¶ Introduction et Enfance Marquée par la Violence
Il nous fascine, nous effraie, nous passionne. Cet été, transfert se met à l'heure des faits divers. Découvrez à travers les voix des victimes, mais aussi des coupables, ce que ces crimes disent de nous.
¶ Échapper à la Violence par la Police
Pour échapper à la violence de sa jeunesse, Philippe choisit de faire carrière dans la police. Efficace et travailleur, il monte très vite les échelons. Mais quand ses vies professionnelles et personnelles s'entrechoquent pour le pire… Une seule issue semble s'offrir à lui. Vous écoutez Transfer, épisode 343, un témoignage recueilli par Roxane pour Sajadi. Je viens d'un milieu modeste. Ma mère, elle est italienne.
Et elle va rencontrer mon père qui est le meilleur ami de son père à elle. Et ils vont se marier, ma mère a 14 ans quand ils se marient, en Algérie, à Alger. Ils quittent l'Algérie en 1963, au moment des événements. et s'installe dans la Drôme. À bord de péage, exactement. Mon père, quand il a trop bu de pastis et trop bu de vin ensuite, il devient excessif. Violent à table, verbalement, physiquement. Si on ne se tient pas comme il faut, on...
On prend des claques. Et puis avec ma mère, c'est pas à table que ça se passe, c'est après. Quand elle lui reproche ses infidélités, s'il est ivre, il se passe les nerfs sur les murs, mais parfois sur maman. C'est des menaces de mort. Physiquement, il l'attrape par le bras, il la bouscule. Quand il boit, papa ne se maîtrise plus. Mon papa, il est ouvrier.
Et plus précisément, chef d'équipe. Il est toujours en bleu de travail, toujours les mains dans le cambouis. Il a des mains de travailleurs et il a des mains en or. Ce qu'il fait, il le fait bien. Ma mère, elle... À un moment donné, elle va devenir femme de ménage. Ensuite, elle va devenir femme de ménage dans un café-théâtre. Elle nous emmène avec elle le mercredi. Et ce café-théâtre tranche avec les PMU où mon père m'amène le dimanche.
Dans le PMU, c'est le brouhaha, la cigarette, l'odeur du pastis. Et puis le mercredi, c'est calme le matin. Ma mère nous amène dans cet endroit où il y a une scène, une petite scène. Les photos du patron avec les clients, avec les artistes. Tout le monde a le sourire, tout le monde semble heureux. Ça me marque. Le café-théâtre, où elle fait le ménage, lui propose de devenir serveuse.
Maman va faire la connaissance d'autres personnes, va se rapprocher notamment d'un barman. Ce barman devient un ami de la famille. Il est souvent à la maison, il est sympa avec maman, avec papa, avec nous, très gentil. On est en Italie. Papa va reprocher à maman un coup de téléphone avec Marc. Marc, c'est le barman. Ce jour-là, papa rentre dans une colère, mais se met à hurler, attrape ma mère par les cheveux.
La mène dans la chambre. Et nous, on rentre dans la chambre. On se cache sous le lit. Papa est en train de démonter maman. Et il l'étrangle. Il va falloir que tout le monde... interviennent pour l'empêcher d'aller plus loin. Je suis pris entre deux sentiments, ma mère qui est malheureuse et mon père, violent. Mais on le voit, il nous aime.
Mon père, à chaque fois qu'il fait quelque chose sous alcool, le lendemain, il pleure. Il pleure, il s'excuse. Il dit que c'est à cause des événements d'Algérie qu'il l'a traumatisé. C'est à cause de l'alcool et qu'il boit parce que c'est plus fort que lui. Finalement, maman n'en peut plus les frasques de mon père, se rapproche de Marc et va demander le divorce. Le jour de notre départ, on est devant l'école primaire, mon père qui sort de l'usine.
Il est en bleu de travail. Mon père qui nous dit au revoir, qui pleure. On remonte dans la voiture, maman démarre, on regarde papa. Et puis à l'âge de 16 ans, je veux des réponses à des questions. J'interpelle mon père. Je lui demande pourquoi il a fait ça. Pourquoi il a frappé maman ? Pourquoi il l'a trompé ? Pourquoi... Toujours la guerre d'Algérie, toujours l'alcool. Enfin, vraiment, il se défile. J'ai 16 ans et je lui dis, viens, tu veux frapper quelqu'un maintenant ? Frappe-moi !
T'as assez frappé, maman, mais viens me frapper, viens te battre avec moi. Avec mon père, à partir de ce moment-là, les rapports sont particuliers. À 16 ans, je suis un garçon effacé, timide. Quand je parle, on me prend pour une fille. J'ai les traits fins. Et puis, à 18, je commence à m'affirmer. J'ai le permis de conduire. Je me mets à fumer, ça fait de moi un homme.
¶ Premier Amour et Vies Nouvelles
Alors, maman et Marc, leur affaire marche très bien. Et le petit luxe qu'on a le dimanche à midi, c'est d'aller à la cafétéria à Bourg-de-Péage, à côté de Romand. Et dans cette cafétéria... Je suis tombé amoureux de la serveuse. Moi, j'étends qu'un truc la semaine, c'est vivement dimanche, que je sois servi par cette fille qui me sourit, qui me demande même plus la cuisson de mon steak à la fin. Elle sait que c'est saignant.
Elle est jolie, elle a des grands yeux, des petites taches de rousseur. Je fais la connaissance de cette serveuse et c'est le point de départ de notre histoire d'amour. Je vais la revoir. Et l'amour s'installe tout doucement, petit à petit. On se fiance. Elle a son bac avant moi. Elle décide de passer un concours dans la police. Son père est policier, son frère aussi.
Elle passe un concours dans la police, mais en tant qu'agent administratif. Puis moi, j'ai mon bac. Je me destine à un BTS de biologie sur Grenoble. Mais l'amour, cette fois, bat son plein. J'ai finalement plus envie de faire des études. Je décide d'entrer dans la vie active pour fonder un couple et gagner de l'argent et mener une vie où on va pouvoir partir en vacances. Je me vois bien devenir papa aussi. On se dit tous les deux que travailler dans la même administration...
Ce serait un bon départ dans la vie. Son père m'encourage, il me trouve dynamique, sportif. Je passe le concours de gardien de la paix, qui ne demandait qu'un niveau de BEPC. Je le réussis et j'intègre l'école lyonnaise des Gardelles-Lapé le 1er octobre 1985. J'ai 21 ans et je suis fier parce que... On représente l'ordre, on a un uniforme. Je suis armé, c'est galvanisant. On se marie après, à la fin de ma scolarité. À peine marié, je suis muté à Paris.
¶ Vie Parisienne et Séparation
Là, je passe par tous les services, la circulation, la police secours, les patrouilles à pied, verbaliser les contrevenants ou les intersections. Et là, je suis happé par le tourbillon de... de la vie parisienne. Je sors avec mes copains de promo. On est tous à Paris. On a passé presque un an ensemble à l'école. On se retrouve à Paris pour faire la fête.
Je sors, je ne rentre qu'une fois par mois à Lyon. Quand je reviens sur Paris, je suis content. Je suis heureux de revenir à Paris, de retrouver mes copains, de savoir qu'on va aller au palace, au bain-douche, partout, c'est la fête. Cette parenthèse parisienne va faire de moi un autre homme. Quand je suis enfin muté à Lyon, je reviens, je m'en compte que je ne veux plus d'une vie de couple. Un jour, elle sort de...
du travail, je l'attends et je lui annonce que c'est fini. Je l'aime toujours, mais je ne veux plus de cette vie. Elle réagit mal et on est en pleine rue et je prends une tarte. Elle me demande de faire mes valises et de partir puisque c'est ce que je veux.
¶ Retour à Lyon : Ilotier Attaqué
Donc je reviens à Lyon, j'ai 25 ans. Je suis affecté sur le premier arrondissement de Lyon. Un arrondissement qui me plaît parce que ça me rappelle l'animation parisienne. Il y a de la circulation dans tous les sens, il y a du monde de partout, je me sens vraiment bien. En plus, le premier, c'est...
