¶ Intro / Opening
Explorer la nature, c'est aussi la partager. Avec la Columbia Hike Society, rejoigner une communauté de passionnés pour des randonnées gratuites et encadrées, accessibles à tous. Des montagnes au sentier côtier, Chaque sortie est l'occasion de découvrir de nouveaux horizons et de vivre des moments inoubliables en pleine nature. Inscrivez-vous à l'une des aventures sur colombia.com. Columbia est fière d'accompagner le podcast Les Baladeurs.
Les baladeurs. Récits d'aventures et de mésaventures en pleine nature. Un podcast du Média Les Others. Rendez-vous sur notre site leothers.com pour découvrir notre magazine papier, la carte méthode recto verso pour organiser vos aventures en France et en Europe et tous nos autres formats.
¶ Préparation et genèse du projet
Le ski de pente raide est une discipline extrême à la croisée de l'alpinisme et du ski de randonnée. Elle pousse les skieurs à s'engager sur des faces vierges et inclinées à plus de 45 degrés, où chaque erreur peut être fatale. Plus qu'un sport, pour Aurélien Lardi, c'est un langage, une ivresse vertigineuse, une manière d'habiter la montagne.
Formé au ski alpin depuis ses six ans, ce chamonnière s'est peu à peu détourné des pistes balisées, troquant les télésièges et les piquets de slalom pour la liberté des montagnes reculées. Il a appris à lire leurs couloirs glacés, leur arrête acérée et leur neige instable. Cette passion l'a progressivement conduit vers des pentes toujours plus raides, des sommets toujours plus hauts, en France, au Kyrgyzstan ou en Patagonie.
Au printemps 2023, Aurélien s'est lancé avec trois compagnons dans l'expédition la plus engagée de sa carrière. Parcourir 500 km en totale autonomie à travers les terres sauvages d'Alaska. Pendant 50 jours, ils ont prévu de traverser des rivières gelées, de skier sur des versants escarpés et de gravir des sommets mythiques.
Le tout en tirant des pulkas de plus de 100 kilos depuis l'intérieur des terres, avec l'océan en ligne de mire. Dès le neuvième jour, ils vont entamer le premier défi majeur de cette expédition. L'ascension du Denali, ce géant glacé d'Amérique du Nord qui culmine à 6190 mètres d'altitude et figure parmi les célèbres Seven Summits, les plus hauts sommets de chaque continent.
Pour ceux qui atteignent son sommet ski au pied, la montagne promet une récompense rare, la plus grande descente verticale du monde. Mais le Denali reste un sommet isolé, redouté et exigeant. dont l'approche réclame des jours d'effort. Une vigilance constante et la capacité à faire face à l'inattendu. La genèse de ce projet en Alaska, elle part de l'année d'avant.
où je rencontre Elias Miller You. On est allé skier et découvrir des montagnes vierges au sud du Kyrgyzstan, de 5000 mètres. Puis en fait, Elias, au travers de nos tentes et des heures passées ensemble dans la tente, me parle de l'Alaska. Et il me dit, tu sais Aurèle, l'Alaska, c'est le paradis du skieur de Pantred et du skieur du ciel. L'Alaska me faisait vraiment rêver. Je savais qu'il y avait les montagnes les plus grosses de la planète.
J'avais déjà entendu parler du Denali puisqu'il fait partie aussi des Seven Summits, les sommets les plus hauts de chaque continent. C'est le sommet le plus haut d'Amérique du Nord. Il fait 6200 mètres. Et c'est accessoirement la plus haute montagne, la plus grosse montagne de la planète en termes de dénivellation. C'est-à-dire que quand tu es à sa base, tu es à 600 mètres et son sommet se trouve à 6200. Donc il y a plus de 5000 mètres de face, c'est gigantesque.
Et d'autant plus qu'en plus, c'est une montagne qui est quand même très au nord, ce qui fait que par rapport à l'équateur, plus tu t'éloignes de l'équateur, plus l'oxygène se raréfie. Donc c'est aussi une montagne qui culmine à 6002, mais qu'on peut un petit peu comparer à 7000 en Himalaya.
Donc il y avait cette notion aussi qui est attirante, une sorte d'ivresse des sommets que tu veux aller chercher, que tu veux voir où sont tes limites, où est-ce que ton corps peut monter. Et derrière, il y a une équipe qui va se construire avec Elias Miller-You.
Un alpiniste très remarquable et remarqué. Il a un piolet d'or, c'est l'équivalent du ballon d'or en alpinisme. Alexandre Marchisseau, il est guide de haute montagne. Il a de nombreuses expéditions dans ses poches. C'est un poète des cimes. Et puis ensuite, il y avait Christophe Tricou. Lui, c'est plutôt un oiseau, puisqu'il est très très fort en parapente. Il fait du best jump, il fait de la wingsuit. Et en fait, l'idée farfelue, elle vient d'Alexandre Marchesso.
qui lui avait déjà regardé ce massif, et en fait, au travers des cartes, avait imaginé une traversée mais complètement débile, qui part du nord, qui va jusqu'au sud, ça te permet de traverser tout le massif du Denali, ça représente 500 km.
Et la carotte et le bonus, c'était la descente de ces deux grosses montagnes. Le Denali d'un côté et le Mont Fort à cœur qui est la troisième plus haute montagne d'Amérique du Nord. Je pense que le projet lui-même faisait quand même assez peur parce que c'est vraiment très long.
Tu ne sais pas ce que tu vas trouver sur 50 jours. Tu ne sais même pas qui tu es. Tu sais que tu vas apprendre à savoir qui tu es. Tu vas apprendre à découvrir d'autres gens. À ce moment-là, j'avais 26 ans. Je sais que j'avais envie de me plonger dans ce genre de voyage, mais je ne savais pas si j'étais réellement prêt.
