¶ Intro / Opening
Cet épisode de transfert vous est présenté par Bouygues Télécom, engagé avec ses clients contre l'exclusion numérique grâce à l'opération Don de Giga. Chaque mois, les clients Bouygues Télécom peuvent offrir des gigas symboliques à l'association de leur choix. Quatre partenaires participent à cette initiative. Les petits frères des pauvres, le Secours populaire, la Fondation des femmes et l'APF France Handicap.
Ces gigas sont ensuite transformés en forfaits et smartphones pour des personnes en situation d'exclusion numérique. Cette année, plus de 925 000 gigas ont déjà permis à des milliers de bénéficiaires de se reconnecter et ainsi de rester en lien avec leurs proches et la société. Pour découvrir l'histoire de ce beau projet et l'impact concret de vos dons, n'hésitez pas à aller voir la vidéo Giga Merci sur la chaîne YouTube ou le site de Bouygues Télécom.
¶ Mon père, ce héros
Il partage un lit à quatre. Dans Charlie et la chocolaterie, les grands-parents de Charlie vivent sous le même toit que leurs enfants et leurs petits-enfants. Au XIXe siècle, on vieillissait en famille et les plus jeunes prenaient soin des plus âgés. Une situation désormais bien plus rare, surtout dans nos cultures, où les institutions ont remplacé le soutien familial. Les jeunes ne s'occupent plus vraiment de leurs anciens, ce savoir-faire s'est perdu.
Clément traverse la vie sans ombre, protégée par son père. Il est comme son phare. Avec lui, il a tout fait. Du sport, des randonnées, des escape games. Il peut toujours compter sur lui, même pour son prochain projet, retaper la maison dans laquelle il va vivre avec son épouse, jusqu'à ce qu'un accident bouleverse leur vie et leurs relations qu'ils pensaient inébranlables. Vous écoutez Transfert.
Ce témoignage a été recueilli par Léa Volbert. Je suis fils unique. Quand j'ai un an, un an et demi, mes parents se séparent. et s'instaure tout de suite un rythme très facile. C'est-à-dire que la semaine, je suis chez ma maman et le week-end, je pars chez mon papa. Mon papa, c'est la figure sur laquelle je me repose entièrement, c'est-à-dire que c'est un peu mon héros, c'est un peu mon modèle de tous les jours. Ma maman, c'est une personne qui est aussi très présente dans ma vie.
avec laquelle j'entretiens une relation qui est complètement différente. Vraiment un peu à l'opposé, c'est quelqu'un qui m'a apporté un cadre et une sécurité d'une maman aimante. Mon père, c'est pas du tout une figure d'autorité. Au sens strict du terme, ce n'est pas un mur, ce n'est pas une frontière, c'est plutôt un appui, un guide, un éclaireur. Et c'est surtout un ami. Quand je suis petit, il fait partie de mon monde, il est toujours présent.
Il n'est pas au-dessus de moi, pas du tout. Il est plutôt dans l'accompagnement, à m'aider. Il s'est transformé n'importe quelle activité, n'importe quelle chose en un jeu. Et n'importe quel moment, finalement, ça devient un apprentissage. Par exemple, il invente des jeux assez fous où on part tous les deux en mission secrète à 23h le soir, en pleine nuit.
On doit désarmer des personnes imaginaires, désamorcer des bombes, des trucs assez fous. Donc on part avec notre calgoule, de la peinture sous les yeux, armée d'un faux pistolet, et on va tirer des ballons de baudruche comme ça. la nuit. Et c'est vraiment à l'image de mon papa, c'est que c'est quelqu'un d'extrêmement créatif, d'extrêmement aimant et toujours présent pour moi. Sur le coup de mes dix ans, par exemple, on part en voiture.
vraiment à l'aventure, on ne sait pas du tout où est-ce qu'on va aller, on sait qu'on va dans une forêt, on sait qu'on veut faire du camping. C'est des moments qui sont absolument magiques parce qu'il n'y a rien autour, il n'y a que nous deux, il y a une immense forêt autour de nous, on entend les oiseaux qui chantent et c'est des moments où je me sens...
étrangement en pleine sécurité, même au milieu de nulle part, et même au milieu d'une nature qui est indomptable. C'est quelqu'un qui est plutôt pragmatique, qui a toujours eu un peu peur des autres, c'est un peu une sorte de loup solitaire. Et je pense qu'on se complète bien puisque moi, je suis quelqu'un de plutôt...
Volubile, qui aime bien parler, qui aime bien déconner, qui aime bien rire un peu avec les gens. Et mine de rien, ça me permet de le sortir un peu de sa zone de confort, de traîner un peu avec mes amis. Et finalement, mes amis deviennent ses amis aussi. Les parents de mes amis deviennent aussi.
ses amis donc c'est plutôt chouette comme ça et donc finalement lui il m'apporte cette sécurité ce cadre, cette créativité et puis moi je lui apporte un peu tout le dynamisme social que je peux me créer à mes 14, 15, 16 ans
¶ Adolescence et premiers pas vers l'indépendance
Pendant mon adolescence, je suis quelqu'un de facile. J'ai des amis, j'ai une copine, j'ai des études qui fonctionnent plutôt bien. Toutes les bêtises ou toutes les conneries que je peux faire.
Je l'ai fait soit avec mon père ou soit je l'ai fait avec mes amis, mais en tout cas, mon père, il en a toute la connaissance. Il n'y a jamais eu un mot plus haut que l'autre, jamais une gifle, jamais une engueulade particulière. En tout cas, tous les différents qu'on a, on les règle toujours en communiquant.
C'est quelqu'un qui est beaucoup à l'écoute et c'est quelqu'un qui comprend très bien les choses. Il a un côté très empathique. J'ai 18 ans, je pars en études en fac de génie civil à La Rochelle. Je fais deux ans là-bas, je décide de passer des concours. Et au bout de deux ans, je pars directement dans cette école d'ingénieurs à Lyon.
