À l'automne 2014, je suis étudiante à Montréal, j'ai 18 ans. Je viens en colocation dans une maison dont j'occupe le premier et le deuxième étage avec deux personnes. Au sous-sol, on a un deuxième appartement dans lequel des amis viennent s'installer, des amis de ma colocataire.
C'est une ambiance qui est très familiale. Les portes sont toujours ouvertes. On est tous assez proches, on dîne très souvent ensemble, on fait des choses ensemble. On vit presque même en autarcie les uns avec les autres. Je suis étudiante en psychologie et en sociologie. Ça fait un an que je suis à Montréal. Je suis arrivée là-bas un peu par hasard à cause de conflits avec ma mère qui m'a éloignée un peu du foyer familial. Je viens d'avoir ma majorité.
et je décide en fait de qui fait ma vie à Montréal, ma vie étudiante. C'est une ville où il est très difficile de faire quoi que ce soit quand tu es mineur, parce que les Québécois regardent les cartes d'identité et ne rigolent pas du tout avec le fait de pouvoir vendre de l'alcool, accéder à des bars à des personnes qui sont mineures. Et donc je suis à Montréal, je suis majeure et je décide de lâcher les chevaux et de vivre pleinement ma vie d'étudiant.
Je sors énormément, je dors peu, je ne vais pas en cours parce que les cours là-bas sont assez simples. On va en boîte de nuit quatre fois par semaine. C'est à ce moment-là aussi que je commence à prendre des drogues pour la première fois. un schéma répétitif de on sort, on prend de la drogue, le lendemain on va pas en cours, donc on est quand même dans un mode de vie qui est un petit peu de débauche, mais on est hyper heureux comme ça.
Je rencontre Anna car elle s'installe dans ma colocation. Anna, c'est une fille qui est plus vieille que moi et qui est un peu toujours dans les magouilles. On ne sait même pas comment vraiment elle reste à Montréal, quel type de visa elle a. si elle a un visa de travail ou si elle a un visa étudiant. On se rapproche assez rapidement aussi parce qu'il y a une partie de moi qui l'idéalise un petit peu. Elle est plus vieille, moi j'ai à peine 18 ans.
Et elle a déjà accompli tellement de choses, mais toujours de manière un petit peu, toujours des petites magouilles, etc. Par exemple, elle est toujours inscrite au chômage en France et elle le touche. Et elle fait des changements d'adresse pour pouvoir faire en sorte de ne pas avoir ses rendez-vous avec Pôle emploi et continuer son chômage alors qu'elle ne devrait pas le toucher au Canada, sachant qu'elle travaille, etc.
Ce qui me fascine avec Anna, c'est qu'elle a pas peur de se faire prendre, qu'elle a pas peur d'aller plus loin dans ses magouilles, qu'elle a pas peur d'aller loin dans le mensonge. Et en fait, elle s'en sort toujours. Et moi, je trouve ça trop cool qu'elle ait peur de rien et qu'elle continue à faire toutes ses petites magouilles. sans avoir jamais peur de se faire prendre.
Anna emménage dans ma colocation à l'automne 2014 et on noue des liens très forts car moi je suis dans un moment de ma vie où je suis un peu fragile, fragilisée par la fatigue, par la fête, par le manque des proches. Elle a ce côté un peu maman, elle me prend sous son aile. Elle me donne aussi beaucoup d'attention, elle vient vers moi, elle me pose des questions, elle se demande... Toujours si ça va, quand ça va pas, je peux pleurer sur son épaule.
Quand ça va, c'est la première qui va me proposer de faire des choses. Et à ce moment-là, on se rapproche énormément et j'aime énormément la relation qu'on noue. On passe beaucoup de temps ensemble, on fait beaucoup d'activités, on fait pas mal de shopping. Et un jour, on est dans la boutique d'une marque qu'on aime énormément toutes les deux, qui s'appelle American Apparel. et on sort de la boutique
sans avoir rien acheté parce que c'est super cher et que je suis quand même étudiante et je n'ai pas beaucoup de moyens. Et elle ouvre son sac et elle me sort deux body, un pour elle, un pour moi, en me disant « c'est cadeau ». Et moi, je suis un peu... « Béa, où est-ce que tu as trouvé ça ? Je ne t'ai pas vu passer à la caisse. » Et en fait, elle me dit « Non, je n'ai pas passé à la caisse. Je l'ai mis dans mon sac et je suis sortie du magasin. »
Sur le moment, je suis un peu choquée, mais je trouve ça trop marrant. Et puis, elle me fait un cadeau et c'est un truc cool, donc je suis contente. Je trouve ça trop marrant qu'elle ait réussi à voler chez cette enseigne qui coûte super cher, alors que moi j'étais avec elle, alors que même moi je ne m'en rends pas compte. Et suite à ça, elle commence à m'expliquer qu'elle vole dans les magasins depuis toujours.