Les pentes de la Croix-Rousse, ça m'évoque un petit peu le quartier populaire du Sacré-Cœur, ces environs-là. Alors, je suis Ilotier. Ilotier, c'est un gardien de la paix qui arpente son secteur à pied. et qui est plus là pour faire de la prévention de la répression. Aux écoles, c'est moi qui fais traverser les enfants. Je connais tous les commerçants. Rapidement, je deviens quelqu'un de populaire parce qu'on me trouve sympa.
populaire sauf auprès d'une catégorie de la population qui vit sur les pans de la Croix-Rousse et sa pullule d'anarchistes. Les anarchistes, quand ils voient du bleu, ils voient rouge. C'est une de nos missions, contrôler ces anarchistes. Enfin, ce n'est pas des types qu'on arrête et qu'on met en regard de vue. On fait des contrôles d'identité. Et à chaque fois, c'est des provocations verbales et ça devient insupportable.
des bruits d'animaux. Il y a des mots pour désigner les policiers qui sont remplis de haine. Au lieu de dire les flics, ils disent les lardus. Puis des regards et des attitudes.
¶ Inspecteur des Stups et Découverte Sombre
À 28 ans, je décide de passer le concours interne d'inspecteur de police. Alors je le passe, c'est au printemps 1992. Je réussis l'écrit, je passe l'oral, ça se passe bien, je suis confiant. Un après-midi, je tombe dans un guet-apens. J'ai reçu deux jours auparavant un courrier m'informant que j'avais réussi le concours d'inspecteur. Je me dis, ouf, ouf, fini l'uniforme, ça y est, cette fois, c'est sûr, plus que quelques mois à le porter, et c'est terminé.
Puis la joie de prendre du galon, inspecteur de police, pour moi, c'est inspecteur Harry au cinéma, c'est Starsky Hutch dans les séries télévisées. Donc je suis fier, je vais travailler en civil, je serai moins visible. moins pris pour cible. L'inspecteur est officier de police judiciaire, peut mener des enquêtes, peut mettre en garde à vue, peut faire des tas de choses, mener des perquisitions. L'après-midi, je tombe dans un guet tapant.
Et je suis pris à partir en bas de chez moi par une quarantaine d'individus. Je suis tout seul. Je réponds à la provocation. Au lieu d'ouvrir ma porte et rentrer chez moi, j'ai ouvert ma gueule. Excédé. Et là, le... Le plus fort d'entre eux va venir se battre avec moi. Il va y avoir un affrontement terrible au milieu de la rue. Je n'ai pas le dessus. Je suis ouvert partout, il y a du centre partout. Je suis juste massacré. Je vois...
Ma dernière heure arrivée à ce moment-là. Je suis marqué physiquement et psychologiquement. Je suis heureux de bosser enfin un civil. Je me dis que je serais incognito. Je passe à autre chose. Ma scolarité se passe très bien à tel point que je choisis sortie d'école, mon affectation. Je décide de revenir sur Lyon. Je vais être au cœur de la cité. Je choisis le deuxième arrondissement.
Quand j'arrive dans ce commissariat, il y a deux services. Il y a un service anti-drogue, un groupe stup, comme on dit dans le jargon. C'est un petit groupe stup, un commissaire qui dirige trois hommes. Et puis, il y a un service de plaintes et constatations.
Quand on sort d'école, c'est là qu'on envoie les jeunes inspecteurs. Des plaintes pour vol, des plaintes pour coups et blessures, des constatations, constatations de vol effraction, constatations de décès avec les autopsies qui suivent souvent. Pas très glamour, mais ce service a un avantage, c'est qu'il me permet d'avoir mes week-ends. Et moi, le week-end, je redescends en roman, je vais voir ma mère, je vais voir mes copains.
¶ Nouvel Amour et Maladie Maternelle
Et le samedi soir avec les copains, c'est la fiesta. La fiesta, à ce moment-là, elle rime avec Baccarat, c'est la boîte branchée du centre-ville de Valence. Et un soir d'été 93, On est dans cette discothèque, le Baccarat, la soirée se déroule festif, comme prévu. Et puis il y a cette fille qui arrive dans le club. Et là, j'ai un coup de foudre. On ne peut pas la quitter des yeux.
Elle traverse la boîte et je la laisse s'installer. Il faut que j'aille faire sa connaissance. C'est ce que je fais. Je m'invite à sa table. Je fais la connaissance d'une jeune valentinoise de 22 ans. Elle est plus jeune que moi, elle est blonde, elle a un petit haut en léopard. Bon, le courant passe, et puis un baiser aromatisé, whisky-coca plus tard, c'est une histoire d'amour trépidante qui commence.
C'est une fille brillante. Elle est issue d'une bonne famille. Dans sa façon de s'habiller, de se maquiller, elle sort du lot. Elle est rebelle, elle en veut un petit peu. cet ordre qu'il y a autour d'elle, dans sa famille, les bonnes manières et tout. Je sens qu'elle est prête à défier sa famille, prête à leur présenter un inspecteur de police qui a presque dix ans de plus qu'elle.
Elle est prête à dire, voilà, c'est l'homme que j'aime. Deux ans après notre rencontre, ma chérie réussit son diplôme. Elle obtient sa maîtrise. Elle vient vivre avec moi. Elle trouve du boulot. Elle est secrétaire pour une entreprise. Elle parle espagnol, anglais, couramment. Tout baigne depuis deux ans. Le seul problème, c'est ma maman qui apprend au cours d'une banale prise de sang qu'elle a...
Une maladie invisible et sûrement héréditaire. Maman, une polykystose rénale. Ses reins se dégradent lentement mais sûrement et se profilent à l'horizon la dialyse. Et cette maladie ? Peu toucher, parce qu'elle peut sauter une génération, celui de ses enfants qui a le même groupe sanguin qu'elle. Maman est au plus, je suis au plus. A la fin de cette année 95, le groupe Stup réalise une saisie spectaculaire de drogue.
Ils saisissent 5 kilos d'héroïne. Presque pure. Après l'analyse, la drogue est pure à 70%. À l'issue de cette affaire, les 5 kilos sont placés sous scellés. Tout le monde veut les voir. Moi, le premier... 5 kilos d'héroïne, c'est quoi ? Alors les 5 kilos d'héroïne, c'est 5 fois 5 ballots de 1 kilo. C'est une espèce de boule. C'est ce que je vois dans les films. Ça représente une fortune.
Un kilo d'héroïne pure à 70%, ça veut dire une fois coupée, qu'on en refait trois fois plus. À la revente, c'est énorme. Les cinq kilos d'héroïne partent ensuite à la destruction, à l'incinérateur.
¶ Découverte de l'Héroïne Cachée
Le commissaire obtient une promotion, il part dans le sud, il prend un galon, le groupe se trouve orphelin de son chef, il faut en désigner un autre, je postule et je suis retenu. Je deviens chef du groupe Stup à 32 ans, janvier 1996. Mais je suis fier parce que je suis le chef. Lorsque j'arrive dans mes nouveaux locaux qui sont au sein du commissariat, il y a deux bureaux. Il y a le mien.
où je suis seul, parce que je suis le chef. Et puis, il y en a un deuxième, plus grand, où je trouvent mes trois hommes. C'est là où se trouve tout le matériel, dans des armoires. Dans une première armoire, je trouve le petit matériel, gilet pare-balles, talkie-walkie. Dans une deuxième armoire, je trouve tout le matériel à sceller, les petits scellés en cours. Et puis clairement, la drogue qui inonde l'agglomération, c'est le cannabis. Et on nous en amène des dizaines par jour.
Le groupe démantèle régulièrement des trafics de cannabis, donc c'est des petits scellés avec une dizaine de barrettes. Il y a tous les registres, donc on signe des tas de choses. Et puis, il y a ce meuble qui s'appelle une chandelle. C'est une espèce de classeur, mais avec des battants qui se rabattent. Je regarde ce qu'il y a comme imprimé à l'intérieur. C'est là où je trouve tous les imprimés pour mettre en garde à vue, prolongation de garde à vue, etc.