Je fais mes armes là-bas. Et d'ailleurs, avec mon meilleur ami, on décide de partir sur la dernière année de notre école d'ingénieurs au Canada. Je sens un besoin de prendre mes distances parce que j'ai besoin de vivre ma propre vie, de faire mes propres expériences. Ça me fait du bien, c'est pas du tout vécu comme une coupure avec mon père ou avec ma mère. Et du coup, je vais peut-être me détacher de cette figure.
parentale très forte, en tout cas de cette image de héros que j'ai de mon papa, et justement de peut-être prendre du recul par rapport à le lien qu'on a tous les deux. Et du coup, c'est une expérience dont j'ai super hâte. Alors j'apprécie pas du tout d'être loin de mon père, puisqu'en fait il m'a donné toutes les armes pour pouvoir partir facilement. Dans n'importe quelle situation, il a réussi à m'apprendre comment gérer les choses.
Des trucs tout bêtes, faire sa lessive, cuire un steak. C'est mon papa qui cuisine, donc je fais plus que cuire un steak généralement. Et surtout, il m'a donné des armes pour des situations un peu plus à risque. S'il faut partir marcher en raquette et qu'on est un peu en situation de survie, c'est des expériences que j'ai déjà vécues avec lui. On ne s'appelle pas tous les jours au Canada.
On marque un peu une distance, c'est-à-dire que je l'appelle peut-être une fois toutes les deux, trois semaines. Et moi, ça me fait du bien. Ça me fait du bien parce que je vis ma vie sans forcément penser à ce qui se passe en France. Par contre, quand je l'appelle, ça dure une heure, ça dure deux heures. Je lui partage beaucoup de mes sentiments, de ma vision.
de mon oeil un peu aventurier. Puis je sens que lui, ce sont des choses qui lui parlent beaucoup. Et j'ai l'impression qu'il vit ce que je suis en train de vivre de manière un peu interposée. Je sais qu'il a très envie de me rejoindre, de vivre un peu un bout d'aventure avec moi. Et donc, c'est pour ça que quelques mois après, je lui propose de venir passer deux semaines avec moi au Canada.
C'est pas quelqu'un qui va partager son ressenti, c'est pas quelqu'un qui va exprimer ses craintes, c'est pas quelqu'un qui va exprimer ses peurs, c'est pas quelqu'un qui va être extrêmement exalté par une situation.
¶ Construction d'une vie stable et familiale
Moi, en revanche, je partage tout. J'exprime tout ce que je suis, tout ce que je vis, tout ce que je ressens, je lui en parle. Fin 2016, je rentre en France pour rejoindre une grosse entreprise en tant qu'ingénieur en génie civil.
Quand je rencontre Laura, c'est tout de suite un coup de foudre. C'est-à-dire que je sens tout de suite que c'est la personne avec qui je veux faire ma vie, la personne avec qui je veux avoir des enfants. On commence à s'installer ensemble. On part en voyage, un peu à droite à gauche.
Au bout de deux semaines, après avoir rencontré Laura, je lui présente mon papa. Pas forcément pour la faire valider par mon père, mais pour juste... partager avec lui le fait que regarde, c'est cette personne-là, c'est cette personne-là avec qui je veux faire ma vie. Lui forcément séduit par cette jeune femme avocate avec un esprit extrêmement bien construit, un argumentaire toujours extrêmement solide, toujours souriante, avec beaucoup d'énergie.
Et donc finalement, il y a des points de correspondance qui se tissent et mon papa l'adore dès le premier instant. En 2022, j'ai 32 ans, j'ai une vie qui est... tout à fait stable. Laura a une vie professionnelle très stable aussi. On fait notre petit bonhomme de chemin, comme ça, avec Laura. Du coup, on décide de faire un enfant. Et la bonne nouvelle arrive d'ailleurs très vite.
¶ Projets futurs et dernier week-end prévu
On est extrêmement comblé. Et puis en même temps, on a un côté très pragmatique aussi l'un et l'autre. Et on se dit, ça ne va pas suffire. Il va falloir clairement qu'on n'habite ailleurs que dans un petit appartement. Donc on décide de chercher une maison.
Forcément, c'est les planètes qui s'alignent. On trouve une maison qui correspond tout à fait à notre besoin, en pleine campagne, avec un grand jardin. Alors certes, une maison où il y a énormément de travaux à faire, mais ça, ça ne me fait pas peur, puisque avec mon papa...
Je sais que comme il est à côté de moi, il pourra m'aider à bricoler. Je sais qu'il pourra me conseiller. Et puis, de toute façon, ça fait partie aussi des connaissances que j'ai avec mon métier puisque je suis dans le génie civil. Donc, ça ne me fait pas peur d'abattre un mur. Ça ne me fait pas peur d'aller faire des... travaux assez importants. Tout va pour le mieux à ce moment-là. L'année 2022 s'annonce comme une année extraordinaire. Le 23 mai 2022, on signe le compromis de notre maison.
Pour fêter ça, je prends un billet pour mon papa qui part de Montpellier pour venir chez nous à Lyon, tout en sachant que je lui réserve une surprise, c'est de partir après en week-end tous les deux dans le Beaujolais pour pouvoir... un peu prendre du temps ensemble, puisque ça faisait longtemps qu'on n'avait pas partagé un week-end uniquement tous les deux. Puis je sentais que c'était le bon moment aussi pour...
partager un peu mes craintes, un peu mes doutes sur ma future paternité. Je voulais aussi avoir son sentiment sur la manière dont lui avait ressenti sa propre paternité, et donc de vouloir échanger un peu là-dessus. Et il n'y a rien de tel qu'un voyage tous les deux en vélo rando dans les vignobles Beaujolais. Le soir même, on décide de fêter ça. On va dans un petit restaurant en bas de chez nous.