qu'elle sait, quelles sont aujourd'hui les enseignes dans lesquelles elle peut voler facilement. et va commencer tout un apprentissage de comment on vole dans les magasins sans se faire prendre. Et assez rapidement, moi je commence à voler avec elle et on arrive à la coloc et on se montre nos butins, puis on est contente et puis on montre à tout le monde qu'on a acheté ça, ça et ça. Et ça devient un espèce de jeu quotidien où on va dans les magasins et on vole ensemble.
Assez rapidement, je trouve dans le vol l'adrénaline qui manque à ma vie. Je suis à ce moment-là pas très heureuse. J'ai envie de quitter Montréal. Mes parents veulent pas que je rentre à la maison. Je me sens aussi un peu seule, parce que finalement, même dans la fête, on est souvent entourée, mais à la fin de la journée, on est quand même souvent seule. et en fait je m'occupe tous mes moments où je sais pas quoi faire par aller dans un magasin et voler.
Il y a cette rue à Montréal qui s'appelle la rue Sainte-Catherine, qui est une rue où il y a uniquement des magasins, et elle traverse vraiment la ville. Et je passe d'un point A à un point B. C'est peut-être une balade de deux heures à pied que je fais en trois heures parce que je vais dans les magasins, je vole, je vais dans les cabines, j'enlève les antivols. Et tout ça grâce au conseil d'Anna.
qui m'a initiée au vol, qui m'a appris quelles étaient les anciennes où on pouvait le faire facilement, comment on enlève un antivol, qui m'a donné les réflexes de regarder où sont les caméras. Elle m'a donné toutes les clés pour que je devienne une bonne voleuse. Je vole. Uniquement des vêtements, mais ça va de la petite culotte au jean. Je vole des articles qui valent en plus un peu d'argent. Ma plus belle prise... C'est un jean APC que j'arbore fièrement auprès de mes colocataires.
Ça devient tellement addictif le vol que je me retrouve à voler des choses déjà dont je n'ai pas besoin. Mais même dans des magasins où vraiment rien n'est cher, typiquement je vole une passoire chez Dolorama qui est un... un magasin où tout est un dollar et j'en ai pas besoin et j'ai un dollar sur mon compte pour me payer une passoire si je devais le faire quoi. Je vole énormément pour moi mais je vole aussi énormément pour les autres.
Mon petit copain est en France et je prépare une demi-valise de t-shirt volé que je vais lui offrir dès que je rentre et je suis super excitée à l'idée de pouvoir le faire. Je rentre à Noël et j'offre les cadeaux que j'ai volés dans les mois et les semaines précédentes à ma famille et à mon petit copain. Et ils sont super gâtés donc ils sont hyper contents mais on me pose la question de comment tu as pu financer tous ces cadeaux.
Et je reste assez vague. Ma famille, mon petit copain, ils insistent pas tellement sur le sujet. Et voilà, je m'en sors comme ça. Après les fêtes je rentre à Montréal et je ne perds pas la main. La première chose que je fais en sortant de l'avion c'est de retourner dans les magasins voler. Je me fais une après-midi comme je fais à chaque fois où je vais dans un, deux, trois, cinq magasins dans lesquels je vole à chaque fois des pièces.