Et puis à un moment donné, j'ouvre un bâton et là, il y a un ballot d'héroïne qui est plein, qui est ouvert, légèrement entamé, à peine. Alors j'interpelle mes collègues, j'ai dit les gars, c'est bien ce que je crois. Et en effet, c'est un kilo d'héroïne. Ils n'ont pas saisi cinq, mais six. Le sixième est resté dans l'armoire, c'est pour rémunérer les indiques. Mais ce kilo n'existe pas. Sur le papier, il n'existe pas. Le commissaire l'a écarté.
Ce sont mes trois hommes qui me donnent l'explication. Bon, moi, je ne suis pas là pour révolutionner le service, donc je dis OK. Je demande qu'à apprendre. Si c'est comme ça, OK.
¶ L'Enquête Cocaïne Commence
Dans ma vie perso, tout se passe bien. Le mot « mariage » est même lancé. On se dit qu'on a le temps, mais on choisit même déjà le prénom de nos enfants, filles ou garçons. Fin 96, il y a une femme qui se présente, elle a quelque chose à dire au stup. Et je reçois une jeune femme qui est assez fébrile, qui pue l'alcool. Elle est venue pour régler des comptes avec ses copains, entre guillemets copains. Cette femme dès qu'elle arrive me précise qu'elle est... C'est une prostituée de luxe.
Elle me sert sur un plateau un trafic de cocaïne, elle me donne le nom du dealer, le nom des consommateurs qui sont eux-mêmes des usagers revendeurs, qui fournissent leur entourage, le nom des lieux où ça se passe, surtout dans le monde de la nuit. J'ai ma première grosse enquête qui se met en place et je vais commencer à chercher des antécédents pour voir s'il y a eu des antécédents de trafic de cocaïne sur Lyon. Je ne trouve rien, curieusement.
Je passe tous les mecs au fichier, ils sont tous inconnus. Là, j'ai mon égo de flic qui enfle. Moi aussi, je rêve de promotion, de galon, d'articles dans les journaux. Mon égo de flic, j'ai envie qu'on parle de moi, qu'on reconnaisse mes compétences. Toujours cette histoire d'ambition tout le temps. Moi, je suis génération Scarface. J'ai le sentiment à ce moment-là que je vais arrêter Tony Montana.
Donc je me lance cours et âme dans cette enquête. Au tout venant de cannabis s'ajoutent des surveillances le soir, surtout les week-ends. C'est long. On reste souvent des heures sans qu'il ne se passe rien. Mais parfois, il se passe quelque chose. Petit à petit, l'enquête prend forme. Et puis, à côté de ça, on a des numéros de téléphone qu'on fait identifier avec l'autorisation du parquet. On fait identifier ces numéros, on demande des listings téléphoniques.
C'est un travail de fourmi qui commence. On compare tous ces listings pour savoir qui appelle qui après avoir reçu l'appel de telle personne. Mais là aussi, ça va payer. Et au fil des mois, l'enquête avance. Mais à côté de ça, dans ma vie perso...
¶ Tension Conjugale et Doute
C'est plus la même musique. Ma chérie commence à se plaindre. On ne sort plus. Les week-ends, je suis toujours sur le terrain. Les rares fois où je la sors, je la mène dans les discothèques où je surveille mes mises en cause. Elle en a marre de cette ambiance d'enquête de police permanente jusque dans le couple. Je lui dis, écoute, si c'est que ça, sors avec tes collègues de travail, je ne t'en empêche pas. Et c'est ce qu'elle va faire.
Il y a un soir où on organise un aperitif dînatoire à la maison. Moi, je dois partir. C'est pour un autre groupe stup que j'épale. Et ce jour-là, on se rend à la gare de Lappardieu pour éventuellement interpeller un gars qui est susceptible d'être armé. Donc, je pars avec... J'ai les pare-balles et je pars peut-être aux caisses-pipes. J'ai le temps de croiser ses collègues de travail. Notamment, je vais faire la connaissance de Brad Pitt.
Pas le vrai Brad Pitt. Je l'associe à Brad Pitt parce qu'à ce moment-là, quand je le vois, je me dis « Ah le beau gosse ! » Belle gueule, bien sapée, taillée, jeune. Puis elle particulièrement a prêté ce... Ce soir-là, je pars faire ma surveillance, mais j'ai quelque chose qui s'est logé dans ma tête. Un doute. La fameuse intuition masculine. D'ailleurs, je m'en compte au fil des jours que son comportement...
¶ La Découverte de l'Adultère
en effet, n'est plus le même. Mais qu'est-ce que je peux lui dire ? Ouais, j'ai vu un beau mec dans la bande. Je vais passer pour un mec jaloux. Pour en avoir le cœur net, dans le cadre de mon enquête, je fais passer une demande de listing sur son numéro de téléphone. J'ai pas le droit, après...
Le cœur a ses raisons que la raison ignore. Voilà, c'est un numéro que je glisse parmi tant d'autres dans cette enquête. Un week-end où elle n'est pas là, elle est partie voir ses parents. Je me rends au commissariat. Il y a le listing tant attendu. Je l'épluche. Je me rends compte qu'il y a un numéro qui apparaît tout le temps que je ne connais pas, qui apparaît quand je ne suis pas là. Je le compose. Et c'est la messagerie de Brad Pitt.
C'est la messagerie du beau gosse. Alors, je raccroche. Autant appeler directement l'intéressé. J'appelle ma chérie. Elle essaie de noyer le poisson. C'est un copain. Je dis, oui, mais ce n'est pas n'importe quel copain. C'est celui qui était là à la soirée.
¶ Rupture et Rencontre au Bar
Et pourquoi des 30 minutes de conversation ? Et pourquoi des une heure de conversation tous les soirs quand je ne suis pas là ? Je ne le reverrai plus. Quatre ans de relation en tout et qui partent en fumée et juste ses parents qui viennent récupérer ses affaires.
C'est fini. J'attends, j'attends en me disant qu'elle va revenir, mais plus de son, plus d'image. Comme le soir, je n'ai pas envie de me retrouver seul comme un con à la maison, qui est devenu un petit peu vide maintenant. Je traîne dans un... un pub à côté du commissariat qui s'appelle le Contribuse. Quand il y a du monde, il y a de l'ambiance, il y a de la bonne musique. Donc moi, je suis là le soir pour résoudre ma tristesse. Je bois du whisky, tranquillement.
J'écoute la musique et je me pose des tas de questions. Je suis désabusé, mais je ne me mets pas minable non plus parce que j'ai quand même une enquête à faire aboutir. Heureusement, mon enquête est là pour me tenir. Jusqu'au jour. où il va se passer quelque chose, c'est que je croise le regard d'une fille qui, au moment où je croise son regard, elle me sourit immédiatement, un sourire magnifique, et je lui rends son sourire.
Elle a un regard particulier. Ce qui m'attire, c'est son regard. Elle a un petit strabisme. Et puis, accompagnée de son sourire, c'est un tout. Elle est brune, je la trouve jolie. Et ce regard avec cette fille intervient un peu plus d'un mois après ma séparation. Mais cette fille, je la revois quelques jours plus tard. À nouveau des sourires, des regards un peu...
Elle me cherche du regard. Après le barman, je lui dis « Est-ce que tu peux lui offrir un verre ? » Si elle accepte, bien sûr. Et elle accepte ce verre. Elle laisse ses copines, me vient trinquer, se présenter. Et moi, tout d'un coup, je le sens, mon cœur.
Mon cœur vient de se remettre en marche. Je sens que je peux passer à autre chose. Je me dis que la prochaine fois que je la vois, cette fille, ce n'est pas un verre que je lui offre, je l'invite au restaurant. Mais avant ça, j'ai une chose à faire, c'est...