Et une phrase magnifique que mon père m'a dit, et aujourd'hui je m'en sers tous les jours, c'est « Le train ne s'arrête qu'une fois en gare, alors saute dedans. » Et là, ni une ni deux, quand il m'a dit ça, Je me suis dit tout de suite, ok, c'est peut-être potentiellement une des expériences les plus grandes de ma vie, peu importe ce que j'y trouve, je vais y aller. On va commencer par partir de Talkitna.
¶ Point de départ et premières appréhensions
qui est le village point de départ pour aller vers le Denali. L'idée est de commencer de la dernière route possible pour rentrer petit à petit, au jour le jour, dans le massif à proprement dit. On va au bout de cette route. Et d'un coup, on se retrouve seul au milieu de l'Alaska. Pas un bruit, énormément de neige. Le Denali est à 50 kilomètres. On l'aperçoit, il est gigantesque. Là, je me sens hyper heureux, hyper chanceux d'être là, reconnaissant.
Et en même temps, assez effrayé à l'idée de devoir parcourir toutes ces distances. Est-ce que j'en suis capable ? J'en ai envie, c'est sûr, j'en crève d'envie. Mais est-ce que mon corps, lui, va être capable aussi de tenir ? sur ces distances, de tirer cette luge dans cette neige profonde. Et mon moral, comment il va tenir ? Est-ce que je vais m'effondrer ? Est-ce que je vais pleurer ? Est-ce que je vais être à ma place ? Est-ce que j'ai la force mentale de faire ça ?
Et du coup, j'ai qu'une hâte, c'est d'accrocher ma luge à mon sac et de commencer à tirer ce fardeau qui, au fil du temps, j'espère, deviendra mon ami et nous permettra d'aller réaliser des grands rêves.
¶ Premiers jours : pulkas et rivières
Ce premier jour, on met nos skis au pied et on avance avec des pots de phoques. C'est des pots qu'on colle sur la semelle de nos skis qui nous permettent d'avancer sur la neige, sur les revêtements enneigés, même quand il y a de la pente. On commence déjà à se rendre compte que...
tirer des luges de 115 kg dans une neige très profonde, c'est une énorme galère. Je n'arrive pas à avancer. Les luges sont très difficiles, elles nous tirent vraiment les épaules et les hanches. Et donc dans nos luges, on avait... 50 kg de nourriture, on avait tout le matos pour le campement, avec les tentes. On avait aussi les kayaks, puisqu'à la fin du voyage, on va descendre en kayak les rivières d'Alaska pour rejoindre l'océan, puis Anchorage, la capitale d'Alaska.
Donc on est parfois obligé, quand les pentes sont trop raides, on va retirer nos luges. On va faire une première trace à vide pour ensuite venir chercher la luge, pouvoir la tirer. Et là, les pas sont très lourds, très lents pour faire trois pas. Il faut franchement 5, 6, même jusqu'à 10 secondes selon la pente. C'est très fastidieux, c'est très inconfortable. Dans la souffrance, il y a un réel plaisir. Malgré le froid, malgré la difficulté.
Et en fait, moi, je suis là et j'ai conscience d'un coup, pleine conscience que je suis en train de tirer ma luge en Alaska avec trois amis qui sont en train de devenir des frères au travers de cette aventure pour avancer jour après jour. Et on se laisse porter par la montagne. C'est elle qui décide. Nous, on est très humbles face à tout ça. Il n'y a pas d'histoire d'ego. Il n'y a pas d'histoire de performance. L'heure du Fast & Light, nous, on est très heureux avec notre IV & Slow.
L'acceptation de cette petite société, cette micro-société qu'on se crée tous les quatre, et du reste du monde qui disparaît petit à petit de nos esprits. Ce premier jour, il se passe, on avance très très peu vite. Peut-être qu'en 7 heures, on avance de 2 kilomètres. Et là, on se rend compte que ça va être notre quotidien. On arrive au camp de base, et là, il faut mettre le camp en place. Et ça nous prend jusqu'à 2, 3 heures de temps.
puisque la neige est profonde, et là on va devoir venir taper la neige, tout aplatir, pour pouvoir faire un camp confortable, pour ensuite mettre la tente. Une tente, on n'en a qu'une, et on est tous les quatre dans cette tente. Et notre espace de vie, une fois que le campement est fait et qu'on rentre dans la tente, il se restreint seulement à ton corps et il y a 5 centimètres de chaque côté qui t'appartiennent. Et le sixième centimètre, il est à celui d'à côté.
Donc là, il y a un vrai respect à avoir, une acceptation aussi de l'inconfort. Et en même temps, il fait très froid. Il y a du vent. On a des températures le soir qui descendent jusqu'à moins 40. Donc, tu es enmitouflé dans ton duvet. Tout est fermé, il y a juste ton nez et ta bouche qui sortent du duvet. Et tu discutes un petit peu, tu mets de la musique. Et ça te permet aussi de t'évader, de quitter ce monde hostile et froid. Dès le lendemain.
On se réveille le matin avec beaucoup de neige sur le duvet, de la neige au plafond, du givre, de la glace. Et ça c'est très très inconfortable. Il faut méticuleusement, tout doucement. ouvrir le duvet, essayer de ne pas mettre de la neige de partout, arriver à s'habiller sans mettre la jambe dehors ou sans mettre le bras dehors parce qu'il fait super froid, ça prend des plombes, c'est interminable. Et une fois que tu es habillé,
Il faut avoir le courage d'ouvrir la tente et de sortir. Parce que ce froid dehors, il est mordant, il est horrible. Il te serre tout de suite le visage, la peau. Quand on ouvre cette tente... Le deuxième jour, il y a un super manteau blanc, c'est hyper joli. Il y a des arbres un petit peu de partout. On n'est pas encore vraiment dans de la haute montagne, on est dans des plaines. Et ce second jour, on a un lac à traverser.
Et celui-là qui fait 3-4 km de long. On ne le voit pas encore, on le devine. Et les lumières, elles sont juste fantastiques. On voit le Dénali au fond. Il y a le soleil qui se lève à peine juste derrière. C'est vraiment majestueux. C'est comme une peinture que t'as au loin et t'as qu'une hâte, c'est de pouvoir en voir les détails. Cette journée commence. On met deux heures, trois heures à plier le campement. Pour l'instant, c'est encore un petit peu maladroit.