Et dans le dernier magasin dans lequel je me rends, je fais une erreur. Je vois un pull en sortant du magasin et je me dis que je veux absolument l'offrir à mon petit copain. Donc je le prends, mais je ne fais pas les choses bien, je vais trop vite. Et je sors du magasin un peu stressée, et je fais quelques mètres. Rien, donc je me dis c'est ok. Et au final, je fais 100 m de plus et il y a deux personnes qui m'attrapent par les épaules, qui arrivent par l'arrière.
et qui me disent mademoiselle ce pull vous l'avez acheté ? Et donc je dis, oui monsieur, j'ai acheté le pull. Et ils me disent, vous allez venir avec nous pour nous le prouver. Et là je sais que c'est le début de la fin, que je me suis fait prendre et maintenant il va falloir trouver une solution de sortie parce qu'on m'a appris à voler mais on m'a pas appris à... se faire prendre. Donc ces deux messieurs, je me rends compte qu'il y a un vigile et un agent de police.
Et on retourne dans ce magasin et il m'emmène dans une petite pièce toute grise à l'arrière du magasin, qui sont en fait les bureaux. On m'assoit sur une chaise et on me confronte, on me dit, voilà, t'as volé, on t'a vu. Super difficile d'aller à l'encontre de ça. Oui, en effet, le pull, je ne l'ai pas payé. Et on se rend surtout compte qu'au-delà du pull, j'ai d'autres articles du magasin. mais j'ai surtout d'autres articles qui appartiennent à d'autres enseignes.
Il faut savoir que quand je volais, j'en mettais partout. Je ne mettais pas que de choses dans mon sac, j'en mettais dans les poches, dans les manches, etc. Le vigile me demande d'enlever mon manteau. Et il s'avère que j'étais passée par une enseigne de lingerie avant de me faire prendre et que j'avais mis pas mal de lingerie dans mes manches. Donc à la base je refuse, enfin je lui dis que je ne veux pas enlever mon manteau.
il m'oblige à le faire et il voit que j'ai des culottes qui sortent de mes manches. et il se tourne vers son collègue avec un air complètement désemparé et il lance à son collègue avec en plus l'accent québécois bien marqué. Oh là là, elle a des bobettes jusqu'au bout des manches. Et moi, j'ai un fou rire à ce moment-là parce que la phrase, elle est trop marrante. Bobette, je ne savais même pas que ça se disait. Et en plus, dans le contexte, c'est humiliant, mais c'est hilarant.
Très rapidement, j'essaie de trouver une solution avec eux. J'essaie de négocier. Est-ce que je peux payer les articles ? Comment je peux régler la situation sans que ça devienne grave ? Tout en sachant que les Canadiens, ils rigolent pas du tout avec la justice. C'est un pays où on se prend une amende quand on traverse au feu rouge.
Donc je n'ai pas envie d'avoir de problèmes avec les Canadiens, d'autant plus que je suis étudiante, je ne suis pas dans mon pays natal, je suis à 6000 km de chez moi. C'est pas bon. Donc je propose de payer les articles, je propose de trouver une solution et ils me disent très rapidement que la seule solution qu'il y a, c'est que les flics arrivent et que c'est eux qui vont reprendre le dossier. La police arrive, il y a une déposition qui est faite avec le magasin et moi.
On me propose deux solutions. On me dit, voilà, ça va se passer comme ça. Soit tu payes ta caution et tu es libre. Soit tu vas en garde à vue et tu passes en comparution immédiate demain matin et on voit à ce moment-là ce qui se passe. La caution elle s'élève à 500 dollars. 500 dollars canadiens, ça représente 450 euros en France. et j'ai pas cet argent sur mon compte.
Mon premier choix, c'est d'aller faire la garde à vue et de passer en comparution immédiate. Très rapidement, le policier en face de moi me dit que si je vais en garde à vue, on est downtown, donc dans un quartier qui est très vivant. Et il me dit que si je vais en garde à vue, je vais me retrouver avec les prostituées et les clochards, et que ça va être l'une des pires nuits de ma vie.
Évidemment, quand il me dit ça, je n'ai pas du tout envie d'aller en garde à vue, donc je décide d'appeler ma mère pour lui demander de me faire un virement ou de trouver une solution pour que je puisse récupérer 500 dollars. J'appelle ma mère et elle me dit, ma fille tu as fait une bêtise. tu te démerdes. Donc je n'ai pas d'autre choix que de trouver une solution par moi-même. J'ai ma coloc au téléphone qui accepte de me prêter l'argent qu'il me manque pour pouvoir payer ma caution.