¶ Piège pour le Dealer
l'interpellation de mon principal suspect. Ça va faire un an que l'enquête, maintenant, a démarré. On est en enquête préliminaire, c'est le premier stade de l'enquête. Elle peut durer longtemps, une enquête préliminaire. Il faut monter d'un écran, il faut passer en flagrant délit.
Une fois dans les rites piétonnes, on le fait contrôler par un équipage d'îlotiers qu'on a prévenu, contrôle de routine, et il est trouvé porteur d'un gramme de cocaïne. Pas de quoi en faire un dealer d'envergure, mais de quoi l'amener au poste, on nous le présente, ça y est, le lien est fait.
Et c'est un fanfaron, le gars. Il nous assure que si on le relâche rapidement, parce que c'est un bon père de famille, le lendemain, il va nous amener des éléments pour nous permettre d'interpeller le gars qui lui a vendu la coque. Alors nous, pour noyer le poisson, on dit OK, rendez-vous demain au Country Blues.
Mais le piège se referme, le gars, on le libère. Il va être passé sur écoute. Alors le lendemain, c'est une question de psychologie à ce moment-là. On veut voir jusqu'où il nous prend pour des cons et on l'attend à 11h au country. Il vient à 11h.
¶ La Maîtresse est mon Espoir
Et le bon père de famille nous dit d'emblée qu'il n'a que 20 minutes à nous accorder, il y a sa maîtresse qui va arriver, il faut qu'il l'amène au restaurant, sinon elle va lui faire la vie. Ok, on se met à l'écart, on monte sur la mezzanine du country. On écoute ses salades, on fait comme si on gobait tout. Et sur ce, on entend des bruits de pas dans la mezzanine. C'est sa chérie, sa maîtresse. Sa maîtresse n'est autre que cette jeune femme qui avait relancé mes espoirs à moi.
dans ce même café. Là, il y a tout qui s'écoule dans ma tête. Elle ne sourit pas, elle me regarde, elle dit bonjour et les regards sont gênés. Elle va soutenir mon regard quelques secondes, mais pas plus.
¶ Interrogatoire, Ligne Rouge Franchie
Le dealer, présumé, repart avec sa maîtresse et moi avec mon adjoint et mon cœur en ruine. Mais bon, il faut continuer l'enquête et rapidement, elle aussi est mise sur écoute parce qu'il passe la plupart de son temps chez elle. C'est là que j'apprends sa profession. Elle est hôtesse dans un bar de nuit, nous des sourires faciles. Mais bon, on obtient au bout de quelques semaines des preuves indéniables que le gars trafique. Donc un matin, c'est l'interpellation au domicile de cette fille.
Les deux sont placés en garde à vue, ainsi que notre personne identifiée dans cette affaire. On a donc 96 heures maximum pour boucler l'enquête et boucler le dealer. Je place donc cette fille en garde à vue et je procède à ses auditions. Ce n'était pas le genre de tête-à-tête auquel je rêvais. L'ambiance est spéciale à ce moment-là. C'est pris entre la séduction de son regard qui n'a pas changé.
Il n'y a plus les sourires, mais il y a toujours son regard. C'est pris entre cette séduction et l'obtention de la vérité. Voilà. Ambiance malsaine, en fait. À l'issue des 96 heures, le dealer est placé en détention provisoire. On a saisi 50 grammes de cocaïne. On a réussi à établir que c'est la quantité qui est revendue chaque semaine depuis un an. Madame le juge me demande de poursuivre l'enquête.
Je lui fais mon compte rendu et moi, à ce moment-là, physiquement, je suis épuisé. Quatre jours de garde à vue, il n'y a pas de grasse matinée. C'est non-stop. On n'arrête pas. On tient. par les cigarettes, le café. Tu as beaucoup de pression. Psychologiquement, je suis sur un fil. Je suis en équilibre sur un fil. Ce soir-là, j'ai envie d'un whisky. Je n'étais pas retourné au country depuis que j'avais croisé le dealer avec sa maîtresse.
Je veux un whisky, je veux souffler. Et je suis au comptoir. La porte s'ouvre. Je regarde. C'est elle qui entre. La maîtresse du dealer. Moi, je suis embarrassé, je retourne devant mon verre. Elle vient s'asseoir à côté de moi. Je lui dis « Tu m'en veux ? » Elle me dit « Non ». Je lui dis « Tu veux prendre un verre ? » Elle me dit « Oui ». Elle boit son dine tonique et à l'issue, elle me dit…
Les envahir. Le lendemain, quand je parte chez elle, je sais que je ne la reverrai plus jamais. Ça aussi, elle me l'a dit. Et là, je passe une journée à me torturer l'esprit. Je me dis, Thierry, mais qu'est-ce que t'as fait ? Je viens de chuter dans ma déontologie policière. Je viens de commettre quelque chose qui ne se fait pas, surtout pas qu'un témoin principal. À ce moment-là, il y a tout qui revient de plein fouet. Cette fille sur laquelle j'avais misé sur un futur.
qui me permettait de passer à autre chose, ça vient de s'écrouler. J'ai ma rupture qui me revient en pleine gueule. Fatigué physiquement, fatigué psychologiquement, là je suis dans un état de... dans une fragilité absolue.
¶ L'Héroïne comme Évasion
Je suis en train de péter les plombs à ce moment-là. Et ce soir-là, je suis le dernier à quitter le bureau. J'ai besoin de quelque chose. Je connais les qualités apaisantes de l'héroïne, alors je vais me servir dans le ballot. J'ai appris les effets des drogues à l'école des inspecteurs. Pour chacune des drogues, on nous explique pourquoi les drogués prennent telle drogue ou telle drogue. On a des cours à l'école des inspecteurs pour ça.
Je sais à ce moment-là qu'est-ce que produit l'héroïne quand elle est fumée, sniffée ou injectée. La différence entre les trois, c'est à la vitesse à laquelle ça vient. Les effets sont les mêmes à la sortie. Donc je sais que l'héroïne procure de l'euphorie. Je décide de prendre un pincé d'héroïne sur le ballot. Je me dis qu'une pincée sur un kilo, ça ne se verra pas.
Jamais dans ma poche. J'arrive chez moi et je fume l'héroïne. Je n'en mets pas beaucoup parce que je n'en ai jamais fumé. Je ne suis jamais drogué. Donc je me roule une cigarette avec un petit peu d'héroïne, pas beaucoup, parce qu'elle est quasiment pure.
Je n'ai jamais fumé, je ne sais pas ce qui va se passer. Et les effets recherchés arrivent. L'euphorie qui s'installe, la tristesse, l'angoisse qui disparaissent. Tout d'un coup, je suis bien, je retrouve la confiance en moi. Je me dis que je suis bien. Je me dis que je suis un mec bien. que ma chérie va revenir. Il faut être patient. Tout va bien. Et que ce qui s'est passé avec le témoin, c'est arrivé, mais ça ira pas plus loin que ça. Ce qui est con, c'est que je reste un bon flic.
Et je vais d'ailleurs m'endormir sur cette sensation. Je suis bien. Comme dans du coton. Sauf que le lendemain, les effets se sont dissipés. C'est la gueule de bois. Retour à la case déprime, retour à la réalité.
¶ L'Engrenage de l'Addiction
Un torrent de doutes et d'incertitudes qui continue de circuler dans ma tête. L'évasion malsaine va recommencer. Le soir même, je veux retrouver tout de suite l'euphorie de la veille. Il m'en reste, parce que je n'ai pas tout mis. Je refume de l'héroïne. À nouveau, c'est bien. Et le lendemain, ça va recommencer. Puis recommencer. Puis si l'engrenage, je décide ensuite de sniffer l'héroïne. Je prends que des pincées à chaque fois.
Je me dis que pour l'instant, ça ne se voit pas. Personne ne voit rien. Personne n'ouvre ce battant parce que c'est pour rémunérer les indiques. Et à ce moment-là, on n'a pas besoin de rémunérer un indique pendant une autre enquête. On en a déjà par-dessus la tête.
