«L’institution que j’aurais voulu à 20 ans»: Liz Gomis dévoile MansA, la Maison des mondes africains - podcast episode cover

«L’institution que j’aurais voulu à 20 ans»: Liz Gomis dévoile MansA, la Maison des mondes africains

May 31, 20256 min
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En septembre 2025, la Maison des mondes africains ouvrira ses portes à Paris, après un véritable parcours du combattant pour trouver un lieu. À sa tête : Liz Gomis, journaliste et réalisatrice, de caractère bien trempé, qui n’esquive pas les tensions du moment. « C’est l’institution que j’aurais voulu à 20 ans », confie-t-elle. Elle porte ce projet avec force, mémoire et convictions. Rencontre avec une femme bien trempée, portée par un désir de transmission, de réparation, et de dialogue entre les récits afro-diasporiques et l’espace culturel français.

RFI : Pour celles et ceux qui ne la connaissent pas encore, qu'est-ce que la Maison des Mondes Africains, la MansA ?

Liz Gomis : La MansA, c'est une institution culturelle. C'est également un laboratoire. Nous ne nous inscrivons pas comme un musée puisque nous n'aurons pas de collection d'œuvres d'art ou autres. Nous sommes centrés sur la création contemporaine. Je dirais qu'on a un prisme aussi sur la création numérique et l'audiovisuel, parce que je viens de là. L'idée, c'est de pouvoir monter un centre qui sera pluridisciplinaire et qui croisera aussi bien les arts du spectacle, que la littérature, que le cinéma. MansA, le nom de l'institution, c'est Maison des mondes africains. Quand on dit mondes africains, on parle des Caraïbes, on parle des Amériques – du nord et du sud –, on parle de l'océan Indien et on parle évidemment de la diaspora européenne. Parce que l'idée, c'est justement de croiser ces savoirs. L'idée, c'est aussi de les faire découvrir parfois à un public plus jeune. Ce sera notre mission d'éducation, toujours sous le prisme de la culture, qui permettra, je pense, de permettre à certaines personnes de se libérer un peu de l'exigence – parce qu'on a toujours le sentiment qu'il faut avoir lu Achille Mbembe pour pouvoir rentrer dans ces sujets. Alors qu'en fait, on peut y entrer par différents biais. On peut y entrer par des œuvres d'art – en ce moment, il y a l'exposition au Centre Pompidou, Paris Noir – des moments musicaux, des moments d'expositions. Voilà, ce sera un bouillonnement de culture. 

Vous faites référence à Achille Mbembe qui est à l'origine de ce projet. Comment le projet a-t-il évolué depuis ce premier jet ? 

Achille Mbembe, effectivement, est à l'initiative de ce projet. Ensuite, j'ai vite été mise à contribution pour écrire le rapport de préfiguration. Achille est arrivé évidemment avec la philosophie et l'idée du projet, mais ensuite, il fallait transformer cela en un projet tangible. Voilà comment le projet a évolué. Je peux dire que j'y ai mis toutes mes tripes et j'y ai également mis une part de moi parce que, quelque part, la MansA, c'est un peu l'institution que j'attendais lorsque j'avais 20 ans. C'est l'institution qui m'aurait permis, il y a 20 ans, de mieux comprendre qui j'étais en tant que Française dont les parents sont nés sur le continent africain et qui parfois avaient du mal à trouver sa place. Aujourd'hui, j'en ai 24 de plus, donc je ne me pose plus cette question. Mais je sais que c'est une question qui continue de perturber et de questionner de jeunes gens et de jeunes femmes qui sont pleinement français et qui se posent toujours la question de savoir quelle est leur place dans le pays dans lequel ils sont nés. 

Vous parlez de cette difficulté à trouver sa place. Comment faire entendre cette voix dans une France où les crispations identitaires s'accentuent ? 

C'est toujours compliqué de monter un projet, en premier lieu. Évidemment, on sait bien que le sujet de l'Afrique et de ses descendants, cela crispe. Mais moi, j'ai juste envie de dire aux Français, ayez de la mémoire. Rappelez-vous qu'à un moment donné, on était content d'avoir les tirailleurs sénégalais. Rappelez-vous qu'on était heureux d'aller voir Joséphine Baker sur scène. Rappelez-vous que Manu Dibango était le directeur musical de la seule émission musicale de l'ORTF, Pulsations, et que le producteur était Gésip Légitimus. Rappelez-vous de tout cela. Je suis juste là pour dire, nous avons une mémoire. Si on fait le choix de se replier en invoquant le fantasme d'une France qui aurait toujours été monochrome, c'est un mensonge que l'on se fait. Ce pays a toujours été un brassage. Tout ce qu'on fait avec MansA, c'est de rappeler les Français à leur histoire. Il ne faudrait pas glisser vers cette voie du repli. Au fond, qu'est-ce que ça nous apporte ? On voit bien les États-Unis en train de se replier. Honnêtement, cela ne donne pas envie, ce qu'on est en train de voir aujourd'hui. Est-ce que c'est cela, la marche du monde ? Je ne crois pas. 

Comment est financée la Maison des Mondes Africains ?

Pour l'instant, c'est financé par la puissance publique. Nous sommes en train de monter notre cellule de mécénat, parce qu'il s'agit aussi d'aller lever des fonds privés. Mais pour le moment, oui, nous sommes financés par la puissance publique. 

Personnellement, qu'est-ce qui vous porte dans ce projet ? 

Ce qui me motive, ce sont mes parents. C'est le parcours de mes parents. C'est de se dire qu'une femme qui s'appelle Émilie Mendy, qui est partie de Guinée-Bissau, qui est arrivée au Sénégal à l'âge de douze ans, qui est ensuite arrivée en France à l'âge de 19 ans, qui a fait des ménages et qui s'est battu toute sa vie pour en avoir une, de vie digne, mais aussi pour que ses enfants soient sur un chemin qui soit digne également. Ma motivation, c'est de me dire : « Je ne peux pas décevoir ce parcours. » Ma motivation première, c'est celle-ci, c'est d'abord de rendre hommage à mes parents. La deuxième motivation, c'est que maintenant, je regarde derrière moi et je vois les plus jeunes. Je ne peux pas me dire que ces plus jeunes vivront le même parcours que le mien. Je suis obligé d'être à la hauteur. Voici ce qui me motive tous les matins et qui fait que je me lève et que je me bats pour que cette institution existe parce qu'on a besoin de « role model », de modèles en français. Je ne sais pas si je suis un « role model », mais de voir les stagiaires d'observation qu'on a pu avoir nous renvoyer des messages en nous disant : « J'ai eu 20 sur 20 à mon rapport de stage et c'est grâce à vous, j'aimerais bien faire mon stage de seconde chez vous. » Alors que ce sont des gens qui sont motivés par le football et qui m'ont dit qu'ils n'avaient pas envie d'aller faire un stage dans un club de foot ou à la fédération. Pour moi, ce sont des victoires. Parce que pour une fois, ils se sont dit : « Je fais un stage d'observation et la directrice est une femme d'origine africaine, elle ressemble à ma sœur, elle ressemble à ma mère, elle ressemble à ma tante. En fait, c'est possible. » L'idée est de se dire qu'on a ouvert la porte. On offre un champ des possibles quelque part infini. Moi, à partir de ce moment-là, ma motivation démarre et après, plus rien ne peut m'arrêter. 

 

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