C'est un super moment chaleureux. Laura, elle est radieuse. Mon père, il est super content. Mon papa qui pose sa main sur le ventre de Laura. Et il y a à ce moment-là, du coup, notre petite fille qui bouge. Et je le vois, mais avec un sourire immense, des yeux qui pétillent. Et ça, c'est vraiment un moment super chouette. On boit un petit verre de vin ensemble à la santé de ce qui va arriver, à la santé de cette année 2022.
où il y a une maison, un enfant, des nouveaux projets, et puis à la santé de ce week-end qu'on va faire ensemble. Donc on rentre du restaurant, super content, mon papa... Je le connais, je le vois dans ses yeux qu'il attend ça avec impatience. Ce n'est pas quelqu'un qui partage beaucoup ses émotions, encore une fois, mais je vois un œil un peu taquin, je vois un sourire légèrement en coin. Il faut le connaître.
pour comprendre que c'est quelque chose qui lui fait extrêmement plaisir, et moi je sais le décoder, je sais le lire. Et donc je vois en tout cas dans ses yeux qu'il attend ça avec une impatience de fou. C'est le soir, on fait nos valises. Alors un tout petit sac, il doit être aux alentours des 21h à peu près. Laura nous regarde et puis on la laisse pour le week-end.
Et donc nous, on descend les escaliers, on arrive dans la voiture, on claque la voiture, la porte de la voiture, et puis ça y est, on part en aventure.
¶ Le réveil et le choc de l'accident
J'ouvre les yeux et je me réveille sur un brancard. Je sais pas ce qui se passe, j'ai l'esprit extrêmement confus, je vois une personne qui me parle et qui me dit « Monsieur, votre pronistique vitale est en jeu, on doit vous opérer, est-ce que j'ai l'autorisation de vous opérer ? »
Sans forcément comprendre, je dis oui. La personne me demande s'il y a un numéro qu'on peut contacter. Je ne me souviens pas d'avoir un numéro en connaissance. En tout cas, mon esprit est vraiment très embrumé et j'arrive. à donner le numéro de téléphone de ma mère et je me rendors. Je me réveille le lendemain dans une chambre avec des bips un peu de partout, une salle blanche, puis je regarde...
Mon corps, je vois que je suis un peu branché de partout. J'ai des tuyaux qui sortent de mes poumons. J'ai un masque sur le visage. J'ai des douleurs un peu de partout sans forcément comprendre. D'où émanent les douleurs. J'ai les cerveaux complètement embrumés. Je sais pas où je suis. Je sais pas ce que je fais là. Et là, mon esprit, il est complètement perdu. J'ai aucun repère. Je me souviens juste d'avoir pris la voiture. Et c'est tout.
Au bout de quelques temps, je ne sais même pas dire si c'est des minutes ou si c'est des heures, je vois rentrer dans ma chambre Laura, accompagnée de ma grand-mère. Laura en pleure. Et ma grand-mère, du coup, juste derrière, qui essaye de faire face. Et pareil, je ne sais pas pourquoi elles sont dans cet état-là. Alors, je comprends bien que c'est vis-à-vis de mon apparence, quand bien même, je n'ai même pas pu voir mon apparence. Je n'ai pas de miroir, je n'ai rien.
Donc je ne sais même pas quelle tête j'ai. J'entre-aperçois en tout cas dans les yeux de Laura plutôt beaucoup de tristesse mais aussi beaucoup de soulagement. Donc je me dis c'est que ça doit aller finalement. Je demande tout de suite à Laura qu'est-ce qui se passe.
Père et moi, on a eu un accident sur la route. Une voiture nous aurait percuté alors que nous étions dans un embouteillage, et cette voiture-là nous a percuté à 130 km heure, de plein fouet sur l'arrière de la voiture. Apparemment, nous sommes partis en tête à queue. Sur plusieurs tas à queue, on a dû percuter deux ou trois voitures supplémentaires. Apparemment, il a été difficile de nous désincarcérer de la voiture. Ils ont mis plus de 10-15 minutes à nous désincarcérer.
Parce que l'arrière de la voiture, le feu arrière de la voiture est arrivé quasiment au niveau de l'appui tête conducteur, donc au niveau de ma tête. Et donc ça explique beaucoup de choses sur mon état. Donc c'est là qu'elle me dit que j'ai 9 ou 10 côtes cassées sur la partie gauche de mon corps, que j'ai du coup la rate qui a été enlevée. parce qu'elle avait été complètement choquée, que j'ai le diaphragme qui avait été entièrement ouvert avec tous les organes qui étaient remontés vers le haut.
Des épanchements un peu à droite à gauche, des hématomes de partout. Et heureusement, rien à la tête, donc pas défiguré. Simplement quelques bleus un peu à droite à gauche, sur le front, sur la joue. Je fais attention un petit peu plus à mon corps, je soulève le drap et je vois effectivement un pansement qui va du haut de mon corps jusqu'au niveau de mon pubis.
très certainement une balafre immense. Et c'est là qu'elle m'explique qu'effectivement, ils ont dû faire une laparotomie, donc faire une incision complète du thorax jusqu'en bas du nombril. J'accueille ça sans trop véritablement savoir qu'est-ce que ça implique.
Je sens que j'ai quelques douleurs, bien atténuées par toutes les drogues qu'on a pu me donner, clairement. Et puis d'ailleurs, j'arrive très très peu à réfléchir. Et je suis tellement exténué que je n'arrive même pas à entendre tout ce qu'elle me dit. Et je sombre dans un sommeil presque sans les voir partir. Je ne pense ni à moi, ni à mon père, ni à véritablement ce qui a pu se passer. Je suis complètement perdu.
Je sais juste que mon corps est là et je n'arrive pas à attraper mon esprit. Mon esprit, c'est comme s'il était parti en fumée et qu'il était insaisissable. Et même mon corps, j'ai du mal à m'y accrocher. C'est comme si j'étais entre deux os.
