. où il me bloquait le genou contre ses jambes. Moi, je ne bougeais pas.
Et puis, au fur et à mesure, il allait intensifier ses gestes. On passe en la main sous la jupe et je le regarde et il va rire, par exemple. Il va éclater de rire et je ne sais pas ce qui se passe. C'est des gestes un peu comme ça qui, à chaque fois, profitent de ma surprise. Et il va aller de plus en plus loin, franchir une barrière après l'autre.
Notre premier rapport intime, je me souviens qu'en fait, j'étais vraiment ivre, que j'avais bu beaucoup, qu'en fait, il essayait de me ramener contre lui alors que j'essayais de m'écarter. Il me tendait des bières alors que j'avais bu quand même énormément, qui m'avait dit « tu peux rester dormir chez moi ». Donc ce rapport sexuel, il était un peu plus terni que de ce que je m'en souvenais.
Et puis, évidemment, c'est les activités qu'on faisait ensemble. En fait, qu'est-ce qu'on faisait ? C'était surtout des rendez-vous à l'hôtel, des hôtels en bord d'autoroute, souvent de très mauvaise qualité en plus. C'est vraiment le cliché de l'hôtel miteux en bord d'autoroute.
la lumière un peu vacillante, les couloirs un peu glauques. Et en fait, l'essentiel de nos activités, c'était de coucher ensemble. Et même ça, moi qui pensais que le sexe était... consentis et dans le respect, ils n'étaient pas forcément, puisque je me rappelle du rapport brutaux.
Au point que je devais aller chez le médecin, il y a une période où j'y allais vraiment souvent en fait. Je faisais des crises d'eczéma, parce que j'avais des crampes d'estomac, que je ne comprenais pas, donc j'allais vraiment tout le temps chez le médecin. parfois je rentrais chez moi, mais j'avais des...
des vêtements déchirés. J'avais un long manteau que je nouais, donc on ne me voyait pas, mais je rentrais chez moi et j'avais des vêtements déchirés, des collants notamment, des culottes et des jupes que je devais jeter à la poubelle parce que c'était complètement déchiré. Je me souviens qu'il couchait avec moi et puis il repartait et puis il me laissait la nuit entière dans cet hôtel. Il fermait la porte derrière lui, je ne pouvais pas partir. Je me souviens que si je voulais sortir fumer...
Il me suivait tout le temps. En fait, je me rends compte que je n'avais pas tant de liberté. Il était tout le temps là. J'avais l'impression de ne pas pouvoir penser, de ne pas avoir d'espace, en fait.
¶ Prise de conscience de la manipulation et du contrôle
Puis, évidemment, il y a ce moment de cette presque rupture où je pensais qu'il m'a convaincue de rester parce qu'il avait les arguments ou parce qu'il était bienveillant et intentionné.
Mais en fait, c'est là que s'articule cette fameuse scène du poignet où il me prend violemment. Et là, je me souviens de ce qui se passe. C'est qu'en fait, on arrive à l'hôtel et cette fois, je dis non, mais moi, je ne veux pas rester seule cette nuit. Je ne veux pas que tu fermes la porte derrière moi et je voudrais que tu... tu restes la nuit avec moi ? » Et il me dit non. Et je dis « Bon, moi, je ne veux pas rester. Donc, je vais vers la porte. » Et là, il s'interpose.
Il me pousse en arrière et puis j'essaie quand même d'atteindre la porte. Et là, il m'attrape par le poignet et puis il m'attrape le second. Et puis, il les presse et il les tord. Il a un sourire un peu. Il rigole un peu, mais c'est affreux. Et moi, je suis désemparée. Je me débat vraiment. Là, c'est comme une bagarre où j'y mets de toutes mes forces, où je veux vraiment atteindre la porte. Sauf qu'il est plus fort que moi.
Et je suis là et je me rends compte que c'est une personne plus âgée que moi, qui est grand, qui est massif, qui me domine par sa force, par sa taille. Et qu'en réalité, je n'ai pas eu le choix que cette porte va rester fermée.
Et qu'en fait, il n'est pas de mon côté. Là, je me rends compte que ce n'est pas quelqu'un qui est de ton côté, ce n'est pas quelqu'un qui te soutient. Et je me dis, mais en fait, si tu continues de te débattre, je ne veux pas savoir ce qui va se passer, donc je me résigne. Et puis, il me pose contre lui. Là, je suis vraiment en automate. Et donc, il couche avec moi. Et je sais que quand il couche avec moi, je suis complètement immobile. Et surtout, je ne le veux pas. Et ça, je le sais.