Ça prend du temps à s'organiser. Une fois que tout ça est fait, ça y est, on commence à avancer et Elias part en premier. Il fait la trace. Et donc ça, c'est toujours un plaisir quand tu vas plutôt avoir tendance à suivre tes compagnons de cordée. C'est de...
de pouvoir profiter de cette trace qui a été faite au préalable, sur laquelle il est assez agréable d'avancer, surtout quand les pentes sont douces. Presque l'impression de ne rien tirer, ou quelque chose de beaucoup plus léger. On n'est plus sur une luge de 115, mais sur une luge de... de peut-être 20, 30 kilos. C'est quelque chose de très agréable. Et en fait, au milieu de ce lac, ça nous permet d'avoir un point de vue à 360 degrés, où on commence à voir un petit peu les obstacles.
aussi qui arrive c'est assez difficile d'imaginer l'ampleur et la dimension d'une rivière ou d'un secteur au travers d'une carte et en fait de les avoir sous les yeux de découvrir À l'instant T, ce qui nous attend et ce qu'on a vu au travers des cartes les jours précédents, le matin, la veille, c'est hyper impressionnant parce que les dimensions d'Alaska sont complètement irréelles.
On sort de ces plaines et on rentre sur ces rivières et je découvre que les rivières font de 400 à 500 mètres de large. Le choix de partir au mois d'avril, il est important puisqu'il nous permet de traverser les énormes rivières qui descendent justement de ces montagnes gigantesques.
Et on avait besoin forcément de ce froid pour que les rivières soient gelées, pour pouvoir les traverser et évoluer dessus. Tu t'imagines traverser la glace, et là, ce serait un aller sans retour. Mais en même temps, il fait très froid. C'est sûr qu'il y a des mètres de glace sous nos pieds, donc tu te laisses dériver sur ces rivières gelées qui sont à perte de vue où on commence un petit peu à...
à sentir qu'il y a de la vie autour de nous, qu'il y a des animaux. Et on se laisse à l'instant penser que nous aussi, ça y est, on redevient des animaux tout doucement. Ça prend des heures et des heures, des jours. pour pouvoir remonter ces rivières et revenir à la base des glaciers, qui sont les sources de ces rivières. On compte à ce moment-là 3 à 4 jours pour pouvoir arriver au pied des montagnes, ou en tout cas d'arriver au...
aux portes de la haute montagne pour pouvoir ensuite rentrer dans une seconde phase qui, elle, nous amènera au glacier. Le bilan des 4-5 premiers jours au travers des plaines et des rivières. Il est que vraiment cette acceptation du temps qui passe vite et des distances qui, elles, restent très importantes où il faut accepter de ne pas avancer. Mais...
Au jour le jour, on voit qu'on avance. Donc en fait, moralement, c'est déjà quelque chose de très très agréable. Et puis, tous les quatre, on est bien ensemble. On se fait confiance les uns les autres. Et petit à petit, justement, il y a quelque chose qui se met en place, c'est qu'on a de moins en moins besoin de se parler. On a de moins en moins besoin d'échanger. Et on est bien chacun dans notre monde, dans notre bulle, à avancer, à regarder ce qui se passe autour.
à s'imaginer les jours d'après. Mais en fait, plus on va se rapprocher des montagnes, et plus le terrain devient compliqué. Donc on avance, et au 5 ou 6e jour, on va doucement arriver...
¶ Approche du Denali et défis d'accès
au pied des montagnes. Et là, ça commence à devenir très compliqué parce qu'il commence à y avoir ce qu'on appelle des moraines. Les moraines, c'est ce qui reste des glaciers d'antan. La glace a fondu. Et la glace laisse place à des monticules de rochers et de terre, jusqu'à 10, 15, 20 mètres. Et en fait, il faut franchir ces monticules-là. Et du coup, on se retrouve à tirer une luge à plusieurs.
Si c'est trop complexe, si c'est trop lourd, on va accepter de vider les luges pour faire différents allers-retours. Parce que c'est juste impossible de tirer ces luges parfois dans des pentes trop raides. Et doucement, on s'approche. des glaciers, qui eux sont gigantesques, à nouveau, avec des crevasses qu'on devine infranchissables, des monticules de glace, des séraques suspendues, avec...
Au fond, la face nord du Denali qui commence vraiment à se montrer à nous, qui est gigantesque, à l'ombre, très très effrayante, avec un historique magnifique et des itinéraires qui feraient vraiment... frissonner les plus grands alpinistes et les plus grands skirt-pantraines. On est heureux de rentrer dans cette haute montagne, s'approcher du Denali. Et là, on va doucement aussi arriver aux Ice Falls.
Les ice falls, c'est des chutes de glace qui sont infranchissables. C'est à cet instant-là qu'on arrive et qu'on voit que l'ice fall fait 300 à 400 mètres de dénivelé de haut. Donc c'est gigantesque. C'est vraiment un dédale et un labyrinthe de glace et de tout ça qui s'effondre, qui tombe vers le bas. Donc c'est évidemment dangereux. Et nous, on ne veut pas passer par là. Donc là, on aperçoit sur la droite un couloir qui donne sur un petit col.
On arrive au pied de ce couloir. Et là, du coup, on se dit, les gars, comment on fait ? Comment on peut s'y prendre ? Et du coup, nous vient l'idée de s'accrocher les uns aux autres pour pouvoir tirer une luge. On est tous les quatre. La luge est en dernière. Et là, pas après pas, en faisant des décomptes, on avance. Mais pour faire 150 mètres, on met 35 minutes, 40 minutes. Et ce qui est terrible, c'est que celui qui est au plus près de la luge...
