¶ Introduction: Le Rêve de Naviguer
Gravir l'Everest, explorer les profondeurs de la mer ou de la terre, traverser le désert ou encore visiter l'espace, quand l'homme s'aventure là où il n'est pas censé être, il oublie souvent que les lois de la nature sont les plus fortes. Quand il investit un espace sauvage, une étendue vierge, un océan ou une montagne, ce n'est plus lui qui décide, il n'est pas chez lui. Naviguer, c'est le rêve de Mounia. C'est sûr, elle va tout mettre en œuvre pour le réaliser.
Mais le plus dur, ce n'est pas d'arriver sur l'eau, c'est d'y rester. L'océan est imprévisible, peuplé d'espèces appréciant plus ou moins les incursions humaines. Mais qui sait comment on va être reçu quand on envahit un monde qui n'est pas le nôtre ? Vous écoutez Transfer, épisode 307, un témoignage recueilli par Capucine Rouault.
¶ Premières Expériences de Voile
J'ai 33 ans, je travaille dans une ONG qui travaille à l'intégration des jeunes MENA, mineurs étrangers non accompagnés, en Belgique, à Liège, dans ma ville. Ça me plaît beaucoup, j'ai un peu créé mon poste, c'est-à-dire que je m'occupe plus principalement du regroupement familial. J'ai toujours été attirée par la mer et l'océan, mon papa étant marocain. Je partais en vacances une année sur deux au Maroc et j'étais vraiment ultra heureuse de passer deux mois au bord de l'océan.
Et j'ai toujours été un peu intriguée, attirée par les bateaux, le milieu marin, sans pour autant moi-même avoir de connexion avec ce milieu-là. Je rencontre des potes de potes qui font de la voile en Bretagne. Et à force d'en discuter avec eux, finalement, je décide de me lancer. Eux me poussent un petit peu. C'est un des deux qui me parle de l'école de voile des Glénans. Moi, je n'y connais rien. Je ne sais pas du tout où je peux aller pour m'initier, pour tester, si réellement ça me plaît.
On est au mois de septembre. Je pars pour une semaine de voile à Papol, en Bretagne Nord. Je passe une semaine à découvrir... ce milieu-là que je ne connais pas du tout, je ne connais aucun mot de vocabulaire, je ne comprends absolument rien de ce qu'on me demande, je ne comprends pas la direction du vent, je ne comprends pas comment on règle les voiles, mais...
J'adore les sensations. Je me trouve avec un super chouette équipage. Mon groupe de débutants est vraiment super cool. Et je tombe amoureuse de la voile. L'année suivante, je décide de partir au même endroit, mais pour deux semaines. De nouveau, ce stage se passe ultra bien. Je passe les deux semaines avec le même groupe.
¶ Objectif : Traversée de l'Atlantique
Et donc on est en 2021, j'ai 35 ans et je me dis que je veux devenir marin. Je travaille toujours dans cette ONG et donc je commence un petit peu à me renseigner. pour savoir comment, en Belgique, on fait pour devenir skipper, donc capitaine de voilier ou marin. J'ai fait le tour... ... ... ... ... ...
Je me dis que je devrais faire une longue traversée. Je me dis que traverser l'Atlantique, ça peut être sympa pour vraiment savoir si c'est ça que j'aime. Et donc, je me dis que c'est le bon moment pour quitter mon emploi et prendre ces quelques mois. pour traverser l'Atlantique. N'ayant navigué que globalement trois semaines au Glénan, je me dis que je n'ai pas du tout l'expérience suffisante et que j'ai envie d'être plus armée pour vivre cette expérience-là.
Et donc, je repars au Glénan pour trois semaines cette fois-ci, où je fais des stages d'un niveau supérieur. Encore une fois, je rencontre des gens extraordinaires et j'ai des moniteurs et monitrices vraiment super cool.
Et je progresse assez bien pendant ces trois semaines. Quand je reviens, je me sens relativement en confiance pour partir. Je sens que j'ai acquis des compétences qui me permettent... même de me vendre un petit peu sur les réseaux, etc., puisque c'est... par les réseaux, donc des groupes sur Facebook ou sur des sites internet comme la Bourse aux équipiers, qui permettent aux skippers de trouver des équipiers et aux équipiers de trouver des embarcations.