Et puis, je me dis que si jamais on me posait la question, tiens, on dirait qu'il en manque. J'aurais une réponse toute faite, c'est j'ai un indique. Je ne vous l'ai pas dit, j'ai un indique. La drogue, quand on la sniffe, ça va plus vite. C'est l'engrenage, je décide, je veux que ça aille plus vite, je veux que ça soit plus fort. Au niveau de ce que je mets de quantité, j'en mets un petit peu plus maintenant. Ça va direct au cerveau quand on sniff. Je sniff tous les soirs.
La journée, je broie du noir. Le soir, je suis au Nirvana. Et deux mois, à peu près, après ma première prise d'héroïne, un matin, je me réveille. J'ai mal de partout. J'ai des courbatures. J'ai des crampes dans les mains, j'ai la nausée, j'ai froid, je tremble. Je comprends tout de suite que je n'ai pas une grippe ni une angine. Je suis en manque. Le manque est tel que j'en suis au point de me taper la tête contre les murs.
Alors, allez voir un médecin. Oui, mais mon médecin, il est à Rouman, donc à 100 kilomètres d'ici, médecin de famille. Allez voir un autre médecin, mais je ne le connais pas. Le gars va peut-être me dénoncer à ma hiérarchie.
On va me suspendre, on va me saisir mon dossier qui n'est pas terminé, cette affaire n'est pas terminée, je vais aller jusqu'au bout. Il n'y a qu'une façon que ça s'arrête, c'est d'en reprendre. J'en prends un petit peu, et en effet, au bout de quelques minutes, ça y est, ça va mieux.
¶ Vivre en Secret : Flic Toxicomane
Je ne suis pas défoncé. Je sens que je peux gérer la suite. Quand j'arrive, personne ne se rend compte de rien. Je me drogue maintenant matin, midi et soir. Le matin, c'est pour faire disparaître mes douleurs. J'en prends juste un petit peu. Comme j'en ai pris juste un petit peu, les douleurs reviennent dans la journée. Donc, dès que l'agitation me gagne, je reprends de la drogue dans les toilettes. J'en ai toujours maintenant dans ma petite poche revolver, la poche revolver de mon jean.
Je me rends dans les toilettes du commissariat et à l'endroit où on met le papier WC, ces boîtiers métalliques, là j'en mets un petit peu. Au moment où je tire la chasse, j'ai roulé... avec une petite feuille de papier. Je tire la chaise pour ne pas qu'on entende le signif que je vais faire, au cas où. À ce moment-là, j'en prends. Je m'assure ensuite que je n'ai pas de poudre nulle part. Le papier, je le froisse dans ma poche.
Et puis le soir, j'en prends un peu plus et je suis bien. Dans ma tête, à ce moment-là, c'est un tumulte pas possible. Toujours les mêmes raisons. Je veux aller au bout de mon enquête qui, elle, est devenue tentaculaire à ce moment-là. Et donc, il se passe des choses de dingue. Je continue comme ça. Je suis devenu un drogué, tout simplement. Je suis devenu un toxicomane. Ouais, OK, chef d'estub, mais bon.
Tant que ça ne se voit pas, tant que j'en met personne, continuons pour l'instant comme ça. Tout ce que je sais, c'est que pour l'instant, je suis bien. Puis je suis obligé de me droguer parce que je suis en manque. Il y a le toxicomane qui va aller voler pour se payer sa cam. Moi, je n'ai pas besoin de voler. La cam, elle est dans le commissariat.
¶ Dérive et Isolement
Mais j'ai besoin d'en prendre, par contre, parce que pour mon bien-être, je suis devenu esclave. Mon enquête est devenue tentaculaire. Quand je dis tentaculaire, c'est qu'elle me dépasse, en fait. Moi, je suis dépassé par les événements, je suis devenu un électron libre. Je m'en garde à vue à tour de bras. Et puis, il y a une règle que je ne respecte pas à un moment donné, c'est la règle des indics. On ne touche pas à l'indic d'un autre service.
Et c'est là que je vais marcher sur les plates-bandes du SRPJ. Le SRPJ, c'est le service régional de police judiciaire, c'est le service vedette en Rhône-Alpes, l'équivalent du 36 quai des Orfèvres à Paris. Il y a un de leurs indics que je vais emmerder. Donc voilà, j'interpelle leurs indiques. Ça ne se fait pas. Et puis surtout, j'enquête dans tous les domaines de la société. Il y a des noms de personnalités connues qui apparaissent. Politiques, sportifs.
Et quand le SRPG va me demander d'avoir accès à mon dossier, je vais les refuser. Je vais les envoyer chier. Ce qui se passe, c'est que sur un plan social, je me suis isolé. Je ne vois plus personne, à part ma mère de temps en temps, rarement, mais je vais encore la voir, parce que je l'aime. Cette enquête, elle me dépasse complètement. C'est ça la vérité.
¶ La Nuit de Noël : Le Fond Touché
On est à quelques jours de Noël, ce soir-là, et je n'ai pas envie d'être tout seul. Et mon avis qui continue de venir au service, c'est de prostituer de luxe. parce qu'elle continue à nous donner des noms et puis elle jubile. Elle voulait qu'on foute la pagaille sur l'arrondissement. On a fait plus que ça. On a mis un coup de pied dans une fourmilière, mais un truc de dingue. Et moi, je l'aime bien parce qu'elle me ressemble.
Elle est paumée comme moi. Elle aussi, elle a perdu un être cher. Elle aussi, elle a sombré dans quelque chose. L'alcool, moi, l'héroïne. Et ce soir-là, je n'ai pas envie d'être seul. Ça va faire un an. Depuis ma séparation, je lui propose de venir...
descendre une bouteille de whisky à la maison sans aucune arrière-pensée. Donc elle vient à la maison, on discute de l'affaire, on se marre, on tourne sa bouteille. Et puis elle reste dormir à la maison, juste parce qu'elle a besoin d'une épaule, et moi aussi.
Une espèce de réconfort comme ça, l'un à côté de l'autre. Je me réveille dans la nuit, je suis trempé. Mais pas de sueur, elle a pissé dans mon lit. Quand je vois ce qui se passe, je m'énerve. Je me comporte en héroïnomane. Un héroïnomane, c'est...
Tout sauf un gentleman s'est énervé. Et je la vire ma nuit militare. Je suis là, au milieu de la nuit, en train de nettoyer mon matelas qui est souillé, qui est inondé. Quand je dis qu'elle a pissé, ce n'est pas une auréole. Elle a pissé, mais c'est un truc de dingue.
Je pète ces plombs parce que mon indique est dans mon lit et parce qu'à côté de ça, je vois bien ce que je suis devenu depuis dix mois. Ça fait dix mois que je sniffe de l'héros. Je suis devenu une merde. Je m'en rends compte ce jour-là.
¶ Se Débarrasser de la Drogue
C'est une prise de conscience que ça ne peut pas durer. Et je suis déterminé. Il faut que je vire la cam. C'est la seule solution. Au petit matin, je décide de me débarrasser de l'héroïne. On est à deux jours de Noël. J'ai 35 ans. Avant de partir de chez moi, j'en sniffe pour faire partir mes douleurs, pour arriver dans un état physiquement confortable pour faire ce que j'ai à faire.
Il m'en reste un petit peu, je le jette aux chiottes et je me dis que quand je vais arriver au commissariat, je ferai exactement la même chose de kilos, je vais le balancer aux chiottes. J'arrive au commissariat, j'arrive en premier. Je ne veux pas qu'on m'empêche de le faire, je vais être seul. Je prends le kilo.
Je le verre dans les toilettes. Mes collègues arrivent et je les mets devant le fait accompli. Je dis les gars, je dis les gars, je ne cherchais plus le kilo d'héroïne, il n'est plus là et je vous explique pourquoi. On est en train de marcher sur les plates-bandes du SRPG. On est en train de chier dans les bottes du commissaire.
On a refusé l'accès à notre dossier. S'il veut aller jeter un oeil, ils saisissent l'IGPN, la police des polices. L'IGPN débarque, ils trouvent le kilo d'héroïne. Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on dit ? Et je leur dis que si le service régional de police judiciaire, le SRPJ de Lyon, saisit la police des polices, on est dans la merde. Et les gars de mon équipe, ils sont devant le fait accompli.