C'est celui qui tire tout le poids de la luce. Et en fait, si ce n'est pas une danse très précise et très rythmée, c'est lui qui va ramasser tout le poids de la luce sur le dos, sur les épaules. Et celui qui est en premier sur la trace, lui, ne sent quasiment rien. Donc il faut arriver, au fil de ses montées, à vraiment se rythmer pour arriver à tirer petit à petit ses luches vers le haut. Donc on fait comme ça, péniblement, nos quatre luches, ça nous prend peut-être...
Trois heures et demie, quatre heures. Et puis ensuite, il y a cette seconde pente qui nous amènera au col final, qui fait encore 150 mètres. Et là, c'est déversant, c'est exposé. À gauche, si on chute potentiellement... C'est pas bon, en tout cas. On n'a pas envie de chuter. Et en plus de ça, la météo commence à devenir complexe. Le vent d'Alaska et les froids commencent à pointer le bout de leur nez. Et on se rend compte que là, ça y est, on est rentrés dans la haute montagne.
Après, c'est peut-être huit heures d'acharnement et de tirage et de portage. On arrive sur un plateau où on devine le glacier qui est plat, qui lui va ensuite donner accès à... un autre col qui lui cette fois est glaciaire, avec une vraie ambiance alpine, très très froide, très très austère, très très glaciaire.
Et du coup, on se pose ici. On a fait à peine un kilomètre ce jour-là. Le soir, on fait un campement où on va se faire plaisir, on va se faire double ration de nourriture parce qu'on a faim, parce qu'on a vraiment posé de l'énergie. On va très rapidement et impatiemment s'endormir. Au travers de cette idée d'itinérance et d'avancer, la force, elle se trouve dans l'idée des jours qui vont venir, dans l'idée des...
des bonus, des cadeaux qui vont se présenter à nous. On a le dénalier au-dessus de nos têtes. On commence à apercevoir tout doucement le sommet. Effectivement, c'est très compliqué. Physiquement, c'est dur. Mais il y a quelque chose qui devient assez naturel.
Il y a une habitude qui se met en place. La douleur devient ton quotidien. Et en fait, le cerveau humain, il est hyper impressionnant parce qu'il va s'habituer à des situations qui peuvent être extrêmes au travers du froid, du vent, de l'hiver. Et ce qui est assez intéressant, c'est que plus c'est dur, plus c'est venté, plus c'est plaisant d'être là. Quand tu es dans une tempête à 100 km heure de vent, que tu vois à peine ton compagnon devant à une vingtaine de mètres.
qui est enmitouflé dans sa doudoune, dans son bonnet, qui a vraiment le visage totalement couvert pour se protéger du froid. Et que toi, derrière, tu tires ta luge, il y a une vraie satisfaction et un vrai sentiment de... de travail fait, d'avancement et de combativité. Et ça, ça fait vraiment du bien au moral. Après l'icefall, on arrive au pied du Kyle Tnapas.
On est autour du 11e jour. Et là, on a face à nous un mur de glace qui nous attend et une vraie problématique. Puisque le Kyle Tnapas, il est vraiment surplombé d'énormes serraques. Il y a trop de chances de prendre un...
Un énorme bout de glace sur la tronche. Et ça ne nous inspire pas du tout de passer par ici. Donc il va falloir trouver une autre option. Et pour ça, ça implique d'aller se balader un petit peu plus loin pour essayer de trouver un passage. Et du coup, finalement, on va passer par le mont Caps.
Et le Mont Caps, c'est une énorme calotte de glace. Et l'itinéraire qu'on imagine pour monter au Mont Caps, il est parsemé d'énormes crevasses. Là, ça fait 600 mètres. Et une fois de plus, on a cette problématique déluge. à tirer. Et donc là, ça implique de faire plusieurs portages. Et on fait des allers-retours. Donc ça va nous prendre potentiellement deux jours pour devoir arriver au sommet de ce mont Caps pour pouvoir ensuite basculer vers la voie normale du Denali.
¶ Météo extrême et descente périlleuse
Le premier jour, on est au courant qu'au travers de notre météorologue qui est à Chamonix, que le lendemain, le très mauvais temps arrive. Et ce mauvais temps devrait durer jusqu'à 4 jours. Donc là, on n'a pas d'autre solution que de forcer le passage le lendemain, parce qu'on ne peut pas rester de ce côté-là de la montagne. Si on laisse passer 4 jours de mauvais temps, on va se retrouver complètement coincé. Il faut avancer, on n'a pas d'autre solution. On est dos au mur.
Donc on passe une nuit plutôt agréable jusqu'à 2-3 heures du matin. Et là, le vent se met en place. C'est impossible de dormir puisque la tente fait un bruit assourdissant. Ça claque dans tous les sens. Le froid est présent de plus en plus et la pression de cette météo qui se dégrade est quand même palpable. Et puis finalement le matin se présente, le vent est très très fort.
On voit que toute la montagne est coiffée d'un énorme nuage qui est créé par le vent. Ce qui implique des vents à peut-être même plus de 120 km heure. Quelque chose de très très fort. Et du coup on fait ce dernier aller-retour. On est enmitouflé dans toutes nos couches. À peine le nez apparent, c'est tout ce qui sort. On a la tête baissée et on avance avec très peu de plaisir. On va retrouver notre barda qui est au sommet, qui est au col. Et là, il va falloir reconstruire nos luges une par une.
Individuellement, on reste dans notre bulle, concentré, on essaie d'être efficace. On est sur des vents à 120 km heure, un ressenti de froid de moins 40. C'est très très insupportable. Et par contre, la vraie interrogation, elle est... de redescendre derrière, puisqu'on est à un col, ça implique qu'il y a encore 400 mètres de dénivelé à descendre cette fois-ci. On sait que notre salut est sur le glacier en bas. On a plus ou moins pris l'information la veille que ça a l'air d'être un...