On essaye de se démarquer un petit peu parce qu'il y a quand même beaucoup, beaucoup de recherches. En fait, à partir du mois de septembre, ça commence à devenir la bonne période pour la traversée de l'ouest vers l'est. Et donc, il y a énormément de demandes. Les places sont un peu chères et donc on essaye...
¶ Recherche d'un Bateau et Équipage
J'essaye de me démarquer en me mettant une petite touche d'humour. Et je pense que je mets quelques semaines à trouver. Je trouve un monsieur qui n'est pas skipper professionnel, mais qui est propriétaire de son propre bateau. et qui, changement de vie également, doit amener son bateau, qui est sa maison en l'occurrence, de l'Europe jusqu'en Guyane française. Et donc, il a besoin d'équipiers. On se fait quelques visios avant, pour faire connaissance, pour mettre les choses...
au clair, au niveau de nos attentes et de nos exigences. Le contact passe assez bien et il m'explique qu'on sera un équipage de quatre, deux filles et deux garçons. Donc, on se met d'accord et on décide que je vais le rejoindre à Gibraltar.
Et donc entre le moment où on se met d'accord et je décide de partir avec lui et le moment où je le rejoins, il se passe peut-être deux ou trois semaines pendant lesquelles j'essaye de préparer le voyage. C'est-à-dire que je rencontre des amis qui ont déjà fait ça. qui ont vécu sur leur propre bateau. J'achète différents matériels, comme filet de sauvetage. Je me procure une balise GPS personnelle. Et donc, en quelques semaines, je me sens prête. Je suis super excitée.
assez rassurée de savoir qu'on est deux filles sur le bateau. Je suis assez rassurée aussi de savoir qu'on passe par le Cap Vert. En sachant que le Cap Vert, c'est une petite traversée de 7-8 jours. Et donc, je me dis à ce moment-là que si ça ne se passe pas bien avec le capitaine, j'ai toujours un poids de repli avant de traverser. Et du coup, je sais plus ou moins quand je pars, mais je n'ai pas vraiment de...
plan pour le retour. Ce que je me dis, c'est qu'une fois que je serai arrivée de l'autre côté de l'océan, je resterai un petit peu pour profiter de l'endroit dans lequel je suis, et puis je rentrerai, mais vraiment, mes plans ne sont pas du tout concrets. Sous-titrage ST' 501 J'arrive à Gibraltar en même temps que mon équipier, de qui je fais la connaissance dans le bus entre l'aéroport et le port de Gibraltar.
¶ Première Étape et Difficultés
Et là, on monte sur le bateau et directement, le skipper nous dit qu'on va partir la nuit même. Il faut savoir qu'on est au port de Gibraltar. Il faut imaginer le trafic maritime à cet endroit-là. Il y a un tout petit port de plaisance. On monte sur le bateau, on fait à peine connaissance, on mange, et à 2h du matin, on se réveille et on part.
C'est une nuit noire, on ne voit que des points lumineux partout, des énormes paquebots partout, c'est vraiment l'effervescence. On est sur un catamaran de 12 mètres et on est à côté du paquebot de 400 mètres. On est vraiment tout tout tout tout petit. Et donc le coéquipier et moi, on est à l'avant du bateau et on fait la veille pour être sûr de ne pas rentrer en collision avec un bateau ou avec des bouées ou quoi que ce soit.
Et donc le départ se fait comme ça, où on veille toute la nuit jusqu'au lendemain, où là on peut, chacun à son tour, partir un petit peu pour se reposer. Et puis en fait, c'est le début de la traversée, on va jusqu'au Canary. Et là, c'est la première fois que je ne vois plus la Terre, que je navigue en ce qu'on peut appeler un peu la haute mer quand même. Et alors, quand je vois la Terre après cinq jours, j'ai vraiment une montée.
D'émotion, j'ai les larmes aux yeux. Puis je sens l'odeur de la terre. Je ne m'étais jamais rendu compte que la terre avait une odeur. En fait, on est tellement dans l'iode pendant cinq jours, c'est une odeur vraiment presque...
Et donc, quand on s'approche de la terre, on commence à la voir. Et en fait, il y a les odeurs terrestres qui arrivent. On sent la terre, le sable, comme ça. C'est assez spécial. Donc voilà, on arrive au Canary. Puis il y a la quatrième équipière qui vient nous rejoindre. On quitte les Canaries pour rejoindre le Cap Vert trois semaines plus tard.
