Sénégal: le FMI pourrait «donner une dérogation» ou demander un «remboursement», dit Edward Gemayel
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Le Fonds monétaire international (FMI) affirme qu'entre 2019 et 2024, une dette d’un montant de 7 milliards de dollars environ a été « cachée » par le Sénégal de l'exp-président Macky Sall. Cela confirme les conclusions du rapport de la Cour des comptes pointant une dette sous-évaluée et des manquements dans la gestion des finances du pays. En visite à Dakar, alors que le programme d'aide du FMI au pays est suspendu depuis ces révélations, le chef de mission du FMI pour le Sénégal, Edward Gemayel, s'est entretenu avec notre correspondante Léa-Lisa Westerhoff.
RFI : Edward Gemayel, vous avez conduit la délégation du FMI à Dakar cette semaine, quel est l'objectif de cette visite ?
Edward Gemayel : en effet, ça fait une semaine qu'on est à Dakar, c'est une mission à caractère un peu spécial, suite à la publication du rapport de la Cour des comptes à la mi-février. Nous sommes venus à Dakar pour discuter avec les autorités du contenu du rapport, notamment ce qui s'est passé en termes de dette pendant l'ancienne administration, comment cette dette s'est accumulée sans être divulguée. Et, troisièmement, quelles sont les mesures et les réformes que les autorités souhaitent prendre dans les semaines, mois et années à venir, afin d'éviter qu'une situation similaire ne se reproduise ?
Selon le document publié par la Cour le 12 février dernier, les comptes initialement arrêtés en décembre 2023 faisaient état d'une dette publique sénégalaise qui était à plus de 70 % du PIB, finalement sous-estimée, puisque dans son audit, la Cour des comptes parle d'une dette à près de 100 % du PIB. En êtes-vous arrivé à la même conclusion que les autorités actuelles, à savoir que l'administration précédente a délibérément menti aux partenaires financiers du pays, au sujet de l'état économique du pays ?
Comme le rapport de la Cour des comptes le dit très clairement, il y a eu une décision qui était très consciente de sous-estimer ce stock de la dette pendant les années précédentes. Donc, on est d'accord avec la conclusion du rapport de la Cour des comptes.
Donc, on peut parler de mensonge ?
Il y a une sous-estimation. Donc, il y a une partie de la dette qui a été cachée. Et ceci a permis aux autorités de pouvoir s'endetter plus sur les marchés, de donner un signal plus positif aux marchés financiers et aussi de pouvoir s'endetter à des taux plus favorables que ce que ces taux auraient été si la dette était plus élevée.
Des sources parlent de 7 milliards de dollars qui auraient été détournés. Vous confirmez ?
25 % du PIB. C'est à peu près 6, 7 milliards de dollars. Je ne dirai pas détournés. C'est un endettement qui n'a pas été dévoilé. Et donc, le stock de la dette a été sous-estimé d’à peu près ce montant de 7 milliards de dollars.
C'est un chiffre gigantesque. Dans ces conditions, le Fonds Monétaire International peut-il continuer à prêter de l'argent au Sénégal, comme le demandent les nouvelles autorités ?
c'est pour ça, la première étape dans les semaines qui viennent, c'est de pouvoir déterminer ce qui s'est passé, comment ça s'est passé et quelles sont les mesures que nos autorités vont prendre afin d'éviter ceci, de se répéter dans le futur. Une fois que nous avons tout ceci, nous allons présenter, soumettre un dossier au conseil d'administration du FMI. Le Conseil a deux choix soit il va donner une dérogation aux autorités, une dérogation de ne pas rembourser le FMI, des décaissements qui ont eu lieu dans le passé sur la base de données erronées, en contrepartie de mesures correctrices. Et le deuxième choix, c'est de demander au Sénégal de rembourser le FMI sur ce qui a été décaissé sur base de fausses données. Mais si ce n'est pas nous qui décidons, c'est une décision que le conseil d'administration éventuellement devrait prendre dans les semaines à venir.
Le rapport de la Cour des comptes relève des manquements graves qui pourraient revêtir diverses qualifications pénales, dont des faux en écriture, détournement de deniers publics, blanchiment d'argent et enrichissement illicite. Selon le ministre de la Justice, est-ce que vos experts sont arrivés à la même conclusion ?
On a eu des discussions avec les autorités, y compris avec le ministère, le ministre de la Justice qui a confirmé ceci. C'est le rôle du ministère de la Justice et de la Justice sénégalaise de poursuivre ces faits.
Mais est-ce que vous les qualifiez de la même façon ?
Il faut laisser la justice prendre son cours et les investigations vont prendre leur cours. Et puis ceci va déterminer si ces faits ont eu lieu ou pas lieu.
En tout cas, on peut parler de manquements graves ?
Il y a eu certains manquements. Absolument.
En 2016, le FMI avait suspendu ses financements au Mozambique après la découverte d'un milliard de dollars de prêts cachés. Est-ce qu'il est possible que le FMI fasse de même avec le Sénégal ?
Pour le moment, le programme avec le FMI est suspendu, afin de résoudre la question de la fausse déclaration de données. Une fois que notre conseil d'administration va statuer sur cette affaire, à ce moment-là, on pourra reprendre les discussions sur un programme.
Ce qui veut dire qu'à ce jour, le Sénégal qui est en quête de liquidité et qui demande au Fonds Monétaire International de reprendre le prêt qu'il a entamé avec lui, à ce jour, vous n'êtes pas encore en mesure de dire si ça va reprendre ou non ?
Jusqu'à ce jour, on n'est pas en situation parce qu'on doit résoudre le problème des fausses données. Mais ce que je peux dire, c'est qu'on est en train d'avancer le plus vite possible afin de mettre ce dossier derrière nous et de pouvoir entamer des relations financières avec les autorités sénégalaises.
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La visite de la délégation du FMI se termine le 26 mars.