¶ Découvrir la gravité des blessures
Et puis, je me réveille, peut-être quelques minutes ou quelques heures encore plus tard. Je vois mon oncle qui rentre dans la chambre. Mon oncle est quelqu'un de très pragmatique. qui analyse toujours les choses avec beaucoup de recul, qui me raconte les faits sans forcément être dur, mais en étant factuel et réaliste. Et c'est là que je commence un peu à comprendre les enjeux, que je commence un peu à...
à me demander, mais finalement, qu'est-ce qu'il advient de mon papa ? Qu'est-ce qui s'est passé pour lui ? Parce que moi, je suis quand même sacrément dans un sale état, mais lui, qu'est-ce qu'il en est ? Et donc, mon oncle me dit qu'il n'a pas beaucoup de nouvelles pour l'instant.
qu'il est en vie, mais qu'il est dans une salle de réanimation, qu'ils n'ont pas pu le voir pour l'instant, que moi, je suis dans ce qu'on appelle une unité de soins continue. Il me dit que les médecins sont... agréablement surpris de ma capacité à pouvoir reprendre vite des forces, que la chirurgie s'est très bien déroulée, mais heureusement que j'étais quelqu'un de jeune et de sportif.
puisqu'une autre personne, dans une condition légèrement différente, aurait pu y passer. Et donc, je prends encore plus conscience des enjeux. Et pourtant, mon esprit essaye de passer à autre chose, peut-être dans une optique de se protéger, je pense.
Et je me dis, mais nous sommes au mois de mai, il faut absolument payer les impôts. Mais c'est vraiment des pensées qui sont débiles à ce moment-là, mais je pense que le cerveau se raccroche qu'à des trucs comme ça, pour se protéger. Le corps est en état de survie. Et puis, il me dit que j'en aurais au moins pour 3 à 4 mois d'arrêt.
Je me suis dit que ce n'est pas possible, j'ai beaucoup trop de choses à faire. J'ai des personnes dans mon entreprise que je dois accueillir, j'ai plein de projets, j'ai des clients à qui je dois répondre, à qui je suis fidèle et ça, ce n'est pas entendable pour moi. Et puis au-delà de ça, j'ai aussi une femme.
qui porte un enfant. Et je me dis, mais non, 4 mois, c'est pas tenable, je peux pas faire ça. Il faut que je reprenne pied beaucoup plus vite que ça. Et donc je pense que je me suis fixé tout seul un propre objectif. sans forcément en connaître l'ampleur. Mais je me suis dit, dans dix jours, je suis sur pied. Dans dix jours, je ne suis plus à l'hôpital. Et je fais fi de tout ce que me disaient les médecins. Quand je me réveille pour la deuxième fois, je suis seul dans la chambre.
J'essaye de recomprendre, d'intellectualiser en tout cas tout ce qu'on vient de me dire. Et tout de suite, les pensées se dirigent vers mon père. J'essaye d'interpeller une infirmière, donc j'appelle. Et l'infirmière arrive, me demande si j'ai besoin de soins, etc. Je dis non, non, je veux savoir ce qui se passe pour mon papa. Elle me dit ne vous inquiétez pas, il est en salle de réanimation, tout va bien pour lui. Mais elle botte en touche, j'ai l'impression.
Donc je repose la question, j'ai dit non mais j'aimerais savoir ce qu'il en est, dans quel état il est, véritablement. Je vois qu'elle fait un peu la langue de bois, sans vraiment me dire s'il va bien, s'il a des difficultés à respirer. Il y a tellement de possibilités, je sais juste qu'il est en service de réanimation. Donc service de réanimation, ça veut tout et rien dire.
Il peut être soit dans le coma ou alors il peut être très bien en surveillance très forte. Donc je me concentre sur moi. La nuit se passe de manière atroce parce que les douleurs commencent à arriver. Je pense que le cerveau et le corps commencent à se parler tous les deux. Et je dors en plus avec un masque à oxygène pour pouvoir respirer correctement. Et c'est effroyable, c'est-à-dire que je passe la pire nuit de ma vie.
Parce que j'ai mon cerveau qui ressasse, qui essaie de comprendre ce qui se passe. Et c'est comme si on m'avait privé des dernières 24 heures. Et ça, c'est un sentiment que je n'ai jamais vécu. Alors on oublie au fur et à mesure les événements. Mais quand ça fait...
même pas 12 heures et qu'on oublie 24 heures de sa vie, mais surtout 24 heures de sa vie pour se retrouver d'un état incroyable, avec une santé de fer, de pouvoir faire de la course, etc. Et puis de se retrouver 24 heures plus tard dans un lit. sans pouvoir bouger ou en tout cas faire le moindre mouvement est extrêmement compliqué, le cerveau ne comprend pas et je suis complètement perdu entre la douleur physique et le néant total de ce qui se passe.
Le lendemain matin, les infirmières viennent pour me faire mes soins. Là, c'est pareil, c'est des choses qui sont très particulières. Moi qui suis un peu pudique, ça me dérange fortement. Et puis, toujours cette même question de savoir qu'est-ce qu'il en advient de mon papa.
Est-ce que vous avez des nouvelles ? Et personne ne me répond. Ils m'ont en touche, ils me disent, il est en service de réanimation, ne vous inquiétez pas, tout va bien, c'est exactement le même discours à chaque fois. Je ne peux même pas être hors de moi, puisque je suis trop fatigué. Dans un état normal, j'aurais envoyé tout valser.