Ils ne peuvent qu'admettre ce que je suis en train de leur dire. Puis ils me respectent parce que je les ai amenés à un niveau d'enquête qui est tellement élevé où j'ai laissé sur le carreau ma vie sentimentale. Je suis le chef. Qu'est-ce qu'ils vont dire ? Le kilo d'héroïne n'existe même pas sur le papier.
¶ Manque, Désespoir et Geste Fatal
Ils respectent ce que j'ai fait. Je passe ce jour-là la pire journée de ma vie. Mes symptômes de manque ressurgissent rapidement, en début d'après-midi, comme à chaque fois. Sauf que là, je n'ai plus rien pour combler. J'en peux plus, je filme club sur club, je descends des tubes de doliprane, ça ne fait rien. Je suis en train de péter les plombs. Alors j'essaie de rentrer chez moi en prenant au préalable trois barrettes de cannabis dans la courbeille.
La corbeille déborde de barrettes de cannabis, on la vit d'une fois par semaine. C'est le cannabis qui provient des consommateurs. Quand le parquet nous dit « destruction administrative du produit stupéfiant », on prend la barrette et on la jette.
dans la corbeille. Je rentre chez moi, je roule un joint, il ne se passe rien. En tout cas, ça n'enlève pas mes douleurs. Là, je suis vraiment dans une impasse. Je n'ai plus de drogue. Qu'est-ce que je peux faire ? Et j'en peux plus. Il n'y a qu'une solution. C'est me flinguer. C'est la seule solution. Brutale mais efficace. Terminer les soucis, terminer les regrets en amour, terminer les douleurs physiques, terminer de culpabiliser sur...
Je suis un drogué, je suis chef des flics, chef des stups à Lyon en deuxième et je me drogue. Je prends mon revolver, je l'ai toujours avec moi et je le pose sur la table. Je me le mets dans la bouche. Je suis prêt à actionner le premier cran et je ne le fais pas. Je ne le fais pas parce qu'à ce moment-là, je pense à ma mère. Si je fais ça, maman...
Deuxième victime. Et elle, elle ne partira pas d'un coup. À petit feu, de chagrin. Alors je pose l'arme, je renonce au geste fatal. Parce que j'aime ma mère et parce que j'aime certainement encore la vie. Je trouve une solution à ce moment-là pour m'en sortir. Tout d'un coup, je la trouve la solution. Mais je l'appliquerai que le lendemain. Là, pour le moment, sur l'instant, la seule chose qui est certaine, ce sont mes douleurs. J'en peux plus.
Je me roule un joint XXL, un joint de l'espace, j'ai envie de dire. Le reste du cannabis, le but c'est de m'endormir très vite, de m'anesthésier pour oublier les douleurs. Le lendemain, je me réveille.
¶ La Confession et les Premières Sanctions
Je vais me voir dans la glace, j'ai une tête mais de zombie. J'arrive au commissariat, je m'arrête à la machine à café où il y a tous les garants de la paix, les secrétaires. Ça prend le café, le matin c'est calme, ça piague, ça se raconte le programme de la veille, les vacances à venir. Bref, j'arrive avec ma salle tronche. Il y en a un qui me voit et qui me dit « mais t'es toujours pas passé à autre chose ? » Tout le monde sait que je vis très mal ma rupture.
Bien sûr que je suis passé à autre chose. Je regarde ma tronche. Là, je parle suffisamment fort pour que tout le monde entende. Je regarde ma gueule. Je suis passé à l'héroïne ou au cannabis. Tout le monde a entendu. Il y en a qui, au début, sourient, mais ils rient jeunes, comme on dit.
Moi, quand ils voient une matronche, que je suis sérieux, je ne plaisante pas. Je prends mon café, je serre les dents et je me casse. Vous laissez faire les choses, laissez faire Radiopolis. Il suffit d'attendre qu'un dise à l'autre, puis à l'autre, et puis ça remonte à la hiérarchie. Et ça ne manque pas. Quelques heures plus tard, mon chef qui arrive, je le reconnais, il est avec son adjoint, je lui dis « Bonjour patron ». Et là, à sa gueule, je sais qu'il sait. Voilà, ça y est, c'est sûr.
Il m'appréciait beaucoup, il tient une gueule de six pieds de long. Mon clé me dit, la rumeur dit que vous prenez des produits stupéfiants. Je dis, la rumeur est exacte, patron. Alors il s'approche, il me dit, votre arme, elle est dans le tiroir, dans votre bureau. Je dis, oui, tiens mon tiroir.
il prend mon arme, il dégage le barilet, il enlève les cartouches, il me demande ma carte professionnelle, il me la confisque, et il me dit je vous veux dans une heure dans mon bureau avec un rapport circonstanciel. Ce jour-là, nous sommes le 24 décembre 1998. Et j'ai l'impression que la vie vient de me faire un cadeau de Noël. Ça y est, on va me sortir de ce merdier. On va me soigner.
¶ Conséquences Officielles et Début de Guérison
Mon dossier sur le trafic de cocaïne, sur lequel je les enquêtais encore, j'en ai plus à la fois. Donc une heure plus tard, je suis dans le bureau de mon patron, le médecin d'administration est là, il me demande... Ce que j'ai comme symptômes, je dis « je les ai tous docteur, je suis en pleine dent ». Donc il me met en arrêt de travail, me donne des médicaments de substitution. Et le lundi 4 janvier 1999, je suis convoqué chez Madame le Juge.
Celle-là même qui s'occupait de mon trafic de cocaïne. Et elle me signifie ma mise en examen pour pouvoir l'aggraver. Alors je lui ai dit, mais madame le juge, la drogue, je ne l'ai pas volée, ce n'est pas moi. Moi, je suis arrivé dans mon service, elle y était. J'en ai pris, mais...
C'est pas moi. Il aime bien en effet l'héroïne, c'est pas vous. Mais les trois barrettes de cannabis, c'est vous. Il faut me coller un délit sur le dos à ce moment-là pour donner aux enquêteurs de la police des polices des moyens suffisants, une commission rogatoire. pour pouvoir enquêter sur cette histoire et répondre à une question. A-t-il vraiment jeté la drogue ? Pas de témoin. Pas de témoin et un kilo d'héroïne pure à 70%, c'est beaucoup d'argent.
Alors, elle me demande si je veux un avocat. Je lui dis non. Je ne suis pas un voleur. Parallèlement, il y a un protocole sanitaire qui est mis en place. Je vois des médecins à l'hôpital Edouard et Rio. Pavillon Toxicologie. Chaque semaine, on fait des prises de sang. Chaque semaine, j'ai un entretien. On me donne des médicaments adaptés aussi pour me sevrer. Je suis sevré au bout de trois mois, au printemps. Je retrouve ma dignité. C'est déjà un bon point.
Je vois aussi un psychothérapeute. Alors lui, son rôle, c'est de démêler la pelote. Tous mes échecs sentimentaux, au cœur de cette dérive, c'est bien entendu le... Tout le passé familial qui ressurgit, le comportement de mon père, son alcoolisme et tout ça.
¶ Révocation de la Police
J'en arrive de travail, je suis chez moi. La police des polices vient m'entendre à la maison. Au mois de juin, la police des polices rend ses conclusions. Mon affaire est bien une dérive humaine. Je suis bien un pauvre mec qui n'a pas su gérer ses émotions. Nous sommes en juin 1999. Je vais avoir 36 ans. Je suis renvoyé en conseil de discipline à Paris.
Là, j'arrive à 8h sans avocat, sans représentation syndicale. Je passe à midi. Je passe en dernier. Toutes les personnes présentes dans cette enceinte, dans ce hall, ne sont que des policiers ou des avocats. Les mecs passent dans le conseiller de discipline, ressortent, se checkent dans les mains. Mais je me crois ce moment-là dans un film de Scorsese, des types avec des têtes de mafiosi. Et moi, je suis là, je me dis, mais qu'est-ce que je fais là ? Ce n'est pas ma place.
