Cédéao: le départ des trois pays de l’AES «assombrit la célébration» des 50 ans, mais «ce n’est pas un coup mortel»
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Les célébrations des 50 ans de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ont commencé mardi 22 avril. Mais cet anniversaire coïncide avec le départ de trois pays fondateurs de l'organisation, qui ont ensuite créé l'Alliance des États du Sahel (AES). Le Ghana espère encore les convaincre de réintégrer la Cédéao. Où en sont aujourd'hui les relations entre les 12 pays de l'organisation et les pays de l'AES ? Gilles Yabi est le fondateur et le directeur exécutif du think tank citoyen Wathi. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier depuis Dakar
RFI : Gilles Yabi, « Longue vie à la Cédéao et à la solidarité Ouest-africaine » a lancé, hier midi, le président ghanéen John Dramani Mahama. Mais est-ce que la fête n'est pas gâchée par la sécession des trois pays de l'Alliance des États du Sahel ?
Gilles Yabi : alors, il est certain que cela assombrit la célébration et, je dirai, la série d'événements qui vont commémorer ce 50ᵉ anniversaire. Mais je pense que cette conjoncture difficile n'empêche pas de regarder le chemin parcouru en 50 ans. Et je pense que vraiment, la Cédéao, c'est d'abord un projet, c'est une vision, une conscience de cette volonté collective de penser l'avenir ensemble.
Donc pour vous, cette rupture voulue par l'AES, ce n'est pas un coup mortel ?
Je ne pense pas. Je pense que déjà, il faut quand même regarder les faits. La Cédéao moins les trois pays de l'AES, du Sahel central, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, c’est douze pays. L’AES, c'est quand même trois pays. Donc, il n'y a pas de comparaison en termes de nombre d'États membres. Et en plus, le gros poids lourd démographique et économique de l'Afrique de l'Ouest, c’est le Nigeria. Le Nigeria fait toujours partie de la Cédéao, de la même manière que le Ghana et la Côte d'Ivoire qui sont les deux autres pays les plus importants, autant sur le plan économique que sur le plan démographique.
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Officiellement, les trois pays de l'AES ont rompu avec la Cédéao en janvier dernier et malgré tous les efforts de médiation du Sénégalais Bassirou Diomaye Faye et du Ghanéen John Dramani Mahama, ils restent inflexibles. Pourquoi cette posture ?
Oui, alors pour l'instant, effectivement, on ne voit pas de signes d'ouverture du côté de ces trois États. Et je pense qu'il faut à nouveau chaque fois rappeler que le départ de ces Etats a été décidé par les chefs d'États de fait dans ces trois pays qui sont tous issus de coups d'État militaires.
Et ces ruptures n'ont pas été validées par des Parlements élus de ces trois pays ?
Tout à fait. Évidemment, on aurait tout de même voulu avoir un point de vue des populations elles-mêmes, lorsqu'une décision aussi importante est prise par des dirigeants qui sont eux même issus d’une rupture de l'ordre constitutionnel qui était en place.
En même temps, les trois pays de l'AES ne veulent pas couper tous les ponts. Ils espèrent par exemple que la liberté de circulation des personnes et des biens entre l'espace Cédéao et le leur sera maintenue. Est-ce à dire que ces trois pays ont peur des conséquences économiques d'une rupture totale avec la Cédéao ?
Il est évident que les corridors les plus importants de mouvements de populations, justement en Afrique de l'Ouest, sont en fait ceux qui lient les pays du Sahel à leurs voisins côtiers. Un exemple, c'est la relation entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire, même le Mali et la Côte d'Ivoire. Ça veut dire que vous avez beaucoup de résidents dans ces pays côtiers qui sont issus des pays du Sahel. Et donc, lorsque vous avez des années difficiles dans un pays, vous avez la possibilité d'amortir cette situation de crise par les mouvements des populations. Et évidemment, les dirigeants des trois pays du Sahel sont conscients de l'impact qu'aurait, par exemple, la fin de cette liberté de circulation pour leurs propres populations. Mais cela étant dit, je crois aussi que, du côté de la Cédéao à douze, il est important de rester ouvert aux populations de ces trois pays du Sahel central.
Est-ce que du coup, on peut parler d'une demi-rupture, voire d'une fausse rupture ?
Non, je crois qu'on a quand même une vraie rupture dans la mesure où formellement, ils ne sont plus membres de la Cédéao et que cela a des implications concrètes. Je crois que ce qui doit se discuter lors de la réunion ministérielle à Accra, c'est justement très concrètement, par exemple, où vont déménager les institutions et les agences spécialisées de la Cédéao qui, aujourd'hui, se trouvent dans ces trois pays qui ne sont plus des États membres. Qu'est-ce qui va se passer au niveau des fonctionnaires issus de ces trois pays ? Donc, on est quand même en face d'un véritable départ.
Du côté des pays de la Cédéao à douze la stratégie privilégiée a été celle du dos rond. On attend que l'orage passe et on espère que les trois pays de l’AES vont revenir à la raison. Mais apparemment, c'est une stratégie qui n'a pas marché. Gilles Yabi, est-ce que certains pays de la Cédéao à douze sont tentés par des représailles aujourd'hui ?
Je ne pense pas qu'il y ait un état d'esprit de représailles. Ce qu'on peut entendre de la part de certains fonctionnaires à un niveau élevé au niveau de la Cédéao et de la Commission de la Cédéao n'indique pas une volonté de représailles. Et donc je crois que tout le monde réalise qu'on n'a pas intérêt. Personne n'a intérêt à cette cassure. Donc, je pense que l'état d'esprit reste celui de l'ouverture.
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