Et on se donne rendez-vous à la banque la plus proche pour qu'elle puisse retirer et me donner le cash pour payer ma coste. Pour y aller, je dis au revoir au vigile, je quitte le magasin par la petite porte arrière et les deux policiers qui m'accompagnent me mettent à l'arrière d'une voiture de police canadienne. Je découvre aussi ce qu'est l'arrière d'une voiture de police, ça veut dire un siège en plastique avec des barreaux aux fenêtres.
On fait trois minutes de voiture pour aller à la banque la plus proche, où ma colocataire me rejoint, je paye ma caution, je signe un papier, et ils me disent que je recevrai d'autres informations plus tard par courrier. Je ne sais pas trop ce à quoi je dois m'attendre. Quelques semaines plus tard, je reçois une convocation pour me rendre au palais de justice de Montréal. Très rapidement je reçois l'amende civile du magasin qui m'a attrapé.
C'est une amende civile qui est de 500 dollars canadiens également. Et je reçois un autre courrier du commissariat général de Montréal qui me convoque pour que je vienne faire mes empreintes. Donc je me rends au commissariat en février 2015. J'ai l'impression que ma vie c'est un film, ça veut dire qu'on me fait mon mugshot, donc on me place derrière un fond rayé où il y a ma taille.
J'ai une petite pancarte dans les mains et on me prend de face, de profil et on me prend les empreintes en me disant qu'aujourd'hui, je suis fichée dans le fichier des criminels québécois. En parallèle, je trouve un travail en restauration parce que je suis ruinée de par l'amende civile que j'ai à payer et la caution que j'ai dû payer le soir de mon arrestation.
Mes parents continuent à me faire le même virement qu'ils me font tous les mois, mais ils ne vont pas me donner plus d'argent parce que j'ai fait une bêtise. Ils veulent vraiment, en tout cas ma mère veut vraiment que ça me serve de leçon. et que je sois autonome dans la gestion de cette arrestation.
Arrive la date de ma première audience au tribunal, je me rends au palais justice de Montréal, je vais à l'accueil, je donne ma carte d'identité, je demande où est-ce que je dois aller. On m'indique une salle d'audience. et je me rends dans la salle Je m'assois sur un banc, donc c'est vraiment comme ce qu'on voit dans les films, il y a vraiment un espèce de promontoire où on imagine que la juge va arriver, des bancs, plein de gens, et voilà, je m'assois.
Et j'attends parce que je sais pas du tout ce qui va se passer. Il y a une sonnerie, tout le monde se lève et il y a la juge qui rentre dans la salle avec... plein de gens dont je ne connais pas forcément les rôles. Et un par un, elle va appeler les gens qui sont dans la salle.
En leur demandant, vous êtes ici pour ça. Elle fait un petit peu le résumé du délit qui a été commis. Et grosso modo, il y a des peines qui sont données, qui peuvent être des amendes, des choses comme ça. Donc moi, je ne sais pas du tout ce qui va m'arriver. Donc elle m'appelle, je vais à la barre, elle me demande de me présenter, elle me demande ce que je fais au Canada. Tout de suite, elle note que je ne suis pas canadienne, que je ne suis pas québécoise.
Donc elle me pose aussi des questions sur quel visa j'ai, quelle est ma situation, etc. Et elle me demande si j'ai un avocat. Moi je ne pensais pas du tout avoir besoin d'un avocat, je ne sais même pas ce que je fais là. Et je lui réponds que non. Et elle me dit qu'on va me donner un avocat commis d'office pour que je puisse... comprendre ce qui m'arrive Donc elle me demande de sortir de la salle avec une avocat commis d'office qui était dans la salle et qui va venir récupérer mon dossier.
Je discute un peu avec la VODCAD qui me dit, écoute, t'es ici pour un vol. Aujourd'hui, il existe un programme pour les jeunes femmes qui volent qui est mis en place par une association. et qui, si tu es accepté dans le programme, te permettra d'être acquitté et de ne jamais avoir de traces, de ne pas avoir de casier. Parce qu'en donnant mes empreintes, en faisant mon mugshot, etc.,
Les Canadiens ont créé un casier à mon nom sur leur sol. Elle me dit, si tu veux ne pas avoir de casier, pas de traces de ce délit, il faut que tu fasses ce programme et comme ça tu seras acquitté. Je lui dis que je suis d'accord pour cette option-là. On re-rentre dans la salle, on me rappelle. Et mon avocate demande à ce que j'effectue le programme EVE, qui est le programme pour les jeunes voleuses.
