Libye: «La famille Haftar est beaucoup plus puissante qu’en 2019» - podcast episode cover

Libye: «La famille Haftar est beaucoup plus puissante qu’en 2019»

May 26, 20258 min
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En Libye, le gouvernement d'Abdelhamid Dbeibah fait face au mécontentement de nombreux habitants de Tripoli. Des centaines d'entre eux ont même manifesté vendredi dernier pour réclamer son départ. Pourtant, il y a deux semaines, après les combats à l'arme lourde en plein centre-ville, beaucoup pensaient que le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah avait renforcé sa position dans la capitale libyenne. Les jours de ce gouvernement sont-ils comptés ? Et le maréchal Haftar pourrait-il en profiter ? Jalel Harchaoui est chercheur associé au Royal United Services Institute de Londres. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Après la mort le 12 mai du chef de la milice SSA, est-ce que le Premier ministre, Abdelhamid Dbeibah, sort renforcé sur la scène libyenne ?

Jalel Harchaoui : S'il s'était arrêté là, oui, j'aurais répondu oui. C'est-à-dire que les opérations que vous décrivez, qui ont eu lieu le 12 mai, étaient des opérations violentes, mais qui étaient menées d'une manière chirurgicale et très bien exécutées. Si bien que, si tout le monde était allé se coucher le lundi 12 mai à minuit sur ces victoires tactiques, c'est-à-dire le fait de démanteler une brigade importante connue pour ses pratiques tortionnaires, pour sa corruption, et qui en plus tenait tête, pas d'une manière féroce, mais qui tenait tête quand même au Premier ministre… Et bien un certain nombre d'Etats étrangers auraient applaudi et le Premier ministre Dbeibah, reconnu par l'ONU, je vous rappelle, aurait pu se servir de cette opération réussie pour intimider les autres challengers qui existent à Tripoli. Ce n’est pas du tout ce qu'il a fait. Ce qu'il a fait, c'est qu'il s'est senti renforcé, il pensait avoir une espèce de baraka, il s’est dit « tout ce que je touche se transforme en or, donc je vais me lancer dans une nouvelle aventure contre une autre milice ». Or cette milice n'a strictement rien à voir avec celle que vous avez mentionnée… Je parle cette fois-ci de la Force de dissuasion Al Radaa qui tient le seul aéroport opérationnel de la capitale libyenne, Mitiga. Et cette seconde phase de cette aventure, c'est-à-dire mardi soir 13 mai, a donné lieu non pas à un succès comme lundi, mais ça a donné lieu à un fiasco.

Le 13 mai, il s'est cassé les dents…

Il s'est cassé les dents et ça s'est traduit par une très grande violence. Donc c'est un véritable massacre. Il y a eu quelque part entre 50 et 70 morts en 24h, dont des civils et en plein centre de Tripoli. Et ça, ça a été fortement rejeté par la population.

Et d'autant que cette milice, Al Radaa, elle a des soutiens à l'extérieur de Tripoli, non ?

Oui, depuis qu'il est clair qu'elle ne s'entend pas avec le Premier ministre, elle a restauré ses liens avec la famille Haftar à Benghazi. Donc c'est une milice qui, déjà avant la Grande Guerre de Tripoli en 2019, était connue pour maintenir une espèce de dialogue, même de lien, voire logistique et financier, avec la famille Haftar. Et bien tout cela est revenu ces dernières années. Aujourd'hui, pour moi, la force d’Al Radaa, qui contrôle Mitiga, est clairement liée dans une espèce d'alliance tactique avec la famille Haftar à Benghazi.

Donc on a aujourd'hui un très fragile équilibre à l'intérieur de la capitale entre le Premier ministre Dbeibah et la Force Al Radaa ?

Oui, et ce n'est pas le seul challenger. C'est ça qui rend la chose difficile, c'est que Tripoli, du fait d’une espèce de débâcle dans la nuit du mardi 13 au mercredi 14 mai… Aujourd'hui, Tripoli est poreuse. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que les adversaires du Premier ministre Dbeibah à Zaouïa se manifestent. Zaouïa est une ville de 300 000 personnes, située à 45 kilomètres à l'ouest de Tripoli. Il y a des forces de Zaouïa, qui sont contre le Premier ministre, qui ont réussi à pénétrer le flanc ouest de la ville de Tripoli.

Alors tout de même, Abdelhamid Dbeibah, le Premier ministre, il a un atout, c'est Misrata, la cité-État, qui est à l'est de Tripoli et qui exerce une sorte de tutelle stratégique sur tout l'ouest de la Libye depuis au moins cinq ans, non ?

D'abord, vous avez raison de parler de Misrata, c'est extrêmement important. Mais je ne dirais pas les choses de cette façon-là. En ce qui concerne le dossier Dbeibah, c'est quand même un personnage qui n'a pas beaucoup aidé sa ville. Donc il s'est targué de venir de la ville de Misrata. Il a utilisé sa ville qui est une ville très importante sur le plan commercial, extrêmement dynamique, avec beaucoup d'hommes d'affaires qui ont réussi, etc. Mais ce n'est pas un bloc, Misrata. Il y a une partie, un réservoir de brigades que Dbeibah aimerait bien recevoir comme étant des alliés à l'intérieur de cette crise tripolitaine et qui ne bouge pas, qui ne lève pas le petit doigt actuellement, parce que cette partie des brigades ne l'aime pas. Et donc c'est vrai que par exemple, en 2019, la force principale qui avait permis à Tripoli de résister contre l'agression du Maréchal Haftar, c'étaient les forces de Misrata. Mais aujourd'hui, je ne dirais pas du tout que Misrata est entièrement mobilisée pour défendre un de ses enfants, c'est-à-dire le Premier ministre Dbeibah, pas du tout.

Est-ce que, six ans après son échec devant Tripoli, le Maréchal Haftar peut prendre sa revanche ?

Déjà, j'aurais tendance à dire que, aujourd'hui, la famille Haftar est beaucoup plus riche. Ses hommes sont mieux entraînés, il y a une présence russe qui est plus importante. Donc la famille Haftar est beaucoup plus puissante aujourd'hui qu'en 2019. Et donc elle est en train de ne pas juste regarder la crise à Tripoli. Il y a des acteurs aujourd'hui, des acteurs armés qui sont aujourd'hui à l'intérieur de Tripoli et qui sont, si vous voulez, des proxys de la famille Haftar. Donc ce ne sont pas des brigades de la famille Haftar, mais ce sont des alliés extrêmement étroits, extrêmement fiables du point de vue des Haftar. C'est-à-dire que maintenant que la situation de Tripoli a été clairement fragilisée, la famille Haftar se dit « bon, on est très confortable à l'est, on est très confortable à l'ouest, on voit que le Premier ministre à Tripoli a fait une bêtise. Et donc tout cela devient plus poreux. Donc on va essayer de tirer notre épingle du jeu ». Ça, c'est une certitude. Et ça, ce sont les ingrédients de la prochaine crise.

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