Je ne comprends pas. Je suis tout seul. Quatre heures à préparer ma défense. Quand je passe, je suis le dernier. Bien sûr, j'ai le cœur qui bat très fort. Qu'est-ce qui va se passer ? Je rentre. Là, il y a au moins 20 personnes qui sont assises en demi-cercle. Il y a des représentants du ministère de l'Intérieur, des représentants des syndicats, des représentants des services sociaux, il y a des médecins.
Il y a beaucoup de monde. Il y a une chaise au milieu et c'est là où je me place. On m'épèle d'abord ce qui m'est reproché. On m'approche d'avoir volé des produits stupéfiants au commissariat et d'en avoir consommé. Je commence à expliquer mon histoire, un petit peu comme une dissertation, en expliquant qu'au départ, je devais me marier, ma fiancée me quitte. Je suis là en train de dire que je découvre un kilo d'héroïne dans mon bureau.
Pourquoi j'en prends ? » Et tout d'un coup, le président de séance me dit « C'est bon, vous pouvez sortir. » Je lui dis « Mais ce n'est pas fini. » « Bien non, mais c'est bon. » Je me suis défendu au total cinq minutes. Et on me demande de sortir. L'idée était jetée. Je sors, on me rappelle, deux minutes après, je reviens, installez-vous. Au vu de ceci, au vu de cela, la sanction retenue et la révocation. Et je suis révoqué de la police sans appel possible.
Je suis sonné. On me demande de sortir, je sors. Je suis seul dans le hall où avant il y avait une effervescence de dingue. Je suis tout seul. On est au 13e, 14e étage d'une tour, à la tournée laton. Il y a cette baie vitrée qui est ouverte. Il n'y a personne pour dire, bon, le gars, il est sonné, on va le raccompagner. Non, il n'y a personne. Et je regarde cette baie vitrée, je me dis, mais vraiment, la cruauté de l'administration, la froideur de l'administration.
où il n'y a rien qui est prévu, il n'y a rien qui est prévu. Du début jusqu'à la fin, quand je dis qu'il n'y a rien de prévu, c'est que, par exemple, tous ces moments où un jeune inspecteur va voir des autopsies, des macchabées, jamais on vous dit...
Tout va bien ? Comment ça va dans votre tête ? Comment ça se passe là-dedans ? Il n'y a pas de suivi psychologique dans la police. Donc, là, je sors et je suis tout seul. Je suis sonné, mais je tiens bon. Parce que finalement, quelque part, c'est dans mon...
¶ Rebondir : Ouvrir un Bar
dans mon caractère, de rester debout après une épreuve. Et je décide de regagner la gare de Lyon à pied. Et de faire le point sur la situation. Une page venait de se tourner, et puis l'idée avait germé chez le psy d'ouvrir un bar. C'est ce que j'allais faire, marcher sur les traces de ma mère. Je prends le TGV, je reviens sur Lyon et la deuxième convocation, je suis convoqué chez Madame le Juge.
Elle me notifie, m'a mis un examen pour pouvoir l'aggraver. Là, je me dis, tu t'es fait écraser une fois, là, tu vas te faire broyer. Prends un avocat. Je prends un avocat. L'avocat me dit que... Oui, je vais me faire condamner. Sûrement pas de la prison ferme, mais j'aurai une condamnation.
Je suis renvoyé en correctionnel, c'est une décision de justice qui m'attend, et non plus une décision administrative. Je suis donc révoqué, ça c'est une chose. Je suis renvoyé en correctionnel, ça en est une autre. Une condamnation ne m'arrange pas parce qu'avec une condamnation, on ne peut pas ouvrir un bar ou un quasi-juicard vierge. Donc là, c'est une course contre la montre qui commence. Et je vais, un coup de bol...
Au mois d'août, je trouve une affaire qui est en liquidation judiciaire au prix de 250 000 francs. Je n'ai toujours pas été condamné quand je l'achète. J'ouvre le 1er octobre 1999, 14 ans jour pour jour après être rentré dans la police. Une coïncidence de dingue. Je suis condamné fin novembre. Un an de prison avec sursis. 600 francs d'amont. Ce bar de quartier, j'en fais finalement un bar ambiance.
Tous les jeunes de l'agglomération se pressent dans mon café, que j'appelais là par café. Je rebondis, ma mère est heureuse, malgré le fait qu'elle se fasse désormais dialyser. Parce que je rebondis, mais aussi parce qu'elle va être grand-mère. Parce qu'en arrivant dans ce café, il y a tout qui se remet en marche.
C'est le grand écart. Je rencontre celle qui va devenir la mère de mon fils. J'ai rebondi. Elle va être grand-mère. Elle est grand-mère le 7 octobre 2001. Un petit Mario. Un petit Mario. Et là, qu'est-ce que je suis fier.
¶ Le Retour des Démons : Alcoolisme et Perte
Donc j'ai un petit garçon et je me dis que bientôt, je pourrais l'amener moi-même tranquillement à l'école. Il y a une école juste en face de mon café. Alors qu'on aurait pu mettre Happy End à ce moment-là dans mon histoire. Il se passe quelque chose que je n'avais pas prévu. Un café qui vise la même clientèle que moi ouvre. Ce café est trois fois plus grand que le mien, il y a une piste de danse. Ma jeune clientèle change de crèmerie, ne revient pas. Je me retrouve avec 20 000 euros à sortir.
Et me voilà à travailler 7 sur 7. Et pour fidéliser les rares clients qui restent et remplir le tiroir caisse, je me mets à accepter les verres qu'on m'offre. Je me mets à boire. Le soir, je rentre suivre. Là, c'est les disputes qui commencent. Puis un jour, la dispute plus forte que les autres. Et elle s'en va avec mon fils. Mario a 9 mois. Elle s'installe loin. A 150 kilomètres, c'est le bout du monde pour un papa qui désormais doit travailler 7 sur 7.
Je bois comme je travaille, 7 sur 7. Et à boire tous les jours 7 sur 7, à fumer paquet de cigarettes sur paquet de cigarettes, je bousille ma santé. Mais pire que ça, je vais saccager ma relation avec mon fils. Je bois tous les jours. Et alors que mon rôle, c'est d'amener mon fils sereinement vers l'âge adulte, je vais m'y prendre comme un manche. J'ai un seul modèle que je veux reproduire, c'est celui de mon père. Un homme autoritaire, excessif, c'est ce qui va se passer.
Et quand je lève la main, heureusement qu'elle ne s'abat pas sur lui, parce que ça s'abat sur une table, sur un mur, comme mon père faisait. Et ça fait des dégâts. Le petit a peur, dit rien. Et malgré ça...
¶ Maladie, Second Rebond et Nouvel Amour
Il continue de venir me voir tous les 15 jours. Parce qu'il m'aime, mon fils. Maman décède en 2012. Je perds celle qui m'a toujours soutenu, qui ne m'a jamais enfoncé, qui ne m'a jamais fait de reproche, qui m'a toujours compris. En 2012, il y a une émission qui passe sur France 2. On ne demande qu'un rire à la télévision. C'est Laurent Ruquier qui présente de jeunes humoristes et qui sont prêts à jouer où on les recevra.
Et moi, je me dis, mais Thierry, il est temps de passer à autre chose, à ce que tu voulais faire dès le début, devenir un café-théâtre, parce que c'est ce qui me ressemble. Et puis le souvenir que j'avais de ce café-théâtre où maman faisait le ménage.
Ces photos de gens qui riaient, voilà, j'allais donner du bonheur. Je voulais moi aussi avoir des gens qui m'aiment et à qui je donne du bonheur, on se marre. Et surtout pas faire un PMU, comme l'endroit où m'a mis mon père. Et c'est comme ça que je fais venir... Arctus, la Bajon, Émeric Lompré. Et le truc, c'est que la maladie n'a pas sauté de génération. La maladie de ma mère me rattrape. La polykystose rénale, c'est les reins qui ne fonctionnent plus. On n'évacue plus les déchets.