F ça veut dire entraide, vol à l'étalage. Donc la juge va accepter cette solution, va me proposer une autre date d'audience quelques mois après et va me donner plusieurs missions. de me trouver un travail, mais ça je l'ai déjà fait, de payer mon amende civile et de faire la démarche pour m'inscrire au programme F. Donc c'est ce qui se passe, je sors de la salle et l'avocate me dit qu'on peut aller faire la demande maintenant pour le programme Eve.
Je me rends dans le bureau de la personne qui s'occupe de ça, on échange un peu, elle m'inscrit au programme, elle accepte de me prendre et elle va me donner la date de ma première séance de ce programme. Elle me dit très rapidement que je n'ai pas le droit à l'erreur sur ce programme-là, que je vais avoir trois séances et que si j'en loupe une, c'est fini. Il n'y a pas de retour en arrière, donc il faut vraiment que je sois super assidue.
et que j'aille vraiment bien à toutes mes séances et que j'en loupe pas une. Après cette première audience et avec tout ce qui s'est passé dans les mois précédents, je commence vraiment à prendre conscience que l'environnement dans lequel je suis n'est pas sain.
et que cette espèce de fausse bienveillance sous laquelle j'étais dans ma colocation, elle me tire plus vers le bas qu'autre chose. Une chambre se libère à ce moment-là dans la colocation d'une de mes copines et je vais m'installer avec elle. Avec mon déménagement, je coupe les liens avec Anna définitivement et avec la colocation. Depuis mon arrestation, je la voyais moins. Et là, ça marque vraiment la rupture avec elle. La colocation ne se passe pas très bien.
Parce que j'ai du mal, moi, à faire ma transition, faire un mode de vie plus sain. Et elle, j'ai l'impression qu'elle fait ma mère, mais dans la façon punitive. C'est-à-dire qu'elle me demande d'être là pour le dîner, elle me demande de rentrer le soir. Je ne suis pas prête à lui donner ça. Et donc pour préserver notre amitié, on se dit qu'on va rompre cette colocation vraiment très rapidement après qu'elle ait été mise en place.
Et puis l'été arrive, je rentre en France, je passe l'été en France. Je rentre à Montréal au mois de septembre et là je trouve une nouvelle colocation dans un immeuble où j'ai plein d'amis. L'ambiance dans cette nouvelle colocation géante est incroyable. Je vis en face de chez ma meilleure amie. Au même moment, je ronds avec mon petit copain. et je tombe petit à petit amoureuse d'un nouveau garçon qui fait partie de cette colocation.
C'est une période où je suis super heureuse, où j'ai l'impression d'avoir un rythme de vie qui est beaucoup plus sain. De par mon rapport avec les sorties ou avec le monde de la nuit, la fête, etc., on sort toujours les uns avec les autres. On continue à faire la fête, mais on passe aussi beaucoup de temps ensemble avec mes colocataires et mes amis qui vivent dans cet immeuble.
à faire des soirées films, à faire des soirées jeux de société. On vit pour le coup complètement en autarcie. Même nos autres amis qui ne vivent pas avec nous nous disent mais on ne vous voit plus, mais en fait on est trop heureux ensemble. En plus de ça, je travaille. Mon travail se passe super bien. Ce n'est pas un travail qui est très intéressant. Je travaille dans restauration, je suis hôtesse, mais je travaille pour des restaurants qui sont assez chics.
Donc je récupère pas mal de pourboires. Au Canada, c'est obligatoire de donner 15 à 20% de pourboires quand on travaille en restauration. Donc ça peut tout de suite faire beaucoup d'argent quand on travaille pour des établissements qui sont un peu chics. Il y a des soirées où, en pourboire, je ramène deux fois mon loyer. J'ai beaucoup d'argent. Grâce à mon travail, je paye rapidement mon amende civile et je rembourse ma colocataire qui m'avait avancé ma cause.
