Conflit Gabon-Guinée équatoriale: la discussion est toujours ouverte, selon Alain-Claude Bilie By Nzé
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« C'est une catastrophe », dit l'opposant gabonais Alain-Claude Bilie By Nzé après la décision de la Cour de La Haye de donner raison à la Guinée équatoriale dans son conflit territorial avec le Gabon. Alain-Claude Bilie By Nzé a été le dernier Premier ministre du régime d'Ali Bongo. Le 12 avril, il est arrivé second à la présidentielle gabonaise, mais avec seulement 3 % des voix, loin derrière Brice Clotaire Oligui Nguema. L'opposant gabonais s'exprime sur l'exfiltration de la famille Bongo la semaine dernière. Mais au micro de Christophe Boisbouvier, il réagit d'abord à la décision des juges de la Haye.
RFI : Sur les trois îlots disputés entre le Gabon et la Guinée équatoriale, la Cour de La Haye vient de donner raison à la Guinée équatoriale. Quelle est votre réaction ?
Alain-Claude Bilie By Nzé : Vous savez, c'est une catastrophe. C'est une grosse déception. C'est un peu comme si on se retrouvait amputé d'un membre. Le Gabon a toujours revendiqué sa souveraineté sur ces îles et nous avons toujours tout fait en tant que nation pour demeurer unies sur ce sujet. Et nous allons continuer à être unis. Nous ne pensons pas faire de polémique parce qu'il s'agit d'une question qui concerne la nation. Et dans ces sujets-là, il faut être rassemblé dans un premier temps.
Depuis 1972, l'îlot Mbanié est occupé par la marine gabonaise. Qu'est-ce qui va se passer maintenant ?
Non, elle n'est pas occupée cette île. Elle est gabonaise. Si nous y sommes allés, c'est parce qu'on la considère comme gabonaise. Si vous dites occupée et que j'accepte ce terme-là, ça veut dire que ce n'était pas à nous. C'est notre île. On y a fait jouer tous nos droits, on s'y est installé, se passent là-bas des activités gabonaises. Maintenant, on va voir ce qui va se passer au vu de la décision qui vient d'être prise.
Est-ce qu'un accord à l'amiable peut être trouvé entre Libreville et Malabo ?
Écoutez, nous ne sommes pas des Etats qui, dans ce dossier, avaient privilégié la confrontation. Je crois que le sujet d'une discussion est toujours ouvert et on verra ce qui va se passer. Voilà.
Alain-Claude Bilie By Nzé, l'exfiltration de la famille Bongo vers l'Angola. C'était dans la nuit de jeudi à vendredi dernier. Vous en pensez quoi ?
Ce que je pense de ce dossier, c'est que le pouvoir actuel a fonctionné sur la dissimulation, sur la manipulation et ça se termine comme ça s'est vu aujourd'hui, à savoir l'opacité totale. Rien n'a été dit des montants qui sont supposés avoir été détournés, rien n'a été dit des complicités éventuelles. Et donc, c'est un dossier qui, dès le départ, a été très politisé. Et ça se termine dans la confusion totale, avec une absence par les autorités gabonaises d'une communication. Elles n'assument pas ce qui s'est passé. Si on regarde bien ce dossier, je crois que les autorités gabonaises avaient même intérêt à ce qu'il n'y ait pas de procès, contrairement à ce qui a été dit. Parce que s'il y avait eu procès, ces autorités n'auraient pas pu tenir par rapport aux révélations qui auraient pu être faites. D'une certaine manière, on leur a sauvé la mise en laissant partir Sylvia Bongo et Noureddin.
Alors, vous dites qu'il n'y aura pas de procès, mais le procureur général de Libreville a dit le contraire vendredi dernier. Il a dit que, malgré ce transfert, la procédure continuait et qu'il y aurait procès.
Le Procureur relève du ministère de la Justice, qui relève du gouvernement, qui est géré par le président, qui est chef du gouvernement. Et je ne vois pas du tout en quoi ce que ce qu'il a dit ce jour-là va être opposable à ce qui a déjà été fait, à savoir la dissimulation. Lorsqu'il y a eu des négociations, personne n'a été informé qu'il y avait négociation. On découvre un beau matin que bon, ils ne sont plus là. Mais pourquoi est-ce qu'ils ne sont plus là ? Personne n'assume cela au niveau de l'Etat, au niveau du gouvernement. Et on envoie un procureur un peu jouer les pompiers. S'il y a des éléments dans le dossier, qu'on juge, qu'on dise quels éléments aujourd'hui, c'est l’opacité totale. Quel est le montant qui a été détourné ? C'est possible que l'argent ait été détourné, mais c'est de quel argent ? Si ce montant a été détourné, c'est quel montant qui a été détourné ? Avec quelle complicité ? Avec quelle banque ? Avec le comptable public ? On n'en sait rien du tout. Rien.
Alors, après le transfert de la famille Bongo, un des avocats français de cette famille, François Zimeray, a déclaré que, pendant leurs 20 mois de détention, Sylvia et Noureddin ont été dépossédés de leurs biens à l'occasion de séances de torture. Est-ce que cela vous paraît crédible ?
En tout cas, on n'a pas entendu les autorités gabonaises dire le contraire. C'est une accusation très grave de la part de quelqu'un qui a été ambassadeur de France, qui est avocat au barreau de Paris, qui est spécialisé dans la question des droits de l'homme. Il doit savoir de quoi il parle. Il a vu ses clients. Moi, je ne les ai pas vus. Et donc, s'il l'affirme, c'est qu'il a des éléments pour l'affirmer. Il faut maintenant que les autorités gabonaises s'expliquent.
Est-ce que vous pensez que Sylvia et Noureddin Bongo ont été fortement incités à révéler leurs numéros de compte bancaires et à accepter le transfert de leur fortune aux nouvelles autorités gabonaises ?
Ce qu'on attend aujourd'hui, c'est que, dans ce dossier-là, le gouvernement s'explique. C'est très grave comme accusation de torture, d'extorsion. C'est très grave.
Mais après tout, Alain-Claude Bilie By Nzé, si des gens qui ont détourné de l'argent public rendent cet argent et acceptent des transferts de fonds au bénéfice de l'Etat gabonais, est-ce que ce n'est pas une bonne nouvelle au final pour la population gabonaise ?
Il faut qu'il y ait de la transparence. Si l'argent a été détourné et rendu au pouvoir gabonais, il a été rendu à qui ? Quel montant ? Transféré sur quel compte ? À l'usage de qui ? Il faut qu'il y ait la transparence dessus. Or, sur ce dossier-là, ce qui marque les esprits, c'est l'opacité. Si l'argent a été détourné et retrouvé, qu'on dise quel montant a été retrouvé, où est-ce qu'il a été transféré, à qui, quand, comment, de manière transparente. Aujourd'hui, beaucoup de populations se sentent flouées, trahies.
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