¶ Premier contact avec mon père après l'accident
Mais à ce moment-là, ce n'est pas un combat que je peux mener. Donc je prends sur moi. Quand mon oncle revient ce jour-là, il me donne mon téléphone. Et c'est lui qui me donne des nouvelles de mon père parce qu'il a réussi à aller les voir. Il me dit qu'il va bien, qu'il ne peut pas bouger. Mon papa a fait un AVC suite à la désincarcération du véhicule, mais qu'il a quand même tous ses esprits et que son AVC a duré très très peu de temps. Ce qui fait qu'il n'y a pas eu de dommages cérébraux.
Du coup, il a le bassin fracturé, une fracture au niveau de la colonne vertébrale qu'il a légèrement désolidarisé de son bassin, qu'il a le poignet en mille morceaux. mais que son esprit va bien, qu'il est en pleine conscience, qu'il ne se rappelle pas de tout, mais qu'il va bien. Et là, c'est presque un moment de bonheur de se dire...
Ok, ça va, il n'a qu'un poignet cassé et puis une colonne vertébrale qui est détachée du bassin. Ça va, donc je me raccroche à ça. L'esprit essaie de rationaliser de cette manière-là et de se raccrocher un peu aux branches de positif qu'il peut y avoir dans ce contexte aussi négatif. J'ai dit mais...
Tu as pu lui donner son téléphone ? Il me dit oui, oui, il a son téléphone. J'attends que mon oncle parte de la chambre, et là je l'appelle. Donc je l'appelle en visio, et je vois son visage, et c'est indescriptible le bonheur que ça fait de revoir son visage là. Comme le mien qui ne présente pas d'hématome, qui n'est pas défiguré. Je vois encore un peu ses yeux qui sont brillants. Je me dis, c'est bon, tout va bien. C'est super.
Et puis je commence à l'entendre parler, tout doucement, faiblement. Je vois qu'il est quand même très fatigué. Et tout de suite, il me demande comment moi je vais. Donc on fait un peu un concours de tiens, moi j'ai ça, toi t'as ça, moi j'ai ça. Et puis quand je raccroche, c'est un immense soulagement.
Je me sens apaisé. Et je me dis, bon, ok, maintenant je peux véritablement mener le combat pour moi. Et donc Laura revient tous les jours. Elle ne peut pas forcément rendre visite à mon père qui est en service de réanimation. très difficile d'y accéder. Moi, du coup, elle m'apporte des livres, des jeux de société, histoire de pouvoir passer un peu le temps, parce que c'est vrai que le temps commence à devenir un peu long. Et l'objectif que je m'étais fixé de 10 jours...
J'en suis déjà à 4 jours en unité de soins continu. Je me dis, bon, t'as peut-être été un petit peu ambitieux quand même sur tes 10 jours pour pouvoir te remettre sur pattes. Et puis, au bout du quatrième jour, je change de service. Parce que ça va un peu mieux pour moi. Parce que...
¶ Annonce du deuxième AVC et angoisse
On commence à m'enlever quelques drains, un peu à droite à gauche. Je passe en unité de surveillance. J'apprends que mon papa est transféré exactement dans la chambre dans laquelle j'étais juste avant. Je commence à réussir à mettre sur mes deux jambes et mon papa... Lui, en unité de soins continue, il essaie de recouvrir un peu plus la santé. Au cinquième jour, j'apprends par une infirmière que mon papa a fait un deuxième AVC et que celui-ci a l'air un peu plus délicat.
On n'a pas beaucoup d'informations. Donc je suis dans ma chambre, je ressasse, je ne sais pas ce qui se passe. Comme la première fois, je n'arrive pas à avoir d'informations. Je demande aux infirmières si je peux avoir des nouvelles.
On me dit, ne vous inquiétez pas, il est sous surveillance, on ne peut pas vous donner d'informations pour l'instant, mais il est sous surveillance, il est entre de bonnes mains. Donc je sens que tant bien que mal, on essaye de me rassurer, mais c'est impossible d'être rassuré.
Dans ces moments-là, quand on vous dit que votre père fait un deuxième AVC, c'est impossible d'être rassuré. Et donc il se passe toute la journée, comme ça, sans avoir de nouvelles, en naviguant à vue. Et là, c'est le jour le plus long, parce que je me demande dans quel état je vais le retrouver.
Si on ne me donne pas d'informations maintenant, c'est qu'il y a quelque chose de grave. C'est que c'est beaucoup plus compliqué que le premier AVC. Et toute la journée, j'essaie d'avoir des informations, mais impossible d'en avoir. Le soir, on m'apporte mon repas. Pareil, je leur demande des informations.
Impossible d'en avoir. C'est un cocktail qui est vraiment particulier parce que je suis sur de la colère, je suis sur de l'angoisse, je suis sur presque de l'abandon parce qu'il y a beaucoup trop de choses, c'est beaucoup trop lourd à porter. Je suis fatigué. Je suis mentalement épuisé, je suis physiquement au bout et je passe la nuit comme ça, mais une nuit sans dormir, une nuit où je me dis, mais imagine que la dernière conversation que tu as eue avec ton père...
C'était cette conversation-là au téléphone. Et donc le matin, après cette nuit un peu d'enfer, Laura arrive avec sa maman. Et au même moment, l'infirmière nous dit, écoutez, vous pouvez aller voir votre papa. Donc là, je saute de joie. Je retrouve un peu ce côté enfantin à me dire, ah ça y est, je vais pouvoir aller voir mon père, c'est trop chouette. Donc l'infirmière me pose sur un fauteuil roulant. On arrive dans l'ascenseur.
Puis je vois qu'on passe devant la chambre de mon père, qui je reconnais très bien, puisque c'était la chambre où j'étais resté. Puis je vois qu'on la dépasse. Je regarde Laura, je l'interroge du regard, je vois qu'elle ne comprend pas trop non plus. Je regarde sa maman.
Je vois qu'elle ne comprend pas non plus, et puis il y a une espèce de non-dit qui commence à s'installer, et un peu une angoisse, une crainte de... Tiens, c'est quand même très bizarre qu'on passe à côté de la chambre, et qu'on n'y aille pas.