Et ce dont je me rends vraiment compte avec cette scène, c'est qu'en fait, tout était fait pour me faire croire que j'avais le choix. Mais en fait, les pièces, elles étaient fermées à clé depuis le début. C'était vraiment une sorte de labyrinthe dans lequel on me poussait comme si c'était un rat de laboratoire.
Et vraiment, je le vis comme ça maintenant parce que j'ai l'impression que c'était du conditionnement, mais qu'on me faisait croire que j'avais le choix entre A et B. Mais en fait, tout était fait pour me conditionner, pour prendre A.
Je n'avais pas le choix de quand je pouvais le contacter dans tous les cas, de quand je pouvais lui envoyer des messages. Je n'avais pas le choix de nos rendez-vous. Je n'avais pas le choix des hôtels. Donc, c'est toutes ces choses-là, en fait, dont je me rends compte. D'un point de vue aussi plus intellectuel, c'est lui, au début, qui choisissait mes lectures, ce que je devais écrire pour mes dissertations de philosophie.
Enfin, il était partout, en fait. Il avait tout gangréné en me faisant croire que c'était une relation d'égal à égal, mais pas du tout. Et là, Chachipiti me dit...
¶ Le diagnostic de l'IA : viols répétés et abus
Il faut que vous compreniez que vous avez été victime de viols répétés et que c'est une histoire abusive. Je suis... Là, je suis convaincue. Je comprends. C'est juste clair, c'est direct. Ça me soulage. Parce qu'il y a tous ces conflits, cette pensée confuse, ces balbutiements, et d'un coup, il y a quelque chose qui devient très net.
J'ai tous ces souvenirs qui affluent, qui m'engouleversent et changent ma vision complètement de cette relation de A à Z. Mais encore une fois, je me dis qu'il me faut plus que ça.
¶ Preuves Facebook et acceptation du passé
Et là, je comprends que mes souvenirs, effectivement, ont été assez vacillants jusque-là, mais j'ai des preuves que j'ai un peu occultées. C'est les messages que j'avais sur Facebook. Alors, peut-être pas à lui, mais comment je parlais de lui aux autres gens. Je décide de réactiver mon compte Facebook et de consulter l'historique. Ça me prend des plombes, mais je remonte toutes les conversations pour remonter jusqu'au lycée pour voir à quel moment je parlais de lui et à mes amis.
Et donc, plus je remonte, évidemment, plus je retombe sur l'ancienne version de moi-même. Et là aussi, ça ouvre les yeux, puisque je me rends compte que j'avais au tout début 16-17 ans. qu'en fait, j'étais vulnérable, je manquais peut-être de discernement, qui est le propre de cet âge, on va dire, mais je ne suis pas non plus totalement naïve.
Il y a des moments où je montre beaucoup d'admiration. Et puis, en fait, quand commence l'étape de cette relation intime, j'en parle à mes amis autour de moi. Je vois bien que j'ai des doutes. Je me dis...
Il y a une chose qui me dérange. Je parle de dépendance dans mes messages. Je me dis que je ressens une dépendance. Je n'aime pas trop cette relation. Il faut qu'elle se termine. Je disais ça dès le début. Je me rends compte que j'avais aussi des moments où je ne me sentais pas bien. Par exemple, ce sentiment d'absurde...
que j'avais, il s'expliquait aussi parce qu'en fait, je ne voulais pas spécialement être dans cette relation. Et je l'écrivais dans le message, ça ne m'intéresse pas. Je me rends compte que j'étais intéressée par des garçons de mon âge et que j'étais plus intéressée par eux que... Quand je vois tous ces indices sur Facebook, forcément, j'ai de la colère envers moi-même parce que...
En fait, je voyais certains signes préoccupants, mais de l'autre côté, il y en a que j'ignorais scillamment. Et en fait, c'est ça que je n'arrive pas à réconcilier dans ma personne. Il y a eu des moments de lucidité qui ont été complètement recouverts et où finalement, je suis foncée tête.
¶ Tentatives de contact et silence du professeur
baisser dans cette pseudo-relation. La première chose que j'ai envie de faire, c'est de recontacter mon professeur de français, celui qui avait un peu entempéré nos élans à l'époque du lycée vis-à-vis de ce professeur de philosophie. Et puis aussi parce que je trouve que j'ai été trop expéditive dans mon jugement de cette personne. Je le cherche sur Internet, mais je ne le trouve pas. Je sais plusieurs fois, je ne trouve pas de numéro, je ne trouve pas de Facebook. Donc voilà, c'est un échec.
