Tensions France-Algérie: «Le point de non-retour est coûteux pour les deux présidents»
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Va-t-on vers une médiation de l'Italie pour réconcilier l'Algérie et la France ? C'est ce que croit savoir notre Grand invité Afrique ce matin. Entre Alger et Paris, les relations sont totalement gelées depuis la mi-avril 2025. La crise s'est encore aggravée ces derniers jours, avec les expulsions croisées de fonctionnaires français par Alger et de fonctionnaires algériens par Paris. Mais les deux pays ne semblent pas vouloir aller jusqu'à la rupture. Pourquoi ? À Genève, Hasni Abidi est directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Entre la France et l'Algérie, l'accalmie n'a duré que deux semaines. Pourquoi la relation est elle aussi instable entre ces deux pays ?
Hasni Abidi : Parce que les éléments de discorde, de divergences sont beaucoup plus profonds que la volonté des deux chefs d'États de renouer le dialogue et de reprendre la parole, surtout du côté français qui était très attendu par le président algérien.
L'Algérie accuse le ministre français de l'Intérieur, Bruno Retailleau, « de barbouzerie à des fins purement personnelles ». Est-ce que Alger joue Barrot contre Retailleau, le ministre des Affaires étrangères contre le ministre de l'Intérieur ?
Oui, la ligne algérienne est claire. Elle s'oppose à tout rôle dans le dossier algérien donné au ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, pour des raisons d'abord de ligne idéologique du ministre de l'Intérieur et parce que Alger pense que Bruno Retailleau utilise la carte algérienne, les relations franco-algériennes à des fins politiques électoralistes et que l'Algérie ne veut pas cautionner cet usage politique de la relation algérienne par le ministre de l'Intérieur. Vous avez vu, plusieurs indicateurs montrent finalement que les services algériens, par exemple, collaborent d'une manière inconditionnelle avec les services de sécurité extérieurs, mais pas les services qui sont sous le contrôle du ministre de l'Intérieur. Ce n'est pas un rejet total, mais un rejet, en quelque sorte, de la récupération faite selon Alger par le ministre de l'Intérieur.
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Côté algérien, est-ce qu'il y a aussi d'éventuelles divisions sur la question française ? Le président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale française, Bruno Fuchs, dit que la position algérienne n'est pas homogène…
C'est très difficile d'analyser de l'intérieur. Donc, je félicite Bruno Fuchs d'avoir cette analyse, mais je ne la partage pas parce que, de l'extérieur, il est très difficile aujourd'hui de trouver vraiment des failles au sein des autorités algériennes, entre civils et militaires, dans les relations avec Paris.
Alors, le point de départ de cette dernière crise, particulièrement grave, c'est la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, c'était en juillet dernier. Mais on ne voit pas pourquoi la France changerait de cap. Est-ce que du coup, cette crise peut durer dix ou vingt ans ?
Non, ce n'est pas une crise fataliste. Sur la question du Sahara occidental, il y a eu des discussions importantes et je peux vous dire que, avant cette crise consulaire concernant les agents français et algériens, le ministre des Affaires étrangères était attendu à Paris, le ministre algérien, Monsieur Attaf… Bien sûr, pour répondre à la visite effectuée par Jean-Noël Barrot. Malheureusement, les développements ont fait que cette visite soit annulée, mais il n'est pas du tout exclu que les relations reprennent. Je peux vous dire aussi qu'il y a des médiations, et notamment Rome qui veut absolument jouer un rôle de médiateur important et accepté par les deux parties.
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Donc, pour vous, même si les deux régimes s'envoient à la figure des expulsions de hauts fonctionnaires et de diplomates, il n'y aura pas de rupture ?
La rupture totale, je veux dire le point de non-retour, est coûteux pour les deux présidents. Mais il est clair qu'il y a des décisions à prendre. C'est-à-dire qu’Alger attend que certains consuls nommés soient accrédités, ça, c'est un élément aussi à voir. La question bien sûr du renvoi, il faut arrêter cette spirale, elle n'est pas du tout bonne pour le bon fonctionnement des relations. Cette situation, elle permet en quelque sorte la reprise ou la possibilité d'une reprise de dialogue. Parce que, au sein des autorités algériennes, on sent bien qu'il y a une volonté de contenir les conséquences de cette crise et finalement plutôt de parler seulement d'un désaccord profond avec le ministre français de l'Intérieur.
Et vous dites que la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, essaye de faire médiation, c'est ça ?
Giorgia Meloni est prête et il y avait même des discussions, l'Italie joue un rôle important. Elle est devenue un interlocuteur privilégié pour l'Algérie. Et bien sûr, l'Italie aussi, Giorgia Meloni a de bonnes relations avec le président Macron. Donc c'est l'Italie qui est bien placée pour jouer en quelque sorte le rapprochement. Elle peut tout à fait organiser cela lors d'une réunion économique ou dans le cadre du G20 ou un autre cadre, inviter les deux présidents. Et moi, je pense qu'une rencontre de haut niveau entre les deux chefs d'État s'impose dans les conditions actuelles.
Entre les présidents Macron et Tebboune ?
Entre le président Macron et le président Tebboune. Oui, en Italie, c'est une option et une hypothèse à soutenir et à encourager.