¶ Le diagnostic d'aphasie
Et donc l'infirmière nous invite très poliment, très gentiment à aller dans une petite salle. Elle nous dit, ne bougez pas, j'appelle les médecins. On s'installe. Un silence mais lourd, une chape de plomb. Moi je regarde la table.
Je ne me prête même plus attention ni à Laura ni à sa maman. Au bout de quelques minutes, les médecins arrivent et s'installent sans rien dire. J'entends juste le bruit des chaises qui se tirent contre la moquette. Je retire mon souffle. J'attends qu'ils disent le premier mot.
Aucun port, je m'en fiche, mais au moins qu'il rompe ce silence. Et donc le médecin me regarde droit dans les yeux et il me dit, votre père a fait un deuxième AVC qui a été beaucoup plus compliqué que les autres. Et quand vous allez le voir...
Ne soyez pas surpris, puisqu'il a développé ce qu'on appelle une aphasie. Alors moi, c'est un mot que je n'avais jamais entendu parler de ma vie. Et donc là, il raconte ce que c'est que l'aphasie. Donc c'est une perte du langage. Il y a plusieurs degrés sur la perte du langage.
Et que mon papa a une perte de langage qui est assez forte. C'est-à-dire qu'il est incapable de prononcer un mot de manière intelligible. Et à partir de ce moment-là, j'entends plus rien. Parce que je reste complètement bloqué sur cette annonce. Tout vient flou. Et mon esprit est complètement ailleurs. Je suis en train de refaire face à l'image que j'ai de lui et à l'image que je vais retrouver de lui.
¶ Face à la nouvelle réalité de la communication
Je n'arrive pas à comprendre ce que ça va être. Je n'arrive pas à intellectualiser le fait qu'il ne peut pas parler ou en tout cas que je ne puisse pas le comprendre. Quand les médecins ont fini de parler, ils quittent la pièce. Et moi, je reste là, vide. Et je n'ai presque même pas envie d'aller le voir.
Parce que j'ai peur. J'avance dans le couloir, la porte est légèrement entre-ouverte et puis je rentre dans la chambre et c'est la première fois que je le vois en vrai en plus. C'est plus de la visio, c'est du vrai contact physique. La voix que je vais peut-être pouvoir entendre, ce n'est plus une voix métallique de téléphone, c'est sa vraie voix en chair et en os. Sauf que sa voix, je n'entends pas. Par contre, je vois toujours ses yeux et je vois son...
son sourire, son visage qui s'illumine tout d'un coup en m'oyant. Et à ce moment-là, je retiens mes larmes parce que je ne veux absolument pas montrer toute la peine, toute la difficulté. Toute l'angoisse que j'ai, je ne veux pas lui montrer, je veux le préserver de ça. Et je m'avance près de lui, je vais à son chevet, et presque instinctivement, je lui caresse la tête pour lui dire, n'inquiète pas, ça va aller. Et puis je vois qu'il commence à essayer de parler.
Et je ne comprends rien. Il émet des sons, c'est des syllabes qui sont mises les unes à côté des autres, qui n'ont ni queue ni tête. Et là, je commence à comprendre ce que c'est que la phasie. Et là, je commence à comprendre que ça va être extrêmement difficile.
Parce que je vois qu'il arrive à comprendre tout ce que je lui dis, mais il n'arrive pas à communiquer. Et pourtant, je vois qu'il veut communiquer parce qu'il n'arrête pas d'essayer de parler. Je suis toujours tourné vers le positif de manière générale. Et donc, je me dis qu'il va falloir un peu en déconner.
De toute façon, on peut ne faire que ça. Je commence un peu à plaisanter. Laura et sa maman rentrent un peu dans le même jeu et au final, on arrive à transformer cette atmosphère qui était extrêmement lourde en une atmosphère beaucoup plus légère.
J'essaye d'avoir une communication un peu différente. Je me dis qu'il peut peut-être écrire de sa main gauche, parce que sa main droite est dans le plâtre. Je me dis qu'on va essayer d'écrire de la main gauche. C'est là que je m'aperçois que même l'écriture, c'est quelque chose qu'il a oublié.
Je me dis, mais si ça se trouve, il a oublié plein d'autres choses. Je commence un peu à sonder. Tiens, ok, est-ce que tu sais comment je m'appelle ? Il ne s'en rappelle pas. Il me fait comprendre en opinant de la tête que non, il ne se rappelle pas de comment je m'appelle. J'ai dit ok très bien, j'ai dit toi tu sais comment tu t'appelles ? Elle me dit non. Quand une personne oublie des prénoms, c'est horrible parce qu'on a l'impression que c'est une perte complète d'identité.
On a l'impression que c'est une perte complète d'une histoire de vie. On s'est dit, il a effacé 32 ans de ma vie et de sa mémoire. Il a effacé soit 55 ans de sa vie et de sa mémoire. Et ça, c'est dur. Au bout d'un moment, on arrête la conversation puisque je sens qu'il commence à fatiguer. Je sens qu'il a puisé dans toute son énergie. On fait une pause et moi je retourne dans ma chambre d'hôpital quelques étages plus haut.
¶ Inversion des rôles et réapprentissage
Et puis je me fais la promesse dans ma chambre d'y aller toujours, de l'accompagner. Parce que je me dis que les rôles peut-être sont en train de s'inverser. Que cette figure héroïque qu'il représente toujours pour moi, il faut que je la sauve. Il faut que je lui redore son image. Je deviens plus presque un père pour lui et lui un fils pour moi. Et donc tous les jours, je vais le voir et je lui...
réapprend un petit peu à savoir comment lui s'appelle, quelle est sa date de naissance, comment moi je m'appelle, quand est-ce que je suis né. Il se rappelle très bien qu'il va voir une petite fille qui va naître. Donc, il y a plein de choses comme ça. En fait, il s'en rappelle, mais tout ce qui est autour de ces faits-là sont un peu évaporés dans son esprit. Pour autant, quand je commence à lui marteler une fois, deux fois, trois fois certaines informations, il s'en rappelle.