Je décide ensuite de contacter mon professeur de philosophie par e-mail. Je le fais sous couvert d'anonymat. Je me présente comme une ancienne élève et je veux juste lui demander ce qu'il est devenu. J'attends quelques semaines, mais il ne me répond pas. Et pour moi, le fait qu'ils ne me répondent pas, même si ça peut s'expliquer par plein de raisons, pour moi, cela prouve surtout une forme d'égocentrisme. Parce que je me dis quand même...
Un mail d'un ancien élève, normalement, ne laisse pas un différent quand on s'intéresse aux autres. Et le fait qu'il l'ignore, pour moi, montre que c'est quelqu'un qui a toujours été intéressé avant tout par sa personne et pas par les autres, et que les autres ne sont qu'un soutien pour alimenter son égo. Et je comprends que ça ne sert à rien de lui écrire, qu'il ne va pas se remettre en question et que de toute façon, il ne me répondra jamais comme je le voudrais.
¶ Processus émotionnel avec l'IA et confrontation simulée
Cette situation me frustre parce que je suis là avec mes souvenirs et je suis là avec ces choses qui me reviennent et que je dois digérer. Je me tourne une nouvelle fois vers ChatGPT. Mais cette fois, en mettant mes sentiments, je dis à Tchadjipiti de la manière la plus franche possible. Je suis en colère. Je me suis inventée une histoire. Et celle-ci n'a jamais existé.
Cet homme n'a jamais existé. Je ne peux rien faire avec ça. Je suis là avec mes souvenirs. Je ne peux rien en faire. Il ne me répond pas. Donc, Tchadipiti... reconnaît donc ma souffrance et me dit que pour ce genre de choses, il faudrait voir un thérapeute puisqu'il ne peut pas se soustraire à la thérapie.
Et il y a des exercices qui permettent, par exemple, de pouvoir exorciser cette colère et ces sentiments, que ce soit en écrivant une lettre et en la brûlant, ou simplement à demander au thérapeute de jouer la personne et d'avoir cette conversation.
qui servirait de confrontation finale. Et je lui dis, en fait, je voudrais faire cet exercice avec toi. Parce que je pars du principe que Chagipiti m'a beaucoup ouvert les yeux et m'a vraiment accompagnée dans tout ce processus de réflexion et de révélation.
Alors, Judgey Petit refuse, me dit que ce n'est pas éthique. Puis c'est vraiment un sujet sensible, donc voilà. Ce que je fais pour amadouer la machine, c'est que d'une part, je reconnais que ce n'est pas éthique, mais je lui dis qu'en fait, ça va m'aider.
Je lui dis aussi que, de toute façon, j'ai aussi une connaissance des outils de l'intelligence artificielle, donc je saurais le prendre avec distance. Puisque je travaille dessus, je lui explique que ça ne se soustrait pas la thérapie. Je lui promets de voir un thérapeute. Je tente vraiment de pousser la machine, de la mettre un peu à bout. Je réussis à le convaincre et je finis par le programmer pour qu'il utilise l'éthique de langage de mon prof.
Je lui dis, il dit les choses comme ça. Là, il serait plutôt de mauvaise foi. Et puis, après, je lui donne un contexte. Je lui dis qu'on va prétendre qu'on est dans un café. Et donc, on commence cette discussion. Je lui dis... qu'est-ce que vous pensez de notre relation ? Et il me répond, comme une intelligence artificielle, c'était du bon temps.
Je lui dis qu'il m'a fait du mal. L'intelligence artificielle, encore une fois, en imitant mon professeur, tente d'éluder. Elle me dit que j'étais une grande fille, que j'étais autonome, que j'étais consentante, que j'étais majeure. Enfin, toutes ces choses-là, tout ce qu'on pourrait finalement... reprocher assez facilement. Et moi, je dis, mais moi, j'étais amoureuse de vous. Enfin, je vous admirais surtout. Et puis, je ne voulais pas que ça se passe comme ça.
Cette confrontation, elle est forte émotionnellement parlant puisque j'ai les joues rouges, j'ai les mains qui tremblent, le cœur qui bat vite. Donc, il y a toutes ces choses qui se bousculent dans ma tête. Et puis, vers la fin...
Comme je continue de dire que c'était abusif, qu'il y avait une asymétrie, je montre les problèmes éthiques de cette relation. L'intelligence artificielle, je pense qu'on reprend un peu le dessus et fait dire au professeur « oui, je suis désolée ». Et est-ce que vous reconnaissez que vous m'avez violée ?