Et le sang s'empoisonne. Le néphrologue me dit que je paye des années d'excès et que si je veux être greffé rapidement, il faut que je cesse le tabac, l'alcool. Donc un mal pour un bien, j'arrête. J'ai à nouveau la tête sur les épaules, j'ai envie de dire. Et puis un jour, une amie Facebook qui m'écrit, qui me dit qu'elle a passé une super soirée la veille à l'appart café. Elle venait pour la première fois.
Elle est venue voir Tristan Lopin, habillé magnifique. Quel endroit, quel accueil. On s'est créé une amitié virtuelle qui se met en place autour de l'humour. Elle aime les artistes, elle m'en parle, elle veut revenir. Le jour où elle revient, je suis sous le charme. Alors pas un coup de foudre, parce que j'ai 55 ans et c'est bon quoi, fini les conneries. Elle a une douceur dans le regard qui m'enveloppe. Elle a un sourire 5 étoiles, elle est nature comme j'aime. Elle s'appelle Laurie.
On va se revoir. Elle m'habite. Chez elle. On fait des goûters avec ses enfants. Un baiser aromatisé chocolat cette fois. Et c'est ma plus belle histoire d'amour qui commence. Mon état se délabre au mois d'août 2018, j'ai 55 ans. Les conséquences de cette maladie, c'est qu'on n'a plus de force, on ne peut plus se bouger, on ne peut plus rien faire. Au mois d'août 2019,
J'ai reçu un coup de téléphone du CHU de Grenoble, centre hospitalier, qui m'appelle et me dit qu'on a un greffon pour vous. C'est une mort cérébrale, la personne est toujours vivante. Mort cérébrale, mais les organes fonctionnent encore. Normalement, j'arrive à l'hôpital, on me fait ma dialyse, et puis le lendemain, je suis greffé. La dialyse sauve la vie, la greffe change la vie. Après la greffe, je reprends une activité normale au boulot.
J'ai une santé, mais j'ai une forme olympique. Je travaille tous les jours, je refais la moto, je suis bien. Et à ce moment-là, dans ma vie, je suis greffé. L'amour avec Laurie est devenu une évidence. Mon café est devenu une institution dans le monde de l'humour. Mon fils, on se voit pas beaucoup, mais on se parle encore. Mais non. Je me réveille un jour.
¶ Coma, Miracle et Rééducation
Je suis visiblement dans ma chambre et puis en ouvrant vraiment bien les yeux, je ne suis pas dans ma chambre. Je suis dans une chambre d'hôpital. Et je vois des appareils autour de moi, de partout. Je vais pour me lever. Impossible. Impossible de me remuer. Ni les bras, ni les jambes. J'ai que ma tête qui bouge. Je vois une infirmière, je vais pour appeler au secours. Pas un son qui sort de ma bouche. Nous sommes le 3 décembre 2020.
Je sors d'un an coma qui a duré un mois. Fin octobre 2020, je suis frappé par un Covid de compétition. On m'amène à l'hôpital. Les deux poumons sont touchés à 95%. On m'intube, survient une complication, mon greffon s'arrête de fonctionner. Pronostic vital engagé pendant trois jours. Il n'y a qu'une chose à faire, c'est attendre. Et trois jours plus tard, mon greffon se remet en marche.
Tout d'un coup, signe d'amélioration sur les poumons. Tout le monde se dit, mais on peut le sauver. Alors le coma, on ne sort pas du jour au lendemain comme ça, d'un claquement de doigts. C'est progressif. Et voilà, deux semaines plus tard...
On se retrouve, on est le 3 décembre. J'ai mes premiers moments de conscience. Il me manque, à ce moment-là, plus de 15 kilos de muscles. Mais ce n'est pas un cauchemar, c'est la réalité. Et c'est terrible. J'ai mes membres de bouger, mais il ne se passe rien. Heureusement qu'il y a une psy qui passe pour gérer mes angoisses. À quelques jours de Noël, j'ai un orteil qui remue. Mais si lui, il a bougé, c'est que tous les autres vont remuer. Et là, c'est la remontée d'un de mon corps.
Dans mon lit, j'arrête de pleurer. Je dis à mes extrémités, je leur dis « mais bougez, bougez, bougez ». Je le dis des milliers de fois. Je suis la kiné respiratoire et la kiné des membres, les deux. Je sors de réanimation. Parce qu'il n'y a plus de place. Il est temps de partir. On me dit que je suis un miraculé. Et pour moi, le seul miracle qu'il y a eu, c'est le miracle de l'amour. Bien sûr, il y a eu les soins du personnel soignant.
Mais c'est le miracle de l'amour. C'est Laurie qui vient me voir pendant mon coma une heure tous les deux jours, qui me parle à l'oreille, qui me fait écouter la musique, qui me dit qu'elle m'aime. C'est donné sans perfusion. Ça a forcément eu un... un écho quelque part. J'arrive en centre de rééducation, je ne marche toujours pas, mais j'ai les extrémités qui, elles, vont bien, vont mieux en tout cas. Et puis, conscient que la vie m'a laissé encore une chance.
¶ L'Histoire Révélée : Pardon et Réconciliation
Je décide d'écrire le livre de ma vie pour dire deux choses. La première, raconter ce qui s'est passé dans la police, une histoire que j'ai gardée secrète pendant plus de 20 ans, qui m'a empoisonné le sang au même titre que la maladie. Ça m'a empoisonné le sang de ne pas le dire et parce que pour moi, j'ai été victime quelque part d'une injustice. OK, je n'avais plus ma place dans l'administration, mais dans cette affaire, il y a une seule personne qui a payé. Il n'y a jamais rien eu.
Et la deuxième raison pour laquelle je veux écrire mon livre, c'est parce que je veux demander pardon à mon fils pour mes actes manqués, pour reconnaître un alcoolisme qui a duré 15 ans. Au bout d'un an, je retrouve mes poumons, mes jambes. Et j'ai décidé de mettre mon bouquin de côté, de faire un spectacle vivant, tout raconter, en espérant que mon fils vienne me voir. Il y a une scène à l'appart café, autant l'utiliser. Je fais 39 représentations de l'appart café.
Le spectacle se structure, dure 1h30 désormais. La 40e, je décide d'aller la jouer à Lyon, là où habite mon fils. Et il vient. Et à la fin du spectacle, il me sert dans ses bras et me dit « Papa, on a raté le début de notre histoire, on ne rattrape pas la suite. »
¶ La Revanche Accomplie
Aujourd'hui, je vis un rêve éveillé. Parce qu'après tous ces cafés-théâtres, désormais, ce sont des théâtres municipaux qui me demandent de jouer chez eux. On m'achète mon spectacle, mon histoire. J'en reviens pas. Je suis accompagné par un producteur. On m'a demandé si mon spectacle était une thérapie. Pas du tout. Ma thérapie est faite depuis longtemps. Ce spectacle, c'est une déclaration d'amour.
Chaque fois que je monte sur scène, c'est une déclaration d'amour. À mon fils. À ma femme. Parce que je l'ai épousé depuis. J'ai épousé Laurie, bien sûr. C'était évident. Une déclaration d'amour au public aussi. Cet échange privilégié avec le public. Et c'est surtout une revanche sur la vie. Vous venez d'écouter Transfer, épisode 343, un témoignage recueilli par Roxane Poursadjadi. Cet épisode a été produit par Slate Podcast. Direction éditoriale, Christophe Caron.
Direction de la production, Sarah Koskiewicz. Direction artistique et habillage musical, Benjamin Septemours. Production éditoriale, Sarah Koskiewicz et Benjamin Septemours. Sous-titrage Société Radio-Canada Retrouvez Transfer tous les jeudis sur Slate.fr et sur votre application d'écoute préférée. Découvrez aussi Transfer Club, l'offre premium de transfert. Deux fois par mois, Transfer Club donne accès à du contenu exclusif. des histoires inédites et les coulisses de vos épisodes préférés.
Pour proposer une histoire,