Mali: «S’ils ne se mobilisent pas, les partis vont participer à leur propre enterrement»
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Au Mali, ce jeudi est un 1er-Mai pas comme les autres, car depuis mardi, on sait que le régime militaire du général Assimi Goïta envisage publiquement de se maintenir au pouvoir sans élections pendant au moins 5 ans et qu'il projette de dissoudre tous les partis politiques. Comment vont réagir ces partis ? Et en ce 1er-Mai, vont-ils pouvoir compter sur la solidarité des grands syndicats du pays ? Le sociologue malien Mohamed Amara a publié Marchands d'angoisse, le Mali tel qu'il est et tel qu'il pourrait être, aux éditions Grandvaux. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Mohamed Amara, bonjour,
Mohamed Amara : bonjour.
La concertation nationale qui propose de dissoudre tous les partis politiques et qui recommande que le général Assimi Goïta soit nommé président pour cinq ans, est-ce que c'est un tournant ?
Bien sûr que c'est un tournant. C'est une nouvelle épreuve pour le Mali de voir, après 30 ans de démocratie, qu’une autorité de transition décide de dissoudre les partis politiques d'une part, et d'autre part de proposer de nommer le président de transition en tant que président de la République. C'est une première dans l'histoire du Mali contemporain.
Et vous pensez que beaucoup de Maliens vont faire le parallèle entre aujourd'hui et l'époque du régime militaire du général Moussa Traoré, de 1968 à 1991 ?
Je pense que le parallèle est quasiment fait, du fait de tous les mouvements de résistance qui commencent à se mettre en branle, qui dénoncent ces recommandations et du fait de l'ensemble des partis politiques. J'espère qu'ils vont se mobiliser parce que, s'ils ne se mobilisent pas d'une façon ou d'une autre, ils participent à leur propre enterrement, ce qui n'est bon ni pour la démocratie malienne ni pour l'héritage de ce qui a été légué par les Modibo Keïta, par les Alpha Oumar Konaré et j'en passe. Donc, j'espère qu'ils vont se mobiliser pour dénoncer cette confiscation du pouvoir.
Et c'est tout l'enjeu des mobilisations à venir, s'il y en a, ou des stratégies de rejet de cette dissolution des partis politiques, qui sont inscrits dans la Constitution. Même dans la Constitution qui a été votée en 2023, où on a dit que le multipartisme, comme les mandats du président, sont des points qui ne sont pas modifiables, ne sont pas révisables.
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Alors aujourd'hui, c'est le 1er mai, donc le jour des syndicats dans le monde entier. Au Mali, on sait qu'ils ont joué un grand rôle, notamment lors de la révolution de 1991 qui a mis fin au régime militaire de Moussa Traoré. Mais à présent, est-ce qu'ils ont encore une influence sur le cours politique des choses au Mali ?
Évidemment, les syndicats sont un rempart important contre les dérives autoritaires du régime, qu'il s'agisse d'un régime militaire ou démocratique. Et vous avez parfaitement raison que dans les années 1990, l'Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) a été un des acteurs principaux de la lutte contre les dérives du régime dictatorial de Moussa Traoré. Et ce rôle-là, cette place-là, il me semble que les syndicats l'ont toujours.
La seule différence entre les années 1990 et aujourd'hui, c'est que le responsable principal de la centrale syndicale UNTM est aujourd'hui le président du Conseil économique et social, une des institutions importantes de la République du Mali. Et ça, c'est une faiblesse, une fragilité aujourd'hui pour le monde syndical au Mali.
Donc la double casquette de Yacouba Katilé, qui est à la fois le secrétaire général du syndicat majoritaire et le président du Conseil économique, social et culturel, brouille son image et affaiblit peut-être le poids de l'UNTM face au pouvoir politique ?
Cela brouille son image et impacte effectivement la capacité de mobilisation du monde syndical pour tout mouvement de résistance, malheureusement. Toujours est-il que je crois à la force du monde syndical. Parce que rappelez-vous, par exemple, que le Syndicat national des banques, assurances, microfinance (Synabef), etc. a réussi à obtenir la libération de deux de ses membres de la banque Ecobank. C'était à la mi-avril. Et si demain, il y a une convergence des luttes, ça ne peut venir que des liens entre le monde syndical et le monde politique, comme ce qu'on a connu dans les années 1990.
En Pologne, il y a 45 ans, c'est le syndicat Solidarnosc de Lech Wałęsa qui a lancé le mouvement de protestation contre le régime du général Jaruzelski. Dans le Mali d'aujourd'hui, est-ce que l'UNTM de Yacouba Katilé pourrait jouer un rôle similaire ou non ?
Tout dépendra de comment les rapports de force évolueront. Effectivement, il y a le syndicat que vous rappelez, celui de Lech Wałęsa en Pologne dans les années 1980. Mais rappelez-vous déjà que, en 1990, l’UNTM à la Bourse du travail était aux premières loges et mobilisait. Et je pense que cela est possible aujourd'hui, au Mali, s'il y a un vrai conflit socio-politique qui s'ouvre entre le pouvoir actuel et les mouvements syndicaux, politiques et associatifs.
Mohamed Amara, merci.
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