Mali: «On est dans une véritable dictature aujourd'hui, le droit est anéanti» - podcast episode cover

Mali: «On est dans une véritable dictature aujourd'hui, le droit est anéanti»

May 14, 20256 min
--:--
--:--
Listen in podcast apps:
Metacast
Spotify
Youtube
RSS

Episode description

Au Mali, le régime militaire du général Goïta supprime les partis politiques. Ce mardi 13 mai au soir, un ministre a lu, à la télévision, un décret présidentiel qui dissout tous les partis politiques. Cette annonce tombe au moment où le chef de la junte malienne veut se faire proclamer président de la République pour cinq ans, sans passer par des élections. Réaction de l'avocat Mamadou Ismaïla Konaté, qui a été ministre malien de la Justice et garde des Sceaux. Aujourd'hui, il est inscrit au barreau du Mali et au barreau de Paris. Maître Konaté répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Êtes-vous êtes surpris par la décision de dissoudre les partis politiques ?

Mamadou Ismaïla Konaté : Une décision au forceps d'un régime militaire de transition ne surprend guère. Ceci d'autant plus qu’on l'a vu arriver. Ceux qui avaient encore le moindre doute doivent ouvrir les yeux et les oreilles et comprendre simplement que nous sommes dans le contexte du Chili de 1973 d’Augusto Pinochet.

Alors pourquoi cette décision du général Assimi Goïta, que vous comparez au général Pinochet ? Est-ce que c'est pour pouvoir se faire proclamer, dans quelques jours peut-être, président pour un mandat de cinq ans sans passer par la case des élections ?

Il a louvoyé dans le vœu d'être comme ses autres homologues dans le cadre de l’AES, c’est-à-dire d’être déclaré président de la République sans jamais passer par une élection. Je pense que, après le tour de table qui lui a permis justement de prendre contact avec la justice constitutionnelle, un certain nombre de juristes, pour savoir s'il pouvait aller avec son képi, ses galons et sa tenue comme candidat à la présidence de la République, je pense qu'il en a été dissuadé. Au point que, aujourd'hui, il a anéanti les partis politiques qui étaient les seuls acteurs politiques qui pouvaient vraiment le gêner. Là, aujourd'hui, il a le vent en poupe. Il a dégagé l'arène, il peut tout dire, tout se proclamer et se prendre pour tout ce qu'il n'est pas.

Alors, vous dites que son modèle, c'est le général chilien Augusto Pinochet en 1973. Est-ce que ce n'est pas aussi le général malien Moussa Traoré qui a putsché en 1968 et qui a tenu le pouvoir pendant 23 ans ?

Oui, mais le parallèle qui me vient à l'esprit, c'est quand même le général Pinochet, qui a renversé dans les mêmes conditions un régime légal, pour s’installer au pouvoir. Et sa démarche a consisté à saccager les institutions, à anéantir les libertés, à bannir les droits. Les partis politiques ont disparu, toute la vie politique a disparu. Et de ce point de vue-là, je pense que l'équivalent du général Assimi Goïta, c'est quand même Pinochet dans sa démarche d'anéantissement de l'État de droit, dans sa démarche justement de mépris de la démocratie et des démocrates. Il ne faut pas oublier que le 26 mars, dans ce pays, il y a eu du sang. Et le 26 mars, c'est quand même le point de départ d'un système de démocratie qui est l'option fondamentale du Mali et des Maliens, qu'aucune force vive ne peut venir aujourd'hui anéantir. Les Maliens doivent ouvrir les yeux, comprendre qu’on est dans une véritable dictature aujourd'hui et que le droit est anéanti. Ce n’est que la force militaire, la baïonnette, qui va désormais parler.

À lire aussiMali: les partis politiques sont officiellement dissous

Oui, vous faites allusion au 26 mars 1991, le jour où la révolution malienne a fait tomber le régime militaire de Moussa Traoré. Mais est-ce que ce général, qui a gouverné 23 ans d'une main de fer, n'est pas le modèle d’Assimi Goïta ?

S'il le prend pour modèle, à mon avis, il se trompe parce que les époques ne sont pas les mêmes. L'option de la démocratie est définitivement faite par le Mali et par les Maliens.

Le 3 mai dernier, pour la première fois depuis l'arrivée au pouvoir des militaires, des centaines de Maliens ont défilé dans les rues de Bamako au cri de « Vive la démocratie ! », « À bas la dictature ! ». Est-ce que ce sont les prémices d'un réveil démocratique ?

Ce sont des prémices et des prémices qui sont quand même indicateurs de la suite. Ça ne s'est pas passé qu'à Bamako. Dans plusieurs autres villes et localités du Mali, les gens ont pris conscience que cet ordre militaire ne pourrait pas s'imposer pendant très longtemps. Et j'estime simplement que ce qui vient de se passer est un tour de vis qui va encore davantage faire prendre conscience du danger, notamment chez les jeunes, chez les femmes. Et tous ceux qui sont épris de paix et de démocratie se disent aujourd'hui que le Mali est en danger.

Oui, mais est-ce que le général Goïta ne dispose pas de la police, de l'armée, d'une machine qui peut réprimer et faire peur ?

Avant lui, on en a vu d'autres, après lui, on en verra d'autres. S'il a les moyens d'exterminer 22 millions de Maliens, alors là, il décidera que l'autorité militaire doit s'imposer au détriment de la démocratie, au détriment de la liberté.

Mais vous ne craignez pas une vague de répression à présent ?

C'est le prix à payer, justement, lorsqu'on est en quête de droits, en quête de loi, en quête de démocratie. C’est le prix à payer face à une institution militaire comme celle-ci, qui viole le serment militaire, qui viole le règlement militaire, qui ne connait plus la doctrine militaire. Bien évidemment, ils peuvent prendre le risque de tirer sur les gens, mais cela se terminera contre leur gré et ce sont eux qui en paieront le prix.

À lire aussiMali: l'inédite contestation de la transition du 3-4 mai peut-elle se poursuivre?

For the best experience, listen in Metacast app for iOS or Android
Open in Metacast
Mali: «On est dans une véritable dictature aujourd'hui, le droit est anéanti» | Le grand invité Afrique podcast - Listen or read transcript on Metacast