Gulain Amani: «Il faut réinventer la ville de Kinshasa» - podcast episode cover

Gulain Amani: «Il faut réinventer la ville de Kinshasa»

Apr 10, 20259 min
--:--
--:--
Listen in podcast apps:

Episode description

« Arrêtons de jouer aux sapeurs-pompiers, il faut réinventer la ville de Kinshasa », déclare l'urbaniste congolais Gulain Amani, après les inondations du week-end dernier qui, selon un dernier bilan officiel, ont causé la mort de 43 personnes dans la capitale de la République démocratique du Congo. Mais lorsque les gens construisent dans le lit d'une rivière, comment leur expliquer qu'il faut démolir leur maison si on ne peut pas les reloger ? Le professeur Gulain Amani enseigne à l'Institut d'Architecture et d'Urbanisme de Kinshasa. 

RFI : En 2022, des pluies torrentielles avaient déjà provoqué 120 morts à la suite d’inondations et de glissements de terrain. Qu’a-t-on fait depuis trois ans ?

Gulain Amani : Le problème, il faut le dire, c’est qu’en matière de gouvernance urbaine à Kinshasa, on joue trop souvent les sapeurs-pompiers. À chaque catastrophe, lorsqu’il y a des pertes en vies humaines, on se souvient tout à coup qu’on ne peut pas construire d’abord et réfléchir ensuite. On agit toujours dans l’urgence, après coup, et c’est ça qui est irresponsable. Tout ce qu’on fait, ce sont des mesures de saupoudrage, pour sauver la face. Mais ces actions sont souvent dérisoires, et elles ne permettent pas de répondre durablement au problème.

Vous dites que l’un des principaux problèmes, c’est que les voies d’évacuation des eaux sont bouchées par des constructions anarchiques. Mais dans une ville de 17 millions d’habitants, les gens doivent bien se loger quelque part. Comment les empêcher de construire là où il reste encore un peu de place ?

Justement, on ne peut pas blâmer les habitants. Il faut comprendre qu’on doit leur offrir des options sûres et abordables, ce qui n’est pas le cas actuellement à Kinshasa. L’absence de planification, de maîtrise et de contrôle du développement urbain ne peut que mener à ce genre de situation. Les habitants doivent se loger, c’est un besoin fondamental, et faute d’alternative, ils s’installent là où ils peuvent. Il faut le reconnaître : acquérir une parcelle à Kinshasa, ce n’est pas donné à tout le monde. Le pouvoir public ne s’occupe pas suffisamment de cette problématique. C’est pourquoi les habitants se débrouillent à leur manière pour répondre à leurs besoins élémentaires.

Quand le président Tshisekedi est allé voir les sinistrés au stade Tata Raphaël, lundi dernier, il a été chahuté, puis il a promis la tenue prochaine d’une réunion de crise qu’il présidera. Qu’attendez-vous de cette réunion ?

C’est déjà une bonne approche, parce que lorsqu’on est malade, il faut d’abord reconnaître la maladie. Ensuite, il faut poser un vrai diagnostic. Et ce diagnostic ne peut pas s’improviser. C’est une question plus technique que politique. Il faut que les décideurs s’appuient sur les techniciens : les urbanistes, les architectes, les ingénieurs… tous les experts nécessaires pour identifier les causes profondes de ces catastrophes récurrentes. Il ne faut pas que Kinshasa devienne la ville la plus vulnérable du continent, où à chaque pluie, on compte des morts. Après avoir analysé ces causes, il faudra proposer des solutions appropriées, de long terme. Il faut rendre Kinshasa résiliente, capable de s’adapter à la nature et d’anticiper les crises. Nous pouvons réinventer Kinshasa, mais pour ça il faut du courage, de la volonté, une vraie coordination. Et cela ne se fera pas sans les citoyens. Il faut les impliquer, car certaines solutions passent par la sensibilisation, par l’éducation à la gestion des déchets, à l’aménagement de la ville.

Vous parlez de participation citoyenne, c’est-à-dire convaincre les gens de ne pas jeter leurs poubelles partout, etc. Mais pour les gens qui habitent dans des constructions anarchiques, dans le lit des rivières, comment leur expliquer qu’on va démolir leur maison si on n’arrive pas à les reloger ?

Sans alternative, on ne pourra pas trouver de solutions pérennes. Je reste convaincu qu'une opération « à la Haussmannienne » n’est pas une évidence aujourd’hui.

La destruction de certains quartiers de Paris il y a près de 200 ans !

Voilà. Mais certains quartiers doivent être interdits à la construction, car ils présentent un risque élevé : les lits de rivières, les ravins très actifs, les bas-fonds... Ce sont des questions de sécurité publique. Et face à la vie humaine, il faut mettre les moyens nécessaires. Cela implique un accompagnement social, des relocalisations dans la dignité et des alternatives viables pour tous les habitants. Il faut du courage. On est aujourd’hui dans des démocraties où les citoyens ont leur place. On ne peut rien faire sans eux. Toutes ces mesures doivent donc être prises en proposant une vraie alternative.

Gulain Amani: «Il faut réinventer la ville de Kinshasa» | Le grand invité Afrique podcast - Listen or read transcript on Metacast