Je bosse aussi avec des amis. Donc on est ensemble, on travaille, on rentre du travail, on achète une bouteille de vin, puis on va la boire à la coloc. Et c'est trop chouette et c'est trop sain. Et je suis vraiment... très beau moment de ma vie et je suis vraiment ultra épanouie dans ce cadre. Très vite après mon emménagement, j'ai ma deuxième audience avec le juge qui est une audience plutôt de suivi.
Lors de cette deuxième audience, je ne suis pas accompagnée par un avocat ou une avocate. Je décide de me défendre toute seule car j'ai regardé les prix des avocats au Canada et que je n'ai pas les moyens de m'en payer. J'arrive dans la salle et c'est la même juge. Donc on se salue comme si on se connaissait. Elle va faire le suivi des petites missions qu'elle m'avait données à l'audience d'avant.
Donc elle va s'assurer que j'ai trouvé un emploi, que j'ai payé mon amende, que je me suis inscrite au programme, même si je ne l'ai pas encore commencé. C'est vraiment une petite audience de routine pour voir si tout est OK et si je suis sur les rails.
Comme je n'ai rien à déclarer, ou en tout cas elle est contente de ce qu'il se passe et de l'implication que j'ai donnée dans le suivi de mon délit, Elle va juste me donner une date d'audience dans quelques mois, audience qui sera en fait après ma première session avec le programme. Quelques semaines plus tard, j'ai rendez-vous pour ma première session du programme Eve. C'est le début de l'hiver, c'est organisé à l'autre bout de la ville.
dans un quartier chic. J'arrive dans la maison qui va recevoir la session. Il y a déjà une dizaine de jeunes femmes qui sont devant la maison. Puis il y a quelqu'un qui arrive et qui va ouvrir et nous accompagner vers une salle. qui est un peu austère avec un grand tableau Velleda sur un mur et des chaises en arc de cercle. vraiment ce qu'on peut imaginer quand on imagine les alcooliques anonymes.
On s'assoit toutes sur des chaises, personne ne se parle. C'est quand même un petit peu gênant. Très rapidement, je ne me sens pas forcément à ma place dans la mesure où je vois que les femmes qui sont autour de moi... ont l'air dans... Une situation qui est plus précaire que la mienne.
L'animatrice arrive, puis elle va commencer à présenter le programme Eve, présenter ce qu'on va faire au sein de chacune des sessions qui vont être faites. Elle nous indique qu'on saura toutes, les têtes qui sont aujourd'hui seront les têtes qu'il y aura dans les prochaines sessions. Et on va commencer par un tour de table où chacune d'entre nous va raconter son délit. et pourquoi elle est assise sur cette chaise aujourd'hui.
Et ça aussi c'est un moment qui est compliqué parce que moi je volais parce que j'avais besoin d'adrénaline, parce que j'étais triste, j'ai pas de raison valable de voler. Et en fait je me retrouve confrontée à des femmes qui racontent qu'elles, elles volent parce qu'elles peuvent. pas nourrir leur famille et là ça me met une claque parce que j'ai d'autant plus honte parce que j'ai l'impression que leur vol est plus légitime que le mien.
La session, elle est vraiment orientée autour de la notion de vol. L'idée c'est de comprendre, après qu'on ait expliqué pourquoi nous on est là et qu'est-ce qu'on a volé, l'idée c'est de comprendre quel est l'impact qu'un vol peut avoir au-delà de notre acte à nous, l'impact sur l'entreprise, l'impact sur les personnes qui travaillent aussi pour les enseignes.
et que finalement, un vol a un impact beaucoup plus important que juste le fait de prendre quelque chose dans un magasin et de le mettre dans sa poche. J'apprends aussi que le vol à l'étalage commis par les femmes est un fléau au Québec et que c'est la raison pour laquelle le programme Eve a été créé. En décembre 2015, soit presque un an après mon arrestation,
J'ai ma troisième audience chez le juge. L'audience tombe le lendemain d'une grosse fête à laquelle je décide de ne pas aller parce que je veux être vraiment en forme... devant la juge et que je n'ai pas envie de déraper et d'arriver complètement fatiguée. Je veux bien présenter devant la juge, donc je ne sors pas. Et le lendemain, je me prépare pour y aller, je m'habille, je prends ma convocation et là...