On est juste deux équipiers à ce moment-là, on s'entend vraiment super bien. Avec le capitaine, par contre, c'est un peu plus compliqué. On ne partage pas forcément les mêmes valeurs et puis je pense qu'on n'a pas trop confiance en ses capacités.
On en parle avec le coéquipier et on se dit qu'on attend de voir l'arrivée de la troisième personne si l'équilibre ne va pas un petit peu se rétablir. Mais en se disant quand même que si ça ne passe pas, on débarquera à un moment donné, on ne va pas se forcer.
¶ Changer de Bateau au Cap-Vert
Après neuf jours de traversée, on arrive au Cap Vert et mon constat, c'est que je vais débarquer du bateau. On débarque au Cap Vert, on débarque tous les trois, on se prend une chambre.
une chambre d'hôtel tous les trois, et on se dit que chacun va chercher un embarquement pour traverser, mais on se dit que chacun va chercher dans son coin, c'est quand même plus facile de... trouver un embarquement pour une personne que pour trois personnes, et que le premier qu'il trouve, s'il peut pousser pour un deuxième, voire un troisième équipier, qu'il le fasse, mais voilà.
Je réponds à une annonce, j'ai un capitaine qui me répond et qui me dit « on arrive dans un jour, rendez-vous à telle heure au ponton ». Et donc j'y vais, il y a un énorme catamaran qui arrive de 24 ou 25 mètres. Le capitaine m'accueille avec l'équipage et directement, je sens une super chouette ambiance. C'est un gros, gros équipage. Ils sont huit. Je suis avec ma coéquipière.
Elle vient avec moi et du coup, on se dit directement qu'on va rester sur ce bateau et on demande s'il y a par hasard une place pour notre troisième équipier. Le capitaine accepte et donc on monte à 3 sur ce nouveau bateau. On a entre 21 et 69 ans. C'est un bateau de pirates. C'est un catamaran avec deux mâts où tout est encore manuel, un peu à l'ancienne comme ça.
Pour hisser une voile, il faut être six. Elles sont vraiment gigantesques. Quand je trouve ce bateau, c'est un peu inespéré. Je me dis vraiment que l'aventure commence.
¶ La Traversée de l'Atlantique
On part le 13 décembre et on traverse pendant 15 jours. La veille est divisée en quarts, ce sont des gardes à tour de rôle, et ces quarts se font à deux, donc c'est assez sympa de pouvoir papoter la nuit et ou la journée. avec son coquipier, Pandelkar. Et en fait, la vie en mer avec cette team-là se passe super bien. On voit pas mal d'animaux en mer. On voit des dauphins presque tous les jours. On a la visite de baleines deux fois. On nous offre un spectacle magnifique. On prend les paris.
du jour et de l'heure à laquelle on va arriver à Saint-Martin. Mais finalement, on perd tous les paris puisqu'on passe Noël en mer et on arrive trois jours en retard. Et donc, après 15 jours, on arrive...
¶ Arrivée et Réflexions Post-Traversée
À Saint-Martin, le 28 décembre, vers 11h du matin, je mets l'ancre. Je mets pieds à terre. Il faut bien s'imaginer qu'en mer, on n'est pas du tout connecté. Et donc, ça fait 15 jours, dont Noël, que je ne me suis plus connectée. Je me dis, j'espère qu'il n'est rien arrivé à mes proches. J'appelle ma mère, mes amis. Je suis heureuse d'avoir passé ces 15 jours en mer, mais il y a une partie de moi où je me dis que je m'attendais à apprendre un peu plus en termes de technique et de navigation.
Je reste un peu sur ma faim. Donc, on est à Saint-Martin. On se sépare, mais Saint-Martin, c'est tout petit. On se sépare pour se loger. Moi, je me suis trouvé une petite auberge. Une chose à laquelle je n'avais pas pensé avant de partir, c'est que c'est la haute saison dans les Caraïbes. Les logements sont ultra chers.
Je me dis rapidement que je n'ai pas envie de rester à Saint-Martin, même si je n'ai absolument pas de plan. Mais je me dis, je suis dans les Caribes, je vais profiter un petit peu des Caribes et je vais un petit peu aller visiter.