Le septième jour, je sors dehors, prends de l'air pour la première fois, un grand soleil. Je suis accompagné de Laura et puis de sa maman. Il fait beau, il fait chaud, les oiseaux chantent dehors, c'est super agréable, c'est plus le bruit des machines, c'est plus cette atmosphère hyper stérile. Et c'est un bol d'air frais, mais immense, qui me requinque. Alors, je mets peut-être...
40 minutes à faire 100 mètres, mais c'est les 100 mètres les plus mémorables de toute ma vie. Et ça me donne beaucoup de force pour la suite. Quelques heures après, je vois mon papa en... Plein délire. Je le vois seul dans sa chambre, un peu agité. J'essaye de lui parler, de lui demander ce qui se passe, et je comprends. qu'en fait, il se sent contraint parce qu'il faut imaginer qu'il est attaché à son lit, qu'il n'a pas le droit de bouger.
Et je vois qu'il essaye de me parler avec des mots un peu particuliers, des syllabes un peu mélangées. Et au bout d'un moment, je comprends entre deux, trois mots qu'il est convaincu qu'en fait, son état actuel est dû à l'hôpital.
Et je comprends qu'en fait, il a un gros doute sur le bienfait des médicaments qu'il est en train d'ingérer. Et donc, je lui pose des questions. Je dis, mais qu'est-ce que tu fais de tes médicaments ? Et donc là, il me montre sa bouche, du doigt. Il met même ses doigts dans la bouche.
Et il en sort un médicament. Je dis mais tu les prends pas tes médicaments ? Et là il me regarde et me dit non. Et puis il en sort un deuxième. Et il les cache sous son oreille. Je comprends qu'en fait il fait ça tous les jours. Là ça me dépasse parce que... En fait je fais le parallèle avec moi. Je fais le parallèle avec...
tous les soins qui m'ont été prodigués et je me suis senti super accompagné. Et donc, je n'arrive pas à comprendre pourquoi il se met dans ce délire-là. Je dis non, là, les médicaments, ils sont absolument à prendre. C'est pour toi, c'est pour ton bien, c'est pour te soigner.
Et c'est la première fois de ma vie que je haussais le ton contre mon père. Et je vois que ça a eu un effet mais glaçant pour lui. Il m'a regardé avec des yeux d'enfant. Donc il me dit oui, ok, toujours en faisant des signes avec la tête.
Et je vis vraiment mal ce moment-là parce que je me fais violence pour lui faire violence. Parce que je n'accepte pas qu'il soit dans le déni total des soins qui lui sont prodigués. Et puis les jours se suivent. Comme ça, il prend ses médicaments. Cette fois-ci, je m'en assure.
¶ Sortie de l'hôpital et chemin de résilience
Maintenant, je sais qu'il est en bonne voie. Au bout du dixième jour, mon objectif est là. Et les médecins me disent, écoutez, vous pouvez partir. De toute manière, maintenant, c'est du repos. Vous retournez chez vous. Vous prenez soin de vous.
retrouver une vie la plus normale possible. Et vous allez voir qu'il faudra quand même quelques années pour retrouver la condition physique que vous aviez avant. Ça me fait un bien fou de sortir de cet environnement hospitalier, de pouvoir retourner chez moi. Je fonds en larmes toutes les larmes de mon corps. L'épuisement total dans lequel j'étais émotionnellement sort. Et il me faut bien au moins une heure, une heure et demie pour pouvoir reprendre un peu mes esprits.
Et en fait, je m'aperçois que je suis dans un état émotionnel qui est très fragile. Mais quand bien même, tous les jours j'appelle mon papa au téléphone, en visio, pour absolument essayer de lui réinculquer le langage. de lui réapprendre qui il est. Et puis au fur et à mesure, il y a des marqueurs de succès. Il se rappelle de mon prénom, il se rappelle de son propre prénom, il a réussi tant bien que mal à retenir sa date de naissance, il sait utiliser tant bien que mal son téléphone.
Et ça, c'est super. Je ne peux pas y aller tous les jours parce que c'est trop épuisant physiquement pour moi. Mais une fois tous les deux jours, je vais le voir à l'hôpital. J'apprends qu'il va être transféré directement dans les hôpitaux qui sont proches de son domicile, donc à Montpellier.
Là je me dis qu'il faut absolument qu'il puisse maîtriser son téléphone pour pouvoir m'appeler, pour pouvoir continuer à dialoguer ensemble, pour pouvoir continuer à faire perdurer ce lien père-fils, ou fils-père finalement. Je ne me mets plus en mode parent, enfant, ni rien. Là, je le coach. Je dis, bon, écoute, il faut que tu fasses comme ça. Tu vas voir, tu vas réussir. Il faut que tu fasses comme ça. Tu vas voir, ça va bien se passer. Et je le rassure. Et finalement, ça porte ses fruits.
¶ Les progrès lents mais constants du père
Quelques temps après, au bout d'un mois, il est transféré à Montpellier. Entre temps, on faisait toujours nos petits rendez-vous téléphoniques, avec toujours cette appréhension à chaque fois que je décrochais le téléphone, de me dire est-ce qu'il a bien retenu mon prénom. Est-ce qu'il sait qui je suis ? Et au fur et à mesure, il fait des progrès énormes. Un mot, puis un deuxième mot, puis une phrase, puis deux, trois phrases. Alors certes, avec beaucoup d'hésitation, certes avec...
des détours linguistiques assez particuliers. Mon papa, c'est quelqu'un qui n'aimait pas du tout l'école. C'est quelqu'un qui, pour autant, adore la littérature, sans forcément l'avoir appris. Et c'est quelqu'un qui adore les jolis mots et la sonorité des mots. Et donc parfois, il me sort des phrases qui sont absolument, on aurait dit, du langage extrêmement soutenu du XIXe siècle.