Un gros gros chantier. Quelque chose d'assez effrayant puisqu'il y a beaucoup de crevasses. On les devine et on voit que la neige est très très dure. On ne peut pas descendre à ski et nos luges, une fois de plus, doivent faire peut-être 110 kg. On n'a pas d'autre solution que de mettre en place un ancrage dans la neige qui va nous permettre plus tard de descendre les luges une par une à l'aide de la corde. Impossible à la main de pouvoir les retenir dans ces pentes, c'est trop dangereux.
On fait partir une première luge avec Alexandre Marchesso. On le voit petit à petit disparaître. Et puis, peut-être qu'à 80 mètres de distance, on le voit disparaître. En fait, on voit la tension dans la corde, ce qui implique très rapidement, et on le comprend, Alexandre vient de tomber dans une crevasse. On est incapable de pouvoir discuter avec lui, on est incapable de savoir où est-ce qu'il se situe, s'il est accroché, pas accroché.
quelle est la profondeur de la crevasse et puis très rapidement on voit Alex sa tête sortir les moustaches gelées le bonnet plein de neige et il crie crevasse crevasse Finalement, il va rester dans cette crevasse qui était très peu profonde. Il a juste cassé le pont de neige. Les crevasses, en fait, elles sont cachées par...
Par la neige et le vent qui arrivent et qui font des accumulations de neige, mais ça fait des très fines couches, des plombs très très fins qui peuvent céder sous le poids d'un homme, on fait descendre une seconde luge. Elle seule, qui arrivera tant bien que mal jusqu'à Alexandre et sa crevasse. Alex récupère la luge. On a froid, on est cuit. Ça commence à faire deux heures, deux heures et demie qu'on est sur ce col à se faire bastonner dans le vent.
qui est très insupportable. Le vent dans la capuche, quand il rentre et qu'il vient vraiment taper contre les oreilles, au bout d'un moment, c'est insupportable, c'est un supplice. On fait l'erreur de s'impatienter et on décide de faire partir deux luges, les deux dernières luges ensemble.
Ce qui implique de les accrocher un petit peu en flèche. Chacune va partir de son côté. Et en fait, naturellement, quand on fait partir ces deux luges ensemble, elles s'éloignent l'une de l'autre. Elles vont venir se retourner. Ce qui fait que ce n'est juste pas possible de laisser partir la luge de cette façon-là. Elle risque de s'ouvrir et puis surtout, ça va partir dans tous les sens. Ce sera incontrôlable. Donc là, je décide de descendre avec ces luges à pied. Je pars.
Je prends une luge dans chaque main et j'essaye tant bien que mal, avec mes crampons au pied puisque la neige est trop dure, j'essaye de m'accrocher à cette pente qui est aussi entre 40 et 45 degrés, c'est assez raide. d'essayer de maintenir deux luges de 110 kilos à bout de bras dans chaque main. C'est juste impossible. Elle continue de se retourner. Je m'énerve. Je vois que ça ne marche pas. Elias voit tout de suite que ça ne fonctionne pas et que j'ai besoin d'aide. Elias me rejoint.
Et Christophe Tricot reste en haut pour gérer justement la descente de cordes. On prend chacun une luche dans chaque main. On descend, tant bien que mal, on continue, on descend, on descend, on se rapproche d'Alexandre. Et là, on entend Alex qui essaie de nous marmonner quelque chose. Il crie, mais on n'entend pas. On n'entend mal. On n'arrive pas à discerner réellement quel est son message. On continue de descendre avec Elias. Et une luge se retourne. C'est la mienne.
¶ Chute dans une crevasse
Je retourne ma lue et quand je la dépose très légèrement sur le sol, il y a toute la montagne qui, sous nos pieds, gronde. Il y a un pont de neige qui cède sous nos pieds à Elias et moi. Je vois Elias disparaître et moi j'ai cette sensation de chute vers le bas. J'ai conscience de ce qui est en train d'arriver, on est en train de tomber dans une crevasse. J'ai le dos qui se présente en premier à la chute, en voyant chuter.
Je vois la lumière, presque qui petit à petit va disparaître. Je vois le ciel et finalement un petit peu l'image de la vie qui s'éloigne. Je n'ai aucune idée de la profondeur de l'acrobat. Je ne sais pas si il va faire 3 mètres, 6 mètres, 10 mètres, 20 mètres. 40 mètres, je m'en veux, j'ai cette conscience qu'on est en train de tomber dans une crevasse au beau milieu de l'Alaska.
Et en fait, d'un coup, tout s'arrête. C'est très calme. On n'a plus ce bruit du vent insupportable dans la capuche. Tout de suite, j'ai cette conscience que la chute vient de s'arrêter. Et là, tout de suite, j'essaie de chercher Elias. Je suis allongé, je me relève, je m'assois et je vois Elias au loin, à 400 mètres, entouré d'énormes blocs de neige. La chute a l'air de faire entre 7 et 8 mètres. Le pont de neige a cédé sur 20-25 mètres de long.
Et en largeur, on est sur une largeur de 5 à 6 mètres de large. Donc c'est quelque chose d'assez gros, avec des volumes de neige autour de nous qui sont quand même hyper importants. Les blocs de neige autour de nous font la taille... d'un rocher de 500 tonnes, quelque chose d'énorme. C'est vraiment un truc de fou parce que quand je regarde mes pieds, j'ai un bloc, je me retourne, j'ai un bloc derrière moi, sur les côtés. Elias est pareil, il est au milieu de ces blocs-là.
J'ai vraiment pleinement conscience de ce qui se passe. Je m'en veux, il y a de la peur. Je suis très très heureux d'être encore conscient, très très heureux de me rendre compte que j'ai mal nulle part. qu'Elias surtout est en face de moi et en bonne santé. Derrière Elias, je vois que c'est sombre. Et ce qui implique, quand c'est sombre comme ça, c'est que tout simplement, on est sur un pont de neige, on n'est pas au fond de la crevasse. Et ce qui implique que...