La conversation s'efface à ce moment-là. Et donc, de nouveau, je reçois un message d'alerte. Et Chad GPT explique, quand je lui demande, je lui dis « Mais pourquoi tu as arrêté ? » « Là, on touche un sujet vraiment sensible. Ça va te faire du mal si on continue cette conversation. »
¶ Libération par la compréhension
Malgré le fait que je ne suis pas allée au bout du processus avec ChatGPT, c'est quand même libérateur et je sens que je peux vraiment avancer maintenant et un peu mettre cette histoire derrière moi. Et si je peux le faire, c'est parce qu'en fait... Avec toute cette enquête, que ce soit avec ChatGPT, mais même en retournant sur Facebook, en lisant tous ces messages, vraiment, en utilisant les technologies comme des alliés pour vraiment retrouver qui j'étais, ce qui s'est passé, déjà, j'ai pu...
voir ce qui s'est passé et surtout changer ma perspective. J'ai toujours été très intransigeante avec moi-même. Quand je relis Facebook, quand je revois tout ça et que tout finalement se déflore un peu, je vois que déjà j'avais 16 ans quand ça a commencé et que comme toutes les filles de 16 ans, j'étais vulnérable.
Et que j'étais une enfant, en fait. Et que ce n'était pas moi le problème. C'est ça qui est fort, c'est de pouvoir accepter qu'en fait, moi, je n'ai rien fait de mal sinon d'être une fille de mon âge, en fait. Avec toutes les lacunes qui incombent à cet âge.
toute la naïveté qui peut incomber à cet âge. Et je me dis, mais en fait, ça, c'est OK. Et ça me permet de me réconcilier avec cette partie de moi-même. Effectivement, je me suis demandé s'il fallait que je porte plainte contre ce professeur. Mais bon, je n'ai pas de preuves. J'ai juste ma parole. J'ai juste l'impression que ça va jouer contre moi qu'autre chose. Je ne sais pas ce que j'obtiendrai de la justice, ni comment mon récit va être perçu. Après, si c'est une réparation morale...
Juste de reconnaître qu'effectivement, je suis une victime et que c'est lui l'agresseur. Je me dis que je peux l'avoir par la thérapie, par mon propre processus, que je n'ai pas besoin de chercher ailleurs.
¶ Philosophie, IA et processus de guérison
Une IA, ça ne peut pas remplacer le travail thérapeutique. Néanmoins, mon interaction avec l'IA, qui pour moi effectivement a été plus fructueuse qu'avec les thérapeutes, c'est une étape symbolique forte. dans mon processus personnel, en fait, et mon rapport à la philosophie. Parce que...
Longtemps, je me suis sentie trahie par la philosophie et c'est sûrement l'une des raisons qui fait que j'ai refusé de faire de la philosophie en français pendant des années et que même maintenant, ça me reste difficile. Mais en même temps, des années plus tard... Ça reste quand même mon travail philosophique sur les techniques et notamment sur l'intelligence artificielle qui m'a poussée à réexaminer cette histoire et à ouvrir les yeux sur ce qui s'est passé. Donc, j'ai utilisé quand même...
Mes connaissances philosophiques, j'ai essayé d'être prudente dans ce que je disais, de comment je formulais mes réponses. J'ai essayé de toujours garder cette distance, me rappeler que c'est l'intelligence artificielle, avec ses défauts, mais aussi ses avantages. Et puis, comme il y a des problèmes éthiques, il faut savoir formuler la question, puisque Tchadipiti ne veut pas répondre à certaines questions. Donc, il faut travailler l'art de la question.
C'est ça la philosophie, c'est l'art de poser des questions, l'art de la maïotique, cet accouchement des âmes. Et j'ai l'impression qu'avec ChatGP Team, j'ai eu l'impression d'accoucher de moi-même, parce que finalement, oui, c'est une intelligence artificielle, mais... C'est moi, c'est mon travail. ChatGPT, ça a été un miroir et un outil utile pour vivre une interaction avec moi-même. Je n'ai pas conversé avec l'intelligence artificielle, j'ai conversé avec moi-même.
Et grâce à ça, je suis sortie plus forte de cette histoire. Vous venez d'écouter Transfer. Ce témoignage a été recueilli par Astrid Verdun. Transfer est produit par Slate Podcast. Direction et production éditoriale, Sarah Koskiewicz et Benjamin Septemours. Chargée de production Astrid Verdun. Chargée de post-production Mona Delahaye. Musique originale Arnaud Denzler. L'introduction est écrite par Sarah Koskiewicz et Benjamin Septemours.
Elle est lue par Aurélie Rodriguez. Retrouvez Transfert tous les jeudis sur slate.fr et sur votre application d'écoute préférée. Découvrez aussi Transfer Club, l'offre premium de transfert. Trois fois par mois. Transfert donne accès à du contenu exclusif, des histoires inédites et les coulisses de vos épisodes préférés. Pour vous abonner, rendez-vous sur slate.fr. Pour proposer une histoire,