J'ai dit, bon, écoute, ça, c'est un petit peu désuet la manière dont tu le dis, mais c'est bon, j'ai compris. Et donc, ça le fait rire. Et quand il rit, là, je me dis, mais c'est gagné. C'est gagné, c'est-à-dire que là, c'est plus quelqu'un de mon rose. C'est quelqu'un qui retrouve goût un peu à la vie.
Je lui dis, il faut absolument que tu tiennes, il faut absolument que tu recouvres la santé parce que dans quelques mois, tu vas revenir sur Lyon et tu vas tenir ta petite fille dans les bras. Alors autant pour moi, ça a été un moteur extraordinaire.
Autant pour lui, je pense que c'est aussi un moteur très fort. Mon rôle, il est juste d'être présent. Et surtout, mon rôle, c'est de lui faire comprendre que ça reste mon père et que j'ai besoin de lui. À partir du moment où il est pris en charge par des professionnels... par des orthophonistes, par des psychologues. J'abandonne ce rôle de coach. Je repasse plutôt en mode enfant. Ça reste mon père. Mais par contre, ça reste un père différent. C'est plus tout à fait la même personne.
Il développe parfois des traits de caractère que je ne lui connaissais pas. Parfois il va s'emporter sans aucune raison. Parfois il va être en colère. Parfois il va être soucieux, très soucieux. Il a parfois des remarques qui sont racistes. des traits de caractère parfois misogynes, alors qu'il ne se serait jamais permis ça avant. Et ça, ça fait bizarre. Il faut l'accepter. Il faut se dire que ce n'est pas forcément lui. Il faut que je le réapprenne.
Et ça, c'est particulier. C'est difficile à faire parce qu'en ayant vécu de manière aussi intime avec lui, de manière aussi fusionnelle avec lui, il faut que je fasse un peu un trait sur la personne qu'il était et que je redécouvre. Et puis, il faut que je fasse aussi un trait sur l'image que je me faisais de lui en tant que futur grand-père, parce que je le voyais déjà avec ma petite fille à faire des jeux, à être hyper stimulant comme il a pu être stimulant pour moi.
Et il faut que je fasse non pas le deuil, mais que je me dise qu'il aura un rôle un peu différent de celui que j'avais imaginé pour lui. C'est difficile à accepter, de changer de perception sur l'image de son père. surtout quand on a une image très héroïque de lui, mais je dirais que c'est le temps qui pense un peu les plaies. Et de toute manière, dans ces moments de vie un peu durs, il y a deux choses qui nous font du bien, ce sont les gens qui sont autour de nous.
¶ La naissance de Charlie et les retrouvailles
Le rôle aussi des personnes qui nous accompagnent, des psychologues, très importante. Et le temps. En octobre 2022, ma fille Charlie naît. Et ça, c'est absolument incroyable. C'est un aboutissement fou. On va dire que c'est le meilleur moment de cette année-là et qui nous fait oublier tout le reste. Et quelques jours après sa naissance,
Mon papa fait le trajet avec mon oncle et ma grand-mère, Montpellier-Lyon, pour aller à la rencontre de sa petite fille. Et finalement, la rencontre se fait à l'accueil. Et je le vois marchant avec sa canne. Et là, c'est assez drôle d'ailleurs parce qu'il marche avec sa canne et puis tout d'un coup, quand il me voit avec Charlie dans les bras, il en oublie presque sa canne.
C'est-à-dire qu'il la pose à côté et puis continue à marcher comme ça sur ses deux jambes, comme si de rien n'était, et il la prend dans les bras. Et je vois son sourire, je vois ses yeux encore brillants, et là je me dis... Eh ben dis donc, on en a fait du chemin. Il en a fait du chemin. Il y a encore quelques mois de ça, je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse tenir sa petite fille dans les bras. Et il a encore prouvé une fois de plus que c'est quelqu'un de...
combattant, que c'est quelqu'un d'hargneux, que c'est quelqu'un qui a l'envie d'avancer et finalement ça reste toujours mon héros. J'ai la chance d'avoir un père comme ça. qui, malgré toutes les douleurs, malgré toutes les souffrances, il est là aujourd'hui pour rencontrer sa petite fille. Et certes, avec toujours ses quelques difficultés à pouvoir exprimer ses émotions.
Bien que finalement il les exprime peut-être un peu plus qu'avant, il est peut-être un peu moins taiseux, il a peut-être appris à parler plus avec son cœur qu'avec son esprit, et c'est une autre personne.
¶ Leçons apprises de l'épreuve
mais ça reste toujours mon père. Et j'en suis fier. Se satisfaire de chaque petite avancée, chaque petit pas, chaque petit succès, finalement, ça permet de prendre beaucoup de recul sur la vie. sur ce qui se passe dans les problèmes du quotidien. Ça permet de relativiser sur énormément de choses. On se sent en fait un peu plus libre finalement.
Lorsqu'on a des accidents comme ça, lorsqu'on a des événements qui surviennent à un instant de notre vie et des événements aussi lourds, aussi durs, finalement on s'aperçoit que l'être humain a beaucoup de capacité, il a beaucoup de résilience. Et que des petits problèmes, il y en aura toujours, mais qu'on saura toujours y faire face.
Vous venez d'écouter Transfer. Ce témoignage a été recueilli par Léa Volbert. Transfer est produit par Slate Podcast. Direction et production éditoriale Sarah Koskiewicz et Benjamin Septemours. Chargée de production Astrid Verdun. Chargée de post-production Mona Delahaye. L'introduction est écrite par Sarah Koskiewicz et Benjamin Septemours. Elle est lue par Aurélie Rodriguez.
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