Derrière, le trou est encore plus profond, encore plus sombre. Et j'ai vraiment cette image. C'était pour moi une crevasse de dessins animés ou en tout cas de récits d'enfants. On dirait une gueule de requin avec de la glace. suspendu un petit peu de partout. C'est très, très austère. C'est très sombre. C'est très froid. L'humain n'a rien à faire ici. C'est une évidence. Très rapidement, Elias se relève. Et là, il est fou. Il est fou de colère. Il crie.
Il insulte tout le monde. Il insulte toute la planète. Parce qu'il a aussi, lui, pris conscience qu'on a dépassé cette ligne rouge, qu'on a eu très très chaud, qu'on a fait des erreurs, qu'on a été trop impatients et que ça a failli nous coûter la vie.
Et moi, je suis assez émotif à ce moment-là. Je me mets accroupi, je me mets la tête dans les mains et je verse quelques larmes. J'ai conscience réellement que là, c'était très compliqué, qu'on a failli... ça aurait pu se passer d'une façon différente en tout cas et je pense à ma famille qui en France est en train de faire toute autre chose peut-être qu'ils dorment et moi j'aurais pu disparaître à cet instant
Il y a quelque chose de très brutal, de très violent, qui te ramène à quelque chose de très... très humain, de très humble. On n'est rien face à la nature, on n'est rien face à la montagne. Et puis par la suite, les luges sont suspendues à la lèvre supérieure.
à la corde donc il va falloir accepter de les faire descendre et de passer du temps dans cette crevasse donc on met des broches à glace sur les côtés de la crevasse pour se mettre en sécurité puisqu'on est sur un pont de neige à nouveau et le seul moyen de faire sortir Ces luges de la crevasse, c'est de les vider puisqu'elles sont trop lourdes. Donc on va devoir passer une heure et demie, peut-être deux heures, à vider ces deux luges et faire sortir petit à petit le matériel qu'il y a dedans.
pour pouvoir les reconstruire à nouveau, les repaquer à l'extérieur de la crevasse, en escaladant de bloc en bloc, de pouvoir sortir de cette crevasse assez sereinement, tout en s'assurant, puisqu'on est toujours... accroché des broches à glace ou assuré par Alexandre et Christophe. On sort de cette crevasse après une heure et demie ou deux heures de temps, enfin, de ce piège de glace. Et il y a encore 150 mètres de dénivelé à faire. Ça implique aussi...
tout de suite passer à autre chose, on en discutera plus tard. On est toujours dans la même pente, ce qui implique qu'il y a toujours des crevasses en dessous de nous. Et tant bien que mal, en prenant le temps, en essayant de déchiffrer la montagne, en faisant abstraction de ce qui vient de se passer, on va...
en essayant d'être en plus sécurité possible, en prenant soin les uns des autres, en regardant au millimètre près ce que fait l'ouvreur de la pente, celui qui va partir en premier, puis essayer de passer précisément sur sa trace, prendre les informations. Et puis c'est comme ça que, peut-être deux heures plus tard, on a la chance de se retrouver enfin sur le glacier du Denali et de cette voie normale, notre salut.
¶ Réflexions post-crevasse et isolement
Après l'épisode de la crevasse, ça a été quelque chose d'assez lourd puisqu'on a eu quatre jours de mauvais temps cloîtrés dans la tente avec des vents toujours terribles à l'extérieur où on pouvait à peine sortir. Aller aux toilettes, c'était vraiment une mission horrible et abominable. On essayait de rester le moins longtemps possible à l'extérieur. Et pendant ces quatre jours, on a eu le temps d'échanger, chacun de réfléchir dans notre coin. À un moment donné, on échange.
Et on se dit, mais là, rendez-vous compte quand même que si ça avait voulu se passer très très mal, qu'on avait eu potentiellement la chance de sortir le corps d'un des de nous quatre, et bien potentiellement, il serait à l'extérieur de la tente. à attendre que ces quatre jours passent pour qu'on puisse ensuite l'amener au camp de base du Denali, là où des avions viennent de temps en temps. Ou encore que potentiellement...
Il y aurait un de nous deux qui serait encore là-haut dans la crevasse et qui serait peut-être resté. Ça nous a tous mis vraiment une vraie claque. C'est un vrai, vrai point que tu fais seul. Qu'est-ce que je fais là ? Est-ce que j'ai envie d'être là ? Pourquoi je suis là ? Pourquoi j'aime la montagne ?
Quel est le sens de tout ça ? Les réponses reviennent très rapidement et c'est juste que c'est quelque chose de viscéral et c'est notre vie. C'est ce qu'on aime et il y a une acceptation de tous ces risques et de l'élément. Ça fait partie de la montagne. Et sur 50 jours, bien évidemment, il va falloir s'attendre à avoir encore d'autres expériences de ce genre-là.
¶ Préparation de l'ascension du Denali
Quatre jours après ce mauvais temps, on va se diriger tout doucement vers le Denali. On arrive au camp de base et on met tout en place. On fait une cache où, dans cette cache, on vient creuser dans la neige pour mettre tout notre barda. Et on conserve avec nous que ce dont on va avoir besoin pour l'ascension du Denali. Ce qui implique 5 à 6 jours de vivre et tout notre matériel d'alpinisme et notre matériel de ski. Le Denali, il y a 4 camps.
pour arriver au sommet, camp 1, camp 2, camp 3, camp 4, avec des altitudes différentes. Le dernier camp, le camp 4, se situe à 5200 mètres, soit 1000 mètres sous le sommet. Et donc là, ce qu'il faut prendre en compte, c'est que... Pour aller à 6002, on va avoir besoin de s'acclimater. S'acclimater, c'est quoi ? C'est ce qui nous permet de créer des globules pour pouvoir s'adapter au manque d'oxygène en altitude.