¶ Plan pour la Transat Retour
Avec deux autres coéquipiers, on prend un avion pour aller jusqu'en Guadeloupe. Je reste là deux semaines et pendant ces deux semaines, je réfléchis à ce que je vais faire. En même temps, je regarde toujours les annonces pour une transat retour. ce qui, à la base, n'est pas du tout mon plan, parce que ce n'est pas du tout la période pour que les voiliers traversent dans l'autre sens, notamment et surtout à cause des vents et de la météo.
Et je tombe sur une annonce où c'est deux skippers qui cherchent des équipiers pour faire une transat-retour sur un monocoque d'une quinzaine de mètres et départ prévu fin janvier. Et je me dis, waouh, c'est une aubaine. Mais je sais que c'est une traversée qui risque d'être musclée et donc je prends contact avec les skippers et je leur...
Je leur explique que moi, mon but, c'est de devenir marin pro et que je suis vraiment motivée pour faire cette traversée qui s'annonce compliquée, mais qu'en échange, j'aimerais bien qu'on m'apprenne, vraiment. Le contact passe super bien. Ils me disent qu'ils adoraient me partager leurs connaissances. Je monte sur le bateau début février et on est...
censé partir dans les jours qui viennent. Mais comme c'est souvent le cas en voile, la fenêtre météo ne convient pas. Et donc, on vit à cinq sur le voilier, mais au port. On apprend un peu à se connaître. On sait qu'on va avoir du vent de face et donc des vagues de face, que la navigation va être compliquée. Et donc on retarde le départ et donc on part le 18 février.
¶ Départ Compliqué et Première Attaque
On est partis pour trois jours de traversée qui sont un peu compliqués. On a le vent de face, la mer de face. Tout le monde est malade. Moi, je ne suis pas malade. Du coup, c'est un peu l'ambiance de Walking Dead sur le bateau. Au bout du troisième jour, le temps se calme un petit peu, la mer se calme, et on fait un virement de bord. Et donc à ce moment-là, on se rend compte qu'il y a de l'eau qui coule par les prises de courant, qui se trouve en dessous des fauteuils à l'intérieur du bateau.
Du coup, on ouvre un petit peu tous les planchers et on se rend compte qu'il y a de l'eau partout. À ce moment-là, on discute en équipe. On se demande si on est prêt et capable de continuer à avancer en sachant que le pire est devant nous au niveau de la météo ou est-ce qu'on décide de faire demi-tour, de jouer la sécurité. on décide en équipe de faire demi-tour. Et alors on retourne à Saint-Martin, c'est plus proche que la Guadeloupe.
À ce moment-là, on est tous un petit peu dépités. On se dit que notre projet de transat retour est, en tout cas, si pas avorté, en tout cas retardé, de retour à Saint-Martin. Ça prend un peu de temps de trouver des corps de métier, mais finalement on trouve des corps de métier qui font les réparations. Deux semaines plus tard, on est parti avec une météo qui est beaucoup plus clémente que la première fois.
La traversée se passe ultra bien. On a beaucoup de soleil, une mer assez calme, un vent qui nous permet de faire une trajectoire directe. La vie à bord est organisée en quart de deux heures. On a deux heures de veille, ensuite deux heures d'astreinte et puis six heures de pause. Il y a une super bonne ambiance. La vie à bord se passe ultra bien. On lit, on débat.
On joue aux échecs, on cuisine, on fait des mots croisés. Le capitaine est un ancien pêcheur professionnel. Il nous apprend un peu à pêcher sur le bateau. On mange de la dorade, on mange du thon. Le reste de la traversée se passe vraiment de manière idyllique. Le projet initial, c'est de naviguer jusqu'aux Açores pour se reposer un petit peu et pour faire l'avitaillement du bateau. La météo ne nous permet pas de nous arrêter.
Et donc, on passe d'une navigation prévue de 10-17 jours à plus d'une vingtaine de jours, voire 30 jours dans les prévisions. On regarde pour Madère et la météo ne nous le permet pas non plus. Et donc, on se rend compte qu'on va devoir faire une traversée en direct. Et du coup, ce sera jusqu'aux côtes espagnoles.