C'est sur froide, je me rends compte que je me suis trompée de date et que ma convocation, c'était pour la veille. Je prends un gros, gros stress parce qu'encore une fois, les Canadiens, ils rigolent pas et que je sais pas ce qui va m'arriver.
Mon premier réflexe, c'est de courir au palais de justice, d'arriver devant la réceptionniste et de lui dire « je suis trop désolée, j'ai pas été à mon audience hier, je savais pas ». La personne me dit que j'ai bien fait de venir car lorsqu'on loupe une audience au tribunal, un mandat d'arrêt est généré et il s'avère que j'avais un mandat d'arrêt contre moi qui avait été généré la veille. Donc si je me faisais arrêter, je pouvais avoir des gros gros problèmes.
On me dit que je vais passer en comparution immédiate auprès d'un ou d'une juge. Donc j'attends une heure ou deux heures avant qu'on m'appelle pour ma comparution immédiate. Et je me retrouve pareil dans une salle qui est plus petite, avec que des gens qui ne sont pas venus à leur audience. Et ce n'est pas la même juge, c'est un homme devant moi avec un procureur. Et ce jour-là, je comprends le rôle d'un procureur de justice parce que tout le monde se fait allumer.
Il y a des personnes qui sont appelées avant moi et elles se font allumer par le procureur en disant « c'est pas sérieux, vous êtes pas venus, les gens comme vous, il faut les envoyer en prison ». Et là, je me dis que je vais me faire engueuler et je commence à avoir très peur. Je me fais appeler, je vais à la barre. plein d'excuses, je suis désolé. Je n'ai pas fait exprès, je suis venue dès que j'ai vu que j'avais loupé ma séance, etc. Et là, miracle !
le procureur me dit, oh là là, non mais c'est pas grave, vous avez fait une erreur, bon bah vous faites attention pour la prochaine fois, allez mademoiselle, il me donne une autre date et c'est terminé. Après cette audience arrive ma deuxième et ma troisième session du programme Eve. La deuxième session elle est très émouvante parce qu'on va nous questionner sur
les raisons pour lesquelles on a volé chacune d'entre nous et on doit s'exprimer devant tout le monde. Donc c'est un exercice qui est difficile et c'est aussi difficile à recevoir. Par exemple... Il y a une femme qui va nous raconter qu'elle a volé du lait en poudre parce qu'aujourd'hui, elle n'arrive plus à nourrir ses enfants en bas âge. et qu'elle n'avait pas le choix. Et d'ailleurs la notion de choix, on va beaucoup la travailler au sein de cette session-là.
Parce qu'on va se questionner sur pourquoi j'ai volé, j'avais le choix de le faire ou pas. Et moi je me rends compte que moi le choix je l'avais. J'avais pas besoin de voler. J'avais pas besoin de faire tous ces cadeaux. On n'allait pas plus ou moins mémé parce que j'allais pas faire des cadeaux.
Ça me remet face à mes réalités et je ne suis pas fière et j'ai tellement honte parce que mon destin à moi, il n'est pas tragique. Il est beaucoup moins tragique que les femmes qui sont autour de moi et je me rends compte à quel point c'était nul. Lors de cette session, en travaillant sur mon cas et en allant un peu plus dans l'introspection,
je me rends compte que le vol n'est pas une finalité pour moi, mais que je suis plutôt à la recherche d'une adrénaline qui viendrait compléter un vide émotionnel. C'est une session qui est très éprouvante et en en sortant... Je me sens comme libérée d'un poids. La dernière session, elle va plus porter sur le futur. Qu'est-ce qu'on va faire de cette expérience et comment on va la transformer pour en faire quelque chose de positif ? Qu'est-ce qu'on a appris aussi sur nous ?
C'est aussi une session qui est assez émouvante mais qui est plus joyeuse que la précédente Pour moi, ça marque aussi la fin de Montréal parce que je sais que mes études vont se terminer et que je n'ai pas pour projet de m'installer derrière. Ça fait déjà plusieurs années que j'ai envie de quitter Montréal et j'étais aussi bloquée par ce procès que j'avais.