Et l'acclimatation, elle implique d'être patient à nouveau. Ça se fait entre 4 et 6 jours. Et là, on va essayer d'être assez rapide puisque les créneaux météo ne sont pas... Il n'y en a pas des tonnes cette année, il fait très très mauvais. Du coup, on va essayer d'être assez efficace. On monte en deux jours au camp 3.
où là déjà, en termes d'altitude, on est peut-être à 4900. On commence l'ascension et on commence doucement à s'élever. Et le fait d'être au camp 3, ici, tous les quatre, il n'y a personne, la saison n'a pas encore commencé. Le Denali, en haute saison, il y a... Il y a 3 à 400 tentes qui se trouvent au camp 3. Et nous, on est 2 ou 3 tentes à peine, même pas. Et il y a les Rangers qui arrivent pour mettre en place la saison. Donc on a aussi cette chance de vivre le Denali isolé et seul.
dans des conditions hivernales, avec un ciel magnifique et toujours ces vents qui sont là et qui viennent frapper les montagnes autour de nous. Mais du coup, petit à petit, on va accepter de monter doucement, après avoir accepté de passer... Deux jours à 4800, 4900 mètres. On va monter à ce camp 4, 5200 mètres. Là-haut, on décidera de passer une nuit. Puis ensuite, l'objectif sera d'aller au sommet, enfin.
Et du coup, à ces altitudes, c'est assez impressionnant et fort, parce que tu vois passer des avions de ligne à certaines distances, mais qui sont à la même hauteur que nous. On a l'impression d'être des cosmonautes, on a l'impression d'être sur un nuage.
On est vraiment en train de camper et de grimper un nuage. Et ces deux montagnes, elles sortent vraiment du lot. Elles sont vraiment beaucoup plus grosses que tout ce qui se trouve en bas et tout ce qui se trouve dans ce secteur et dans ce massif.
¶ Ascension et sommet du Denali
Du coup, il y a une vraie sensation de grimper dans le ciel, de s'élever vers l'espace et c'est hyper puissant. Le jour de l'ascension, Elias a été devant. Il a vraiment mené l'ascension. C'est une voie normale. Par contre, il y a l'altitude. Donc moi, je suis déjà dans un état un petit peu de défonce avancée avec l'altitude, quelque chose de très très fort, avec des maux de tête, doucement des nausées qui se mettent en place.
Et une fatigue très très importante. Je fais deux à trois pas et j'ai besoin de poser un genou à terre. J'ai besoin de souffler, j'ai besoin de reprendre mon souffle. Et du coup après je repars, je me bats contre mes pensées, je me bats contre les douleurs qui sont importantes. Et je me relève. Et je regarde Elias devant moi, Alexandre, et je me remets en marche. Moi, je suis un peu à l'envers, là. Et Christophe aussi, la veille, avait été malade. Mais du coup, voilà, on connaît, on sait que...
Ce sont des symptômes classiques et normaux de l'altitude. Et tant que ça va, tant que j'arrive à réfléchir, j'avance. Avec de la patience et beaucoup de persévérance. J'arrive sur cette arête sommitale du Denali. Elias, il est au loin, devant, il est arrivé il y a une dizaine, quinzaine de minutes au sommet. Je vois Alexandre qui est en train de marcher sur l'arête, qui arrive tout près d'Elias.
Et là, je prends conscience à 200% qu'on va arriver au sommet, tous les quatre, on va le faire. Et j'arrive au sommet. Et je m'effondre, je me mets à genoux, je souffle, j'ai besoin de souffler, j'ai besoin de respirer. Je suis vraiment comme un poisson qu'on a sorti d'un aquarium. Et c'est vraiment difficile, malgré l'effort. et les méfaits de l'altitude. Mais ça reste un endroit de la planète qui est très unique et magnifique, avec une bouffée d'amour, de partage et de chance aussi.
Et donc, petit à petit, au bout de cinq minutes, j'arrive tout doucement à me reposer, à me recentrer sur moi-même. Et j'ouvre grand les yeux et je vois ces étendues juste magnifiques et insensées avec le fort à cœur au loin. Tout l'accès qu'on a eu depuis le Nord au travers des rivières, qui est à 50 km, c'est très très loin. Et surtout, on commence à deviner la fin du voyage au travers des prochaines moraines, des prochains glaciers.
Puis des rivières, on voit ces rivières qui s'enfoncent dans des plaines à des centaines de kilomètres. Et on devine à peine au loin, on essaie de s'imaginer l'océan qui nous attend, quelques 250 kilomètres plus loin.
Le fait d'être là, dans le ciel d'Alaska, voir aussi ce qu'on a parcouru, voir ce qu'il nous reste à parcourir, c'est très très fort. Une fois de plus, c'est quelque chose qui va nous élever et qui va nous apprendre à savourer l'instant T. Donc c'est très très impressionnant et c'est très émouvant.
Mais malgré tout, ce qui va vraiment me faire du bien, et c'est incroyable, c'est qu'au moment où je chausse mes skis, enfin j'arrive à respirer, enfin je suis à ma place, et enfin l'altitude n'a plus d'effet sur mon corps et sur mon moral.
¶ La descente mythique de l'Orient Express
Et c'est comme ça que petit à petit, on descend tous les quatre. Ce premier mur de 200 mètres qui est en très bonne neige, poudreuse, neige froide. C'est super. On crie, on rigole, on sourit. Et on arrive au bout de ce long plateau. Et là, il y a quand même un vrai état de fatigue. On décide de s'arrêter un petit peu. On va s'arrêter une demi-heure. On va faire de l'eau parce qu'on n'a plus d'eau. On a faim, on a soif.
Donc on recharge les batteries et je vais même me permettre de faire une sieste de 25, 20 minutes, qui va vraiment me faire du bien. Et puis après tout ça, une fois qu'on s'est refait la santé... C'est le moment de plonger et de rentrer dans ce grand couloir, l'Orient Express. On avait la volonté d'ouvrir un nouvel itinéraire sur le Denali.
Là, cette année, on est un petit peu tôt, mais du coup, ça implique que les montagnes en altitude, elles sont battues par les vents. La neige est très dure, voire glacée. Donc, ça implique tout simplement de renoncer à cette ouverture ou à cette envie d'aller sur un autre versant.