On se dit qu'on fera une petite pause sur les côtes espagnoles avant de passer le détroit de Gibraltar et de remonter la Méditerranée jusqu'au Toulon. Et donc, c'est presque comme si j'avais des cours de voile gratuitement. À bord, il y a pas mal de bouquins sur la voile et je lis pas mal, que ce soit le règlement maritime ou sur des courses au large ou sur des grands navigateurs. On voit des choses aussi la nuit.
quelque chose que je n'avais encore jamais vu auparavant. Il y a énormément de planctons fluorescents la nuit. Dans le sillage du bateau, l'eau devient verte fluo, comme ça. Une des plus belles choses que j'ai vu en traversée, c'est les dauphins qui suivent le bateau la nuit et dans l'eau, dans le plancton fluorescent, on dirait un petit peu des torpilles.
Quand je suis de quart de nuit, j'ai une application qui me permet de localiser les constellations et je me rends compte à chaque moment que je suis vraiment en train de vivre une expérience de ouf. J'ai un espèce de sentiment de plénitude. Je me sens en tout cas à ma place. C'est la dernière nuit de vigilance avant de faire une petite pause sur la terre ferme dans un petit port près de Cadiz en Espagne.
On s'organise différemment pour les cars. Cette nuit-là, on organise les cars à deux. Une personne qui sera sur le pont du bateau et qui observe tous les paquebots. Et une personne qui sera à l'intérieur du bateau sur les instruments de navigation. pour vérifier si tous les bateaux qu'on voit sont bien présents sur le GPS et inversement, pour être sûr qu'on ne rate aucun bateau et qu'on se dévie de toutes les trajectoires qui pourraient amener à une collision.
Donc, il est 19h30. La nuit vient juste de tomber. Ce n'est pas la nuit noire, mais quand même la visibilité... Et presque nulle. Et je suis sur le pont avec le capitaine. Et à ce moment-là, on sent un énorme choc. Un choc tellement fort que moi, je suis assise et ça me fait presque tomber.
instantanément, on se dit qu'on a percuté quelque chose. Moi, dans ma tête, je pensais à une grosse bouée de pêche ou à un conteneur. On est avec mon capitaine, on se retourne et on cherche dans l'eau l'objet qu'on aurait peut-être percuté. Une deuxième grosse secousse nous fait un petit peu perdre l'équilibre et puis il y a la capitaine qui sort du bateau à ce moment-là et on voit des ailerons sur le côté du bateau, on entend la respiration et on voit clairement que ce sont des orques.
Je crois que j'ai cinq minutes où je me demande si mon pronostic vital est engagé. Je me demande si je vais mourir, manger par des orques. C'est un peu la panique. On pense que ça arrive aux autres, mais pas à soi. En fait, on pense voir deux orques qui percutent le bateau, deux orques d'environ 4 mètres. Ça paraît immense, mais pour une orque, on se dit que c'est sans doute des jeunes. On voit les orques autour de l'arrière du bateau, on les entend.
communiquer entre elles, on les entend respirer, on les voit s'éloigner et puis on ne les voit plus, donc on se dit qu'elles prennent de l'élan et on sent à nouveau des chocs. On est un peu dans l'urgence. Le capitaine décide d'arrêter le bateau. Il avait eu dans plusieurs articles que c'est la vitesse qui les excite et qui provoque chez eux une volonté de venir jouer un peu avec les bateaux.
prend la décision d'arrêter le bateau. Sauf que c'est vraiment le pire endroit pour arrêter le bateau. Donc on est dans des manœuvres assez rapides. Le capitaine donne des tâches à chacun. Moi, je dois préparer la survie. C'est le bateau de secours, donc c'est une espèce de petite valise comme ça, avec un bateau...
En plastique gonflable, il y a une sorte de percussion et le bateau se gonfle. À l'intérieur, il y a des vivres et à ça, on doit rajouter de l'eau potable et puis tous les instruments pour se faire repérer, c'est-à-dire des balises. On a à bord du bateau un tonneau étanche dans lequel on a mis nos passeports. Le capitaine essaye de manœuvrer le bateau.
Mais on se rend très vite compte qu'on n'est plus maître de la manœuvre. Les orques, en tapant sur le safran, qui est le gouvernail du bateau, ont cassé le système de barre à roue. C'est un peu la direction assistée du bateau et le pilote automatique. Le capitaine essaie de garder le bateau relativement stable, mais on se rend vite compte qu'on ne peut rien faire et qu'on doit juste attendre que ça s'arrête, en priant pour que la coque ne soit pas perforée.
Et il y a une autre équipe Pierre qui regarde sous tous les planchers du bateau, qu'il n'y ait pas de voie d'eau, qu'on ne prend pas l'eau. Je ne me sens pas bien du tout, je suis quand même un peu prise de panique. C'est-à-dire que d'une part je suis en train de préparer la survie et je ne m'imagine pas du tout sauter dans la survie. J'ai peur que le bateau prenne l'eau, que le bateau coule.
Et puis, on est dans une zone qu'on est censé quitter le plus rapidement possible parce que risque de collision avec les paquebots, c'est vraiment le pire endroit où ça pouvait nous arriver. Donc on entend les orques communiquées entre elles, c'est des espèces d'ultrasons comme ça, les sons qu'on entend dans les reportages animaliers. Moi j'ai toujours cru que c'était des micros spécifiques dans l'eau qui permettaient à l'oreille humaine...
d'entendre ces sons-là. Je me rends compte à ce moment-là que pas du tout et qu'en réalité, on entend ces sons-là en étant à l'extérieur de l'eau. Donc on les entend communiquer, on les entend respirer, on les voit. Et là, c'est mi-magique, mi-terrifiant. Je me dis que j'ai une chance et une malchance inouïe de voir ces animaux d'aussi près. En fait, je suis à l'arrière du bateau, je tends le bras, je les touche. Je ne le fais pas, mais c'est inouï d'avoir ces animaux-là aussi près.
Et d'un autre côté, je me dis que le bateau est à deux doigts d'être coulé, que c'est une situation assez grave. Voilà, donc je suis un peu partagée. En navigation maritime, il y a différentes... type d'appel à l'aide. Et le pan-pan, c'est en gros dire aux services de surveillance maritime qu'il n'y a pas de danger de mort imminente.
mais qu'on demande aux services de sécurité de veiller sur nous, de nous garder à l'œil. Les messages de détresse, entre guillemets, sont diffusés sur les canaux que tous les bateaux sont obligés d'écouter. Et donc, en fait, tous les paquebots nous entendent.
En même temps, on vérifie qu'on n'est pas en route de collision avec les paquebots. Et les paquebots avec lesquels on est en route de collision, on les appelle un par un pour leur expliquer qu'on est non manœuvrant, qu'on est en train de se faire attaquer par des orques et qu'on leur demande de se dérouter. Cette attaque dure environ une heure. Pendant l'attaque, on réussit à faire quelques réparations de fortune.
On comprend qu'on a encore un bout de safran et donc qu'on peut gouverner le bateau. Par contre, on a peur de redémarrer. Les vibrations dans l'eau, etc. risque de les faire revenir, et donc on attend 10-15 minutes avant de redémarrer. Toujours avec cette pression, on doit quitter cet endroit, coûte que coûte, on ne peut pas rester là. Les heures que s'en vont, on allume les moteurs et on redémarre en ligne droite. Et on est environ à 110 km de Cadiz où on veut s'arrêter.
¶ Deuxième Attaque et Dégâts
Dix minutes plus tard, on sent de nouveau un choc. Et là, directement, on se dit, OK, les revoilà. On est préparés. Le matériel de survie avait déjà été sorti. Les voiles étaient rangées. À ce moment-là, on est tous sur le pont et on se dit « mince, les revoilà ». En observant, on remarque qu'elles sont au moins quatre, dont deux. très très grosses orques, et donc en rigolant, on se dit qu'elles ont été chercher leur daronne. L'attaque recommence.
Les orques sont autour du bateau. On les voit assez sereins. C'est comique parce que je ressens une espèce d'effervescence sur le bateau. On est tous sur le qui-vive. il y a beaucoup d'émotions, il y a pas mal de nervosité quand même. Et quand on observe les orques autour du bateau, elles ont l'air calmes, sereines. On les voit sortir de l'eau paisiblement. Elles longent le bateau, on a presque l'impression qu'elles viennent se frotter le flanc.
À un moment donné, j'ai un contact visuel avec une des orques. Je trouve ça d'un côté merveilleux et d'un autre côté, j'ai des frissons dans le dos. Encore une fois, on les voit s'éloigner, donc on se dit qu'elles prennent de l'élan et puis elles percutent le bateau par le dessous. Ça fait beaucoup de bruit, donc il fait nuit. Ce n'est pas une nuit noire parce qu'il y a un petit peu de lune, donc on arrive à percevoir quand même les orques et le repos à l'air très douce, très lisse.
C'est un spectacle qui est magnifique et terrifiant à la fois. Malgré l'angoisse, je me sens quand même plus en confiance et plus en sécurité que la première fois. Et donc, rebelote, on arrête le moteur, un petit peu de marche arrière et on attend que ça passe. Et donc, on est de nouveau sur les appareils de navigation. On est de nouveau en train de regarder sous les...
plancher si on ne prend pas l'eau. Et ça dure environ une heure, peut-être une heure et demie encore. Les chocs sont peut-être même encore un peu plus violents. Elle nous percute comme ça jusqu'à ce qu'on entende un bruit un peu différent des autres et on se dit « Ok, il y a quelque chose qui est cassé, mais sans vraiment savoir quoi ».
Ce choc qui a un bruit un peu spécial, c'est le dernier. On se rend compte, après certains temps, qu'elles sont parties. On se rend compte aussi que le système de direction du bateau est complètement cassé. Les réparations qu'on avait réussi à faire juste avant sont cassées et on n'a pas moyen de réparer comme ça, au milieu de la mer, ça. De nouveau, on patiente et puis on voit une... une lumière bleue au loin qui s'approche de nous.
Pendant ce temps-là, on est toujours en train de communiquer avec tous les paquebots, en leur demandant de s'écarter de nous, en leur expliquant qu'on est à l'arrêt, qu'on ne s'est pas manœuvré. Et puis cette lumière bleue qui arrive, qui s'approche. On comprend que la lumière bleue en mer, c'est le code pour...
Les secours ou la police. Et donc, en fait, c'est les secours maritimes. On comprend qu'ils viennent de Pharoah, une espèce de zodiaque comme ça. Ils ont fait deux heures pour arriver jusqu'à nous. Et il nous propose un remorquage. En fait, on sait que le remorquage va coûter ultra cher, puisque la distance est quand même conséquente jusqu'à Faro.
On sait qu'on a une barre de secours, un petit bout du safran et donc un petit bout du gouvernail. Et donc, on sait qu'on peut avancer. Donc, on décide en équipe de ne pas se faire remorquer. Mais moi, à ce moment-là, je me dis... Ah bon, on n'a pas besoin de secours. J'ai l'impression que la situation est quand même assez grave. Je ne comprends pas trop. Ça me passe vite parce que les capitaines expliquent comment ça va se passer pour la suite.
J'ai confiance en eux, j'ai confiance dans mon équipage. Ensuite, les secours partent et on se dit qu'il est temps de redémarrer avec toujours cette peur au ventre de à nouveau se faire percuter. J'essaye de fermer les yeux dans ma cabine qui se situe à l'arrière du bateau. Quand on dort dans un bateau, on entend l'eau qui cogne sur la coque.
Et à ce moment-là, je me couche et à chaque fois qu'il y a une vague un peu plus grosse que les autres qui vient se casser sur la coque, je sursaute. J'ai l'impression que c'est de nouveau des orques. Et donc j'ai vraiment du mal à me reposer. Je suis toujours sur le qui-vive, j'ai du mal à redescendre. J'ai toujours du mal à croire ce qu'on vient de vivre, ce qui s'est passé.
Le jour se lève, on a un peu l'impression que ce qui s'est passé la nuit faisait partie d'un moment hors du temps, pas vraiment réel. On est le 1er avril 2023. On est au 23e jour de mer. On se dit, en rigolant, que personne ne va jamais nous croire. Les dernières heures sont longues. Et on a hâte de mettre pied à terre. Je crois qu'on est fatigué. La dernière nuit a vraiment été particulièrement éprouvante.
On a du mal à parler d'autre chose. Et puis surtout, on se réjouit de voir les côtes. Mais les côtes espagnoles, à cet endroit-là, sont ultra plates. Et donc, on ne voit pas les côtes jusqu'à arriver à 10 kilomètres peut-être de la côte. Et donc, la mer est... C'est joli, mais ces dernières heures sont vraiment longues. On a hâte de se mettre en sécurité. Et voilà, on navigue au soleil direction Cadice. On arrive au port.
¶ Retour à Terre et Avenir
On amarre le bateau et on met pieds à terre. Quand je mets les pieds sur le ponton... Je me sens soulagée, en sécurité. Je me sens vraiment très fatiguée, mais contente que tout ça soit derrière moi quand même. Je vais m'asseoir sur le ponton et donc je n'ai pas l'impression d'avoir fait quelque chose d'extraordinaire. J'ai l'impression à ce moment-là que l'attaque prend vraiment le pas sur les 23 jours passés.
Chacun s'isole un peu, chacun téléphone à ses proches. 30 minutes après avoir mis le pied à terre, qu'on se retrouve tous les cinq pour se dire « Ok, voilà, on y est ». On range déjà un petit peu le bateau, on doit dessaler le pont, tous les équipements de mer, on range un peu l'intérieur. Le lendemain, on sort le bateau de l'eau et à ce moment-là, on voit l'étendue des dégâts. On voit que le safran a été coupé aux trois quarts.
Et donc, c'est un peu une fin brutale comme ça. Et puis, après deux, trois jours, on se dit au revoir. Chacun rentre chez soi. Je reprends d'abord un train jusqu'à Séville où je passe une nuit avec une coéquipière. Ensuite, je reprends un avion pour la Belgique. Et donc, dans l'avion, je me dis que j'ai vécu une aventure que je n'oublierai jamais. Je rentre en Belgique. Je suis super contente de revoir mes amis, ma famille. Je suis ultra excitée de raconter cette attaque d'orques.
Et puis, surtout, je me dis que je suis confortée dans mon idée de devenir marin professionnel. Les premières semaines après mon retour, j'ai eu... Des nuits un peu compliquées avec des cauchemars concernant les orques, des cauchemars où je vois le contact visuel avec elles. C'est un cauchemar récurrent et puis ça s'estompe petit à petit. À ce moment-là, je regarde aussi énormément de vidéos d'attaques d'orques. Je lis...
beaucoup d'articles concernant les attaques. J'essaye de comprendre et ça me fait, à chaque fois que je vois des images, un peu revivre les émotions. Et puis cette envie de regarder les vidéos s'estompe. au fur et à mesure que les semaines passent. Aujourd'hui, mon projet professionnel, c'est donc de devenir skipeuse de voiliers et des voiliers à vocation sociale, ce qui me permettrait d'allier mon...
boulot précédent où je travaillais avec des mineurs étrangers de l'accompagné. Je voudrais travailler sur des voiliers qui organisent des séjours de rupture avec des jeunes qui sont un peu sur la pente glissante. Donc des voiliers à vocation sociale ou des voiliers à vocation scientifique. À l'heure actuelle, je passe les brevets au fur et à mesure pour devenir skipeuse professionnelle. L'attaque des orques m'a permis de réaliser que j'étais capable de garder mon sang froid dans une situation...
aussi compliquée que celle-là. Ce qui est sûr, c'est que si ça s'est aussi bien passé, c'est parce que j'avais des capitaines et un équipage. en qui j'avais entièrement confiance. Personne n'a vraiment cédé à la panique. Et je pense que ça a grandement joué sur le fait que cette histoire se soit bien terminée. Et je me suis toujours sentie...
toute petite face à l'océan, à la mer, j'ai toujours senti que c'était une puissante force de la nature. Cette attaque d'orque a complètement démultiplié ce sentiment. Être sur l'eau ça m'apporte vraiment un sentiment de plénitude et de sérénité que je pense que je ne retrouve pas de manière aussi intense à terre. Quand on fait de la voile, on ne sait jamais vraiment quand on part ni quand on arrive. Je m'attendais en tout cas à vivre un voyage et vivre des expériences sur route.
plusieurs plans, et donc je voulais vivre l'expérience du marin au long cours, apprendre des techniques et me perfectionner. Je voulais expérimenter cette vie en huis clos, l'expérience humaine. la vie en équipage. Et c'est ce que j'ai vécu à 200%. Vous venez d'écouter Transfer, épisode 307, un témoignage recueilli par Capucine Rouault. Cet épisode a été produit par Slate Podcast. Direction éditoriale, Christophe Caron.
Direction de la production, Sarah Koskiewicz. Direction artistique et habillage musical, Benjamin Septemours. Production éditoriale, Sarah Koskiewicz et Benjamin Septemours. Chargée de pré-production, Astrid Verdun. Prise de son, Johanna Lalonde. Montage, Mona Delahaye. Musique, sable blanc. Sous-titrage Société Radio-Canada
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