Je me sentais comme un peu bloquée au Canada parce que j'avais ce procès en cours. Moi, mon projet est assez clair. Je vais rentrer en France à la fin de mes études dans quelques mois. Le 2 juin 2016, je me rends au tribunal pour ma dernière audience auprès de la juge. J'arrive à la barre, la juge me salue, on se connaît bien maintenant. et elle va retracer tout mon parcours depuis ma première séance. Elle me dit qu'elle est contente de ce que j'ai fait.
Elle est contente de voir que j'ai validé mon programme Eve, que j'ai bien tenu toutes mes sessions. Elle est au courant que j'ai raté ma dernière audience. mais elle m'en tient par rigueur. Je lui apprends que je viens d'être diplômée avec mention de mon baccalauréat à l'Université de Montréal.
Elle est très contente et elle m'annonce qu'elle a décidé de m'accorder une absolution inconditionnelle, ce qui veut dire que je suis libre de toute charge. L'État canadien va supprimer mon casier judiciaire. Elle me dit qu'elle est fière de moi et que je suis, pour la citer, une bonne petite fille qui a réussi toute seule. Et ces mots, je les accepte avec bonheur et je sors de l'audience ravie, soulagée, avec le sourire jusqu'aux oreilles en me disant ça y est, c'est fini.
Quelques jours plus tard, je me rends au palais de justice de Montréal pour récupérer ma caution, qui est finalement le dernier lien que j'ai avec la justice canadienne. Dans la foulée, je fais un mail au commissariat général de Montréal avec le rendu de ma dernière audience et je leur demande de supprimer mes empreintes et ma photo de leurs fichiers. Je quitte le Québec quelques semaines après ma dernière audience et je tire enfin un trait sur cette histoire.
Aujourd'hui c'est une histoire qui est derrière moi. que je raconte pas forcément beaucoup, du moins pas dans les détails. J'adore raconter que je me suis fait arrêter au Canada. Ça fait rire mes potes, mais je vais jamais donner les détails très concrets de cette histoire parce que j'en ai quand même finalement assez honte. D'autant plus que le vol, c'est pas quelque chose d'anodin.
et que quand on te colle une étiquette de voleuse, ça peut très rapidement venir entacher une confiance qu'on peut te donner. et apporter un regard qui n'est pas forcément bienveillant et surtout que tu n'as pas envie d'avoir sur toi. Je sais que moi, ça m'a apporté préjudice d'avoir cette étiquette de voleuse sur la tête. Même quand j'étais à Montréal, ça a pu créer des conflits avec certaines personnes que je regrette. J'ai volé dans les magasins, je n'ai jamais volé une amie.
Et c'est très facile de projeter cette image de volus sur moi dans des situations un peu bêtes où quand tu es en week-end avec des copines et que tu as un t-shirt à elle dans ta valise quand tu rentres chez toi. qu'elle pense que tu as voulu voler, alors que ce n'est pas le cas.
Cette histoire a amené son penchant de choses négatives, mais elle m'a permis aussi de grandir et de gagner en maturité. J'ai toujours continué à travailler après cette histoire pour pouvoir garder une autonomie financière. Et je suis assez fière aussi d'être allée au bout de cette histoire toute seule. Personne ne m'a aidée, personne ne m'a tenue par la main. C'était moi et moi-même face à la justice canadienne.
Ce qui était très stressant et ce qui était compliqué. Du coup, je suis quand même assez fière de moi et de ce que ça a pu m'apprendre sur moi. Ce n'était pas une période qui était facile pour moi et j'ai réussi à m'en sortir toute seule. Et je suis très fière de moi pour ça. J'ai déjà revolé depuis mon retour en France, mais ça a toujours été...
très ponctuelle, type une paire de boucles d'oreilles dans une enseigne de fast fashion. Mais ça a tellement à chaque fois été une source de stress que je ne le fais plus. Et je pense que là, ça fait bien des moivres, des années que je n'ai pas volé dans un magasin. De mon passé de voleuse au Québec, j'ai rien gardé personnellement, mais il m'arrive parfois de tomber sur des personnes à qui j'avais offert des choses volées.
qui porte ses vêtements et ça me fait toujours un petit quelque chose, notamment ma mère que je vois souvent avec un T-shirt que j'avais volé pour elle à cette période-là. J'ai dû lui avouer que je l'avais volé et aujourd'hui, ça nous fait rire. Mais voilà, c'est toujours un petit reminder de ce qui a pu se passer par le...