On va partir sur une autre descente, sur un couloir qui est gigantesque, qui est le plus gros que j'ai jamais vu, qui s'appelle l'Orient Express. C'est un couloir de 2000 mètres de dénivelé, une inclinaison moyenne de 45 degrés de pente, et qui donne, lui... face à ce Montfort à cœur. On est tous très heureux d'être là et enfin de réaliser ce premier rêve qu'on voit depuis une vingtaine de jours maintenant. Et on est en train de le réaliser.
On plonge doucement dans ce torrent express, je rentre en premier. La neige étant complexe, j'essaie de déchiffrer un petit peu la neige, de déchiffrer le passage, d'essayer d'être le plus malin possible pour faciliter la tâche à tout le monde. et de descendre en sécurité. C'est un couloir très large. Donc il fait 2000 mètres de haut, en dénivelé, mais il fait jusqu'à 150 mètres de large. C'est un énorme toboggan.
qui plonge vers le bas, assez vertigineux, où on devine peut-être 4000 mètres plus bas, les glaciers en bas avec le camp de base, là où on est passé. Et c'est assez irréel d'être là après tant d'efforts, tant de difficultés. Vu que la neige est complexe, on a vraiment besoin de lire le terrain avant de décider et de s'engager dans un passage ou un autre. On arrive à profiter de cette chance qu'on a d'être ici et de descendre du ciel. Quand ça fait 20 jours que tu tires...
Ton fardeau de 110 kilos et qu'enfin t'es libre avec tes skis au pied et que tu glisses sur la plus grosse montagne d'Amérique du Nord, c'est inestimable. Moi, le rapport au plaisir et ces heures de souffrance, ces jours de souffrance et ces semaines même de souffrance face à une descente qui dure deux heures et demie, trois heures, pour moi, c'est quelque chose qui a énormément de valeur.
Parce que c'est ce qui permet de vivre à 1500% l'instant T. Ce rêve que tu as imaginé pendant des semaines, voire des mois et des années. Et en fait, de pouvoir se tenir enfin ici, dans ce rêve éveillé, de réaliser quelque chose qui était très profond, très ancré, très viscéral. Peu importe le temps que ça dure, d'être juste simplement là.
Pour ces quelques virages que tu as imaginés, c'est inestimable. Et pour moi, plus c'est dur, plus c'est long. Et en fait, plus l'expérience va être magnifique et plus l'expérience va être rarissime et unique. C'est des bijoux et c'est quelque chose qui n'existe pas. au quotidien. Donc au travers de ces énormes difficultés et toutes ces embûches, le fait de pouvoir partager ça avec des amis sur une montagne magnifique et avec un...
une lumière qui est dingue et une perspective folle, c'est une chance inouïe. Donc bien évidemment que ces courts instants sont les plus importants de mon existence. En face de nous, on a la vue du Montfort à cœur, qui est l'objectif suivant, qui est gigantesque, qui est encore plus engagé que le Denali, puisqu'il n'y a jamais personne ou très très peu de personnes qui vont dessus, encore moins à ski.
On profite de cet instant tout en se laissant rêver de la suite et des prochains jours et des prochaines semaines qui nous attendent. De cette descente, j'ai les larmes qui me viennent aux yeux. Et en fait... d'avoir la chance de réaliser ses rêves avec des gens avec qui on partage beaucoup d'amour et beaucoup de moments forts. Effectivement, c'est quelque chose que je vais rechercher et c'est ce que j'aime le plus.
Le fait d'avoir une chance unique, d'apercevoir et de regarder des montagnes, des sommets, des couleurs, d'avoir la chance de vivre ça dans sa vie, c'est quelque chose qui, effectivement, j'essaie d'y prêter attention tous les jours, j'essaie de me rendre compte de la chance que j'ai.
¶ Leçons tirées de l'Alaska sauvage
Dès que j'ai l'occasion de me laisser partir et de laisser les émotions monter, je le fais grand plaisir. Ce voyage a changé ma vie. Il a complètement changé ma perception de la vie, la perception des émotions. Ce que j'aime bien imager, c'est que je suis parti avec une trousse d'émotions et je suis revenu avec un sac de voyage de 90 litres. Et du coup après quand même ça m'a appris aussi à ne pas comparer et à toujours rester enfantin dans mes rêves, dans mes envies.
et d'essayer de profiter de chaque jour et de chaque instant peu importe la difficulté ou non de l'itinéraire, de la descente ou de la sortie en montagne. Et de trouver dans chaque petit instant un moment de plaisir, un moment de bonheur. Et si c'est pas le cas, c'est pas grave. Il y a aussi des moments qui sont difficiles, qui sont pas marrants. Accepter sa tristesse, accepter sa colère. C'est vraiment ça que m'a appris l'Alaska. Et du coup...
Jusqu'à six mois après le retour du voyage, j'étais complètement perdu. Parce qu'en fait, j'avais qu'une envie, c'était d'être replongé dans cet univers sauvage de glace, de froid et de nature. Tout simplement, on était à notre place d'animaux.
¶ Suite de l'expédition et film
Et c'était juste fantastique. Après le Dénali, Aurélien et ses compagnons ont enchaîné avec l'ascension du Mont Foraker. Ils ont ensuite traversé les vastes étendues sauvages d'Alaska avant de remonter les rivières en canoë jusqu'à atteindre l'océan. Cette expédition est racontée dans le film Les Jours Sauvages.
qui retrace cette traversée en autonomie à travers l'Alaska. Un récit d'aventure où l'effort, l'amitié et la beauté brute composent une immersion rare au cœur du Grand Nord. Merci à Aurélien de nous avoir partagé ce récit. Les Baladeurs est un podcast du Média Les Hothers. Cet épisode a été réalisé par Thomas Fir, accompagné par Inès Cochard.
Le récit a été présenté par Clément Saccar. La musique est composée par Nicolas Deferrand. Chloé Vibaud s'est assurée du montage et Antoine Martin du studio Crispy Records